Lettre de Yayi à Houngbédji : les couacs et contre-vérités d’un courrier insolite

(Lire la lettre) Enigmatique, agressive, péremptoire, la dernière lettre du président Boni Yayi au président de l’Assemblée nationale Me Adrien Houngbédji donne le ton et la nature des relations entre les deux hommes au sommet de l’Etat.

Cette première escarmouche lance huit mois de relations annoncées tendues, malaisées. Une énième raison de croire à un atterrissage difficile de l’ovni béninois. C’est désormais fini  la lune de miel entre Boni Yayi et Adrien Houngbédji. Au lendemain de l’élection de ce dernier comme président de l’Assemblée nationale, le Chef de l’Etat s’en est pourtant bien réjoui. Lors d’un meeting de tournée dans le septentrion, il avait dit son regret de ne pas avoir son « fiston » Komi Koutché à la tête de l’institution à cause de la félonie dans les rangs des Fcbe et a salué l’arrivée d’un homme politique avec qui «  il s’entend ». En 2012, lors de la première crise politique post-électorale, Yayi s’était proprement gaussé de tous les hommes politiques mais avait louangé un seul, Adrien Houngbédji qu’il a qualifié de « vertueux ». En moins d’un mois, le nouveau président de l’Assemblée nationale s’est aussi rendu deux fois à la Marina pour diverses raisons et y avait été chaleureusement accueilli. Ces premiers gestes et discours des uns et des autres pouvaient laisser croire à une longue lune de miel entre deux personnalités aux caractères et parcours diamétralement opposés. Mais erreur, Yayi et Houngbédji c’est du ‘’pile et face’’ ; le jour et la nuit. Entre Yayi, connu pour ses humeurs instables, toujours pressé et jamais prêt à suivre les procédures et les textes et Houngbédji , plus posé, toujours collé aux textes on ne pouvait douter que les relations vont vite se brouiller. Le premier clash est donc là ; juste quelques mois après. Et c’est l’affaire Ppea II avec son épisode « Kassa » qui fait déclencher la lune de fiel. Ce qui fait l’actualité ici c’est la lettre envoyée par Boni Yayi à Me Adrien Houngbédji au sujet du communiqué de l’Assemblée nationale. Dans cette lettre d’humeur, Boni Yayi se désole que le président de l’Assemblée nationale ait choisi de lui répondre par un communiqué alors qu’il lui avait envoyé une lettre. Dans l’entourage de Houngbédji, on se dit surpris du ton et de la gravité des propos qui portent atteinte à l’institution et à son président. En effet, précise-t-on dans le milieu parlementaire, c’est par un communiqué de presse, en l’occurrence celui du Conseil des ministres que le Gouvernement a parlé de la levée de l’immunité du député Barthélemy Kassa et que nulle part dans la lettre envoyée au Parlement il n’a été question de levée d’immunité mais de prendre les dispositions pour que le député puisse répondre de ses actes. Entre le communiqué du Conseil des ministres et la lettre envoyée au Parlement, il y a une volonté d’embrouiller les pistes. Ensuite, déplorent les mêmes sources parlementaires, autant le Chef de l’Etat déplore que le président de l’Assemblée nationale ait répondu à sa lettre par un communiqué signé de son chef service communication, autant on peut lui reprocher d’avoir commis une faute similaire. En effet, cette lettre du Chef de l’Etat a été déposée au secrétariat de l’Assemblée nationale  mardi soir et s’est retrouvée curieusement dans la presse  mercredi matin alors même que le président de l’Assemblée nationale et les membres du bureau ne l’ont pas encore lue.

Bouc émissaire

Dans ce courrier, le Chef de l’Etat a un seul souci : montrer aux Hollandais toute sa bonne volonté de punir les personnes responsables du détournement des 2,6 milliards du projet PpeaII. C’est ce qui explique ce large extrait qui parle des « exploits » du Chef dans la lutte contre la corruption. Il serait le premier président à décider d’envoyer ses ministres et des députés de son parti devant la Haute Cour de justice. Une bonne raison pour se dédouaner auprès des autorités des Pays-Bas. Chose curieuse, sous Boni Yayi aucun prévaricateur n’a vraiment été jugé et puni et souvent ils sont des plus proches du cercle du pouvoir. Beaucoup parmi eux ont été même promus. On peut aussi se demander pourquoi le Chef de l’Etat n’affiche pas autant de détermination pour que les deux opérateurs économiques cités comme les vrais auteurs de la prévarication puissent être punis. Tous deux seraient en cavale, ou murmure-t-on dans certains milieux, cachés en lieu sûr. Pourquoi pas autant de détermination pour faire arrêter et rendre gorge les cadres du ministère et du projet cités dans l’affaire puisque, eux au moins n’ont pas d’immunité ? Bon nombre parmi eux n’ont guère été inquiétés et certains roulent carrosse toujours. Pourquoi alors autant d’acharnement  contre Kassa que le rapport Kroll semble bien avoir subtilement dédouané ? Pourquoi   s’intéresse-t-on tant à lui au point où on veuille sacrifier la procédure pour le faire arrêter ? La vérité est bien ailleurs. Selon nos investigations, le souci de Yayi est de mettre hors d’état de nuire Kassa qui sait un peu trop dans ce dossier et un peu trop sur les pratiques du système Yayi. On craint donc de le voir parler. C’est pourquoi des militaires avaient été envoyés il y a quelques jours pour ceinturer sa maison et l’arrêter. Le Chef de l’Etat a d’ailleurs toujours fonctionné ainsi. Dans le dossier Icc services, on a vu avec quelle rapidité on s’était empressé de coffrer le Procureur Général Georges Constant Amoussou et les cerveaux de l’affaire Guy Akplogan et Emile Tégbénou. Depuis, cette affaire n’a jamais connu de suite. Pour le dossier Ppea II, le scénario semble être le même. On comprend bien ce qui met Yayi tant dans cette colère. Et personne n’a jamais douté de la « bonne foi et la sincérité » de Yayi. Qui se sent morveux se mouche

Lettre de Boni Yayi à Adrien Houngbédji

Cotonou, le 04 août 2015

A

Monsieur le Président de l’Assemblée

Nationale

Porto-Novo

Objet : A/S

Communiqué de l’Assemblée Nationale

Du 31 Juillet 2015 publié dans la presse

           Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

             J’ai pris connaissance du communiqué de l’Assemblée Nationale du 31 juillet 2015.

Mon étonnement est d’autant plus grand qu’une réponse à la lettre que je vous ai adressée en tant que Président de la République, le 29 juillet 2015 fasse ainsi l’objet d’un communiqué de presse. Il est en effet surprenant qu’en lieu et place de la réponse que vous auriez dû m’envoyer dans le cadre du respect du parallélisme des formes, vous ayez publié ce communiqué signé pour ordre par votre Chef du Service Communication.

Je m’interroge en outre sur l’incompréhension dont vous parlez quant au contenu de la lettre que je vous ai envoyée. J’attire votre attention sur le fait que ma demande porte sur l’invitation à faire écouter par la Haute Cour de Justice, l’ancien Ministre et actuellement Député Barthélémy D. KASSA. Ma démarche procède de ce qu’en tant que Ministre de la République au moment des faits qui  lui sont reprochés, conformément aux dispositions constitutionnelles ainsi qu’aux procédures en vigueur au sein de notre Institution Parlementaire, Monsieur Barthélémy D. KASSA est passible d’être écouté par la Haute Cour de Justice.

A ce propos, il me paraît utile de rappeler à votre attention, que depuis la création de la Haute Cour de Justice, voici une vingtaine d’années environ, je suis le seul Chef d’Etat, Chef du Gouvernement à avoir successivement demandé la levée de l’immunité parlementaire de deux Députés appartenant au Groupe Parlementaire des FCBE, envoyé cinq des Ministres de mon Gouvernement à comparaître devant la Haute Cour de Justice.

Ce faisant, je demeure donc à ce jour, le seul Chef d’Etat dans notre Pays à avoir enclenché une telle démarche restée malheureusement sans suite. Je note également que précisément dans le cadre du PPEA II, mon Gouvernement a montré toute sa détermination dans le traitement du dossier en prenant les dispositions appropriées en vue des sanctions administratives, disciplinaires, judiciaires en attendant la révocation des mis en cause après décision de justice. Par ailleurs, la restitution des fonds publics détournés est une priorité. Il est alors surprenant que vous doutiez du caractère sérieux, sincère et loyal de ma demande.

Ma bonne foi et ma sincérité ne devraient faire l’objet d’aucun doute. Il me paraît nécessaire que nous prenions toute la mesure de la situation. Elle me paraît en effet suffisamment grave car il s’agit des conditions de vie de nos populations, en l’occurrence de l’eau source de vie. Dans ces conditions, les attentes des populations sont claires. Loin des polémiques, toutes les institutions devraient en synergie, dans une union sacrée, conjuguer leurs efforts pour le rétablissement des modalités devant permettre aux populations de continuer à bénéficier de l’eau. Il est en effet préjudiciable dans la situation actuelle de se refuser à aller à l’essentiel à savoir mettre en œuvre promptement les diligences pour le traitement judicieux du dossier soumis à notre Parlement. A notre avis, une attitude contraire serait un encouragement à faire perdurer l’impunité et à soutenir certains véritables bénéficiaires de cette opération dont les intentions de mettre un terme à la vie du Président de la République ou un terme prématuré à sa gestion des affaires de la Nation sont connues de tous.

Dans le cadre de l’harmonie nécessaire au sein des institutions de la République et dans l’intérêt supérieur de la Nation, je vous serais obligé des dispositions que vous voudriez bien prendre en vue de faire écouter Monsieur Barthélémy D. KASSA par la Haute Cour de Justice dont vous en connaissez les procédures annoncées du reste dans votre communiqué.

Je sais pouvoir compter sur votre disponibilité et vous prie de croire à l’assurance de mes sentiments distingués.

Dr Boni YAYI

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