Limites du rêve charismatique sous le renouveau démocratique

La prochaine élection présidentielle nous obsède à juste titre, à six mois du premier tour. En effet, nous sommes à un carrefour dangereux de notre évolution politico-institutionnelle. Aussi avons-nous le devoir de faire preuve de créativité politique, car la situation actuelle où ne pointe à l’horizon aucun présidentiable vraiment charismatique, est sans précédent dans notre histoire politico-institutionnelle.  Le sociologue allemand Max Weber a affirmé que les systèmes politiques passent par trois types de pouvoir :

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  • Le pouvoir traditionnel
  • Le pouvoir charismatique
  • Le pouvoir rationnel-légaliste

Ou en sommes-nous ? Nous n’avons visiblement pas quitté les prégnances traditionnelles dans notre dynamique sociopolitique, surtout dans les centres ruraux. Néanmoins, depuis notre accession à la souveraineté internationale en 1960, nous avons toujours été tentés par les logiques du pouvoir charismatique. En effet, nous avons toujours attendu Godot, mais  sous les traits d’un oiseau rare, personnage charismatique qui comme le Messie juif viendra hâter comme avec une baguette magique l’avènement de l’Etat idéal ! Sous le Renouveau démocratique, sauf pour le Général Mathieu Kérékou revenu au pouvoir par défaut en 1996, Celui qui doit arriver devrait sortir de la haute finance internationale ; le cas échéant, on lui voue au début de son règne une vénération sans bornes, attendant de lui qu’il mette fin à nos vieilles misères. Patatras ! Au bout de deux ans, on commence à déchanter pour être totalement déçu à la fin de son quinquennat, tournant alors nos regards vers  un autre démiurge. Ce fut le cas de Nicéphore Soglo en 1990. C’est fut le cas de Boni Yayi qui en dix de présidence est tombé complètement tombé en disgrâce chez la majorité de ses concitoyens non stipendiés!

Les classiques de sociologie politique nous enseignent que le mode de leadership personnel du chef influe certes sur la gouvernance au sommet de l’Etat ; mais un régime étatique dépend d’abord dans son fonctionnement du soubassement des articulations et des agrégations au niveau du système politique qui lui-même n’est en dernière analyse que l’expression de la dynamique fonctionnelle de tout le système sociétal. Or, dans l’attente du pouvoir charismatique, on exagère plus qu’il n’en faut la responsabilité personnelle du dirigeant. On délègue alors des prérogatives exorbitantes à cet homme qui a en mains les rênes de l’Etat et de qui on attend des miracles ;   ce qui conduit inévitablement à deux conséquences : l’autocratie,  en un mot le pouvoir despotique dans la gestion de la chose publique ou la régression dans un populisme brouillon, inefficace, toutes choses qui s’éloignent totalement  de la démocratie qui n’est pas une monarchie, mais une polyarchie. Le rêve d’un pouvoir bonapartiste nous a toujours guidés, au Bénin en particulier et en Afrique en général et sustente notre système politique particulier : le présidentialisme négro-africain. Elle finit par s’essouffler faute de hisser le système politique au niveau de la vraie démocratie pluraliste, de l’Etat de droit. Prenons un cas illustratif. Le mérité du  régime Soglo tient bien sûr aux qualités personnelles de Nicéphore SOGLO, un charisme boosté à la sortie de la Conférence Nationale par un excellent système politique, le meilleur que nous ayons jamais eu ; à son tour, il a secrété une bonne équipe gouvernementale  qui dans sa gouvernance a bénéficié des qualités de gestionnaire de l’ancien administrateur de la Banque Mondiale ! Mais ce pouvoir charismatique qui a coopté presque toute la classe politique et a bénéficié de l’adhésion populaire, a montré très tôt ses limites dans la difficile redistribution de la manne publique : le tout n’est pas de conquérir et d’exercer le pouvoir d’Etat, il faut le conserver. Ce fut à ce niveau qu’il faut situer les lacunes du pouvoir charismatique du premier Président de la République (plus seulement chef de l’Etat) du Renouveau démocratique. Mutatis mutandis, au bout de cinq ans le régime Boni Yayi  a présenté le même essoufflement dans le leadership et la gouvernance, si grave qu’il a conduit à un véritable affaissement systémique bien que ce chef d’Etat n’ait pas la même défiance pour le mouvement partisan

Pour une radioscopie plus détaillée du pouvoir politique sous Boni Yayi et ses failles rédhibitoires, nous faisons l’hypothèse suivante : à cause de la brièveté de leur passage au niveau de leurs départements ministériels dont les castings sont en outre opérés dans une logique dont la pertinence laisse à désirer, ce régime qui en dix ans d’exercice a consommé plus de 150 ministres (record mondial), a été loin d’avoir la solidité organique nécessaire pour produire des résultats probants sinon au niveau des investissements infrastructurels, du moins au niveau de l’adhésion des élites et des masses populaires urbanisées. Parce que le citoyen béninois a l’impression d’un perpétuel recommencement. Voyons ! Nous sommes en mesure d’égrener les noms de tous les ministres de Nicéphore Dieudonné Soglo depuis qu’il était nommé Premier ministre en 1990 jusqu’à son départ du Palais de la Marina en 1996. A peu de choses près, on se souviendra aussi de la dénomination de leur portefeuille. Impossible de ce faire pour le régime Boni yayi : aucun Béninois ne peut se targuer de se  rappeler les noms et attributions d’un ministre de notre Président de la République depuis 2006 ! Or, comme le dit le Général De Gaule, il n’y a pas d’ancien ministre heureux ; un ancien ministre rejoint fatalement les rangs des mécontents ou des critiques acerbes du régime. Le second niveau d’expression de l’affaiblissement de l’actuel système politique, est l’absence totale de la classe politique de la scène politique. Bien sûr, aucun leader charismatique ne pointe à l’horizon dans la perspective de 2016, et encore une fois comme en 2006, ce sont des mouvements spontanés ou stipendiés de jeunes qui annoncent la candidature de surprenants « outsiders » ! Le troisième niveau concerne fatalement les institutions en charge des élections. Dieu merci ! Nous avons toujours su éviter au dernier moment les foires d’empoigne dignes de primitifs sauvages ; mais la tentation devient de plus en plus grande de recourir à des raccourcis tricheurs, mettant à profit les prérogatives exorbitantes de ces institutions qui ont chez nous le privilège de légiférer à l’amont et à l’aval sur les élections : la CENA, la Cour Suprême et surtout la Cour Constitutionnelle. Cette dernière a joué un rôle considérable depuis qu’elle fut installée en 1993, en multipliant des décisions suspectées par l’une des parties prenantes à la bataille pour la magistrature suprême surtout, comme teintées de partis-pris . La mouvance au pouvoir en 1996 l’avait accusée d’avoir favorisé l’arrivée au pouvoir de la Convention Nationale des Forces Démocratique. Devenus des partis d’opposition, la RB et ses alliés l’ont carrément traitée de la Cour des miracles en 2001. Depuis le règne de Boni Yayi, sont apparues des appellations péjoratives comme la Cour Dossou, la Cour Holo ! Pour comprendre cette dérive, ayons à l’esprit que sauf sous le Président Soglo qui a eu la « gentillesse » d’envoyer dans cette Haute Juridiction des gens peu sûrs qui se joignant à l’opposition constituera une Cour Constitutionnelle qui lui sera hostile,  tous les membres de la Cour Constitutionnelle sont presque tous désignés par le régime en place lors donc que le Bureau de l’Assemblée Nationale est souvent contrôlé par la mouvance politique au pouvoir! D’où des décisions contestables ; comme celle érigeant le consensus national en principe à valeur constitutionnelle pour empêcher les députés en 2007 de prolonger la durée de leur mandat en cours ; comme celle sur la LEPI.

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