Présidentielles : la Cour constitutionnelle crée la polémique sur le critère d’âge

La Cour constitutionnelle fait à nouveau parler d’elle. Elle vient de créer une grosse polémique sur le critère d’âge, concernant l’éligibilité à la fonction présidentielle au Bénin.

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En effet, l’article 44 de la  Constitution béninoise du 11 décembre 1990 fixe les conditions d’éligibilité du président de la république. Entre autres, l’article dispose que «Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République s’il n’est âgé de 40 ans au moins et 70 ans au plus à la date de dépôt de sa candidature ». Pour le commun des mortels, cet alinéa ferme l’intervalle d’âge des présidentiables à 40 et 70 ans. Ainsi, si un citoyen souffle sa quarantième bougie pendant l’année électorale, pour être éligible, sa date d’anniversaire doit précéder le délai de dépôt des dossiers de candidature. Cette interprétation vient d’être remise en cause par la Cour constitutionnelle dans la Dcc 15-156 du 16 juillet 2015, rendue suite à une requête de Hermès Gbaguidi. Selon la décision de la Cour (lire intégralité ci-dessous), il faut faire fi de la date d’anniversaire et considérer l’année de naissance dans son entièreté. Les sept sages ouvrent donc l’intervalle à 40 ans. La décision postule que toutes les personnes qui sont dans leur quarantième année pendant l’année électorale, respectent le critère d’âge pour devenir locataire de la Marina. Pour l’élection présidentielle de 2016 donc, toutes les personnes nées en 1976 respectent, selon le président Holo et ses pairs, le critère d’âge fixé par la Constitution. Etant donné que ceux-ci seront dans leur quarantième année l’an prochain.

De toute évidence, les décisions de la Cour sont sans recours. Mais elles peuvent être commentées et analysées. Et la Dcc 15-156 du 16 juillet fera certainement couler beaucoup d’encre et de salive

DECISION DCC 15- 156  DU 16 JUILLET 2015

La Cour constitutionnelle,

Saisie d’une requête du 11 mai 2015 enregistrée à son secrétariat le 27 mai 2015 sous le numéro 1152/132/REC, par laquelle Monsieur Hermès A. C. GBAGUIDI forme un recours contre le parti Union fait la force (UFF) dont il est un adhérent pour traitement discriminatoire ;

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VU la Constitution du 11 décembre 1990 ;

VU la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;

VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ; Ensemble les pièces du dossier ;

Ouï Monsieur Akibou IBRAHIM G. en son rapport ; Après en avoir délibéré,

CONTENU DU RECOURS

Considérant que le requérant expose : « … Citoyen béninois remplissant les conditions prévues à l’article 7 de la loi sur les partis politiques, j’ai adhéré au parti « Union fait la force (UFF) » régulièrement  enregistré  au  ministère  de  l’Intérieur    sous  le

numéro 2010/0115/MISP/DC/SG/DGAI/SAAP-PP du 15 février 2010. En sa séance du 7 mai 2015, le bureau politique de l’UFF a décidé de dégager un candidat à présenter à l’élection présidentielle de février 2016 en tant qu’entité autonome. Le compte rendu de la session du bureau politique est joint au recours…

A cet effet, le bureau politique a procédé à la sélection d’une liste de candidats potentiels à soumettre au congrès prévu pour se tenir le 20 juin 2015 pour désignation finale du candidat. Quatre  candidats  volontaires  et  proposés  s’étaient  dégagés. J’étais le 3ème candidat proposé. A l’analyse des candidatures, le bureau politique, bien que reconnaissant la qualité de ma candidature, l’a rejetée au motif que je suis né le 19 novembre 1976 et qu’en conséquence, ma candidature ne répond pas à la condition d’âge fixée par la Constitution … en son article 44 qui dispose : « Nul ne peut être candidat aux fonctions de président de la République s’il : …

– n’est âgé de 40 ans au moins et 70 ans au plus à la date de dépôt de sa candidature …  » tandis que celle du quatrième (4ème) candidat, Monsieur Atao M. HINNOUHO, né vers 1976, a été retenue au détriment de la mienne » ;

Considérant qu’il poursuit : « … Le bureau politique, en prenant cette décision, a fait une lecture erronée de l’article 44 de la Constitution béninoise. En effet, par cette lecture faite, le bureau politique confond « 40 ans au moins » à « 40 ans révolus au moins ». Cette disposition ne saurait donc s’appliquer qu’en tenant compte de l’année de naissance et non des mois et jours. Dans le cas contraire, qu’adviendrait-il du citoyen effectivement né au mois de décembre  de  la  même  année  que  moi  et  dont  le  jugement supplétif porte : « né vers 1976 » ou « né en 1976 ». Il a quarante ans en 2016 et sa candidature ne saurait être rejetée. Cela a été d’ailleurs le cas de l’honorable Atao HINNOUHO, dont le jugement supplétif porte : né vers 1976. Il est peut-être né en réalité en

1977  ou  en  décembre  1976,  nul  ne  saurait  le  dire,  mais  sa

candidature a été maintenue en respect de la Constitution par le bureau politique. Le jugement supplétif est une décision d’un tribunal qui demande une transcription lorsque celle-ci est inexistante, voire, dans quelques cas, perdue ou détruite. C’est

donc en remplacement de l’acte de naissance qu’on le produit et dans ce cas de figure, si ma candidature n’est pas acceptée, le jugement supplétif accorderait plus d’intérêt que l’acte de naissance.  Le  citoyen  détenant  un  jugement  supplétif bénéficierait de plus de droits et d’avantages que celui détenant un acte de naissance » ;

Considérant qu’il affirme : « La Déclaration universelle des droits de l’Homme à laquelle le peuple béninois a réaffirmé son attachement à travers le préambule de la Constitution du 11 décembre 1990 énonce en son article 7 : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination ». L’article 3.1 de la Charte africaine des droits de 1’Homme et des peuples quant à lui stipule que « Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi ». La loi doit être la même pour tout le monde et doit être appliquée de la même façon pour tous. De même, l’article 26 de la Constitution dispose : « L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale ». La lecture commune des deux articles confirme que l’égalité de tous les citoyens est un principe de base cher pour toute démocratie en général et en particulier pour le Bénin. La décision du bureau politique émane d’une mauvaise lecture de l’article 44 de la Constitution du Bénin, est contraire à l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme  de  1948  et  viole  l’article  26  de  la  loi  n°  90-32  du 11décembre  1990  portant  Constitution  de  la  République  du Bénin » ; qu’il conclut : « Au vu de ce qui précède, il ressort que les dispositions de l’article 44 de la Constitution … fixent l’âge minimal à « 40 ans au moins » et non « 40 ans révolus au moins ». En conséquence, qu’il plaise à la Cour :

– de constater que, né en 1976, je remplis bel et bien les conditions  de  l’article  44  de  la  Constitution… tel  que rappelé supra ;

– déclarer la décision du bureau politique du parti Union fait la force (UFF) contraire aux dispositions des articles

26 et 44 de la Constitution, 3.1 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples puis, de me rétablir dans mes droits, car, né en 1976, je remplis bel et bien

les conditions d’âge … » ;

INSTRUCTION DU RECOURS

Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction diligentée par la haute juridiction, le président du parti Union fait la force (UFF), Monsieur André OKOUNLOLA, écrit : « … Je voudrais … reconnaitre les faits exposés par l’intéressé. Il a été suffisamment clair et fidèle dans la restitution de la séance du bureau politique tenue le 07 mai 2015. Pour ce qui concerne son analyse des faits, je dois avouer qu’il a été partagé entre certains participants à la séance. Deux camps s’étaient  verbalement affrontés sur son cas, le point d’achoppement étant, ainsi qu’il l’a évoqué, la lecture de l’article 44 de la Constitution … En effet, au cours de l’analyse des candidatures, un membre a émis une réserve sur la candidature de Monsieur Hermès A. C. GBAGUIDI, évoquant l’article 44 de la Constitution … Pour lui, Monsieur GBAGUIDI, né en novembre 1976, bien qu’étant dans sa 40ème année n’a pas

40 ans révolus. Un débat sémantique s’est alors instauré. Pour les uns, il importe de faire la différence entre 40 ans au moins (l’article 44 de la Constitution) et 40 ans révolus. Pour les autres, c’est le contraire » ; qu’il poursuit : « Monsieur GBAGUIDI est l’un des militants modèles de notre parti. Il jouit d’une très grande audience auprès de la jeunesse. Il a donc de très grandes chances de se faire élire candidat du parti. L’élection présidentielle de

2016 constitue une échéance capitale dans la vie de notre parti et nous ne voulons en aucun cas et pour aucune raison en être absents. C’est donc pour cette raison que nous avons estimé plus sage de rejeter sa candidature pour maximiser nos chances … Cette situation a engendré une crise au sein de la formation politique que nous ne sommes pas encore parvenus à gérer pour aller en assemblée générale afin de procéder à la désignation définitive du candidat … » ;

ANALYSE DU RECOURS

Considérant que les articles 26 et 44, 4ème tiret de la Constitution disposent respectivement : « L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale. L’homme et la femme sont égaux en droit. L’Etat protège la famille et particulièrement la mère et l’enfant. Il veille sur les handicapés et les personnes âgées » ;« Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République s’il :

– n’est âgé de 40 ans au moins et 70 ans au plus à la date de

dépôt de sa candidature » ;

Considérant que cette dernière disposition indique que pour être candidat à l’élection du président de la République il faut être âgé de 40 ans au moins à la date du dépôt des candidatures ; que la date du dépôt des candidatures pour l’élection du président de la République se situe dans l’année de l’élection ; qu’il en résulte que pour être candidat à  l’élection du président de la République, il faut être âgé de 40 ans au cours de l’année de l’élection ; que l’âge  atteint  par  une  personne  au  cours  d’une  année  civile donnée, c’est-à-dire, à une date quelconque de cette année correspond à l’âge atteint par cette personne  au 31 décembre de l’année en question en application de l’adage de droit français

« Année commencée, année acquise », du latin, « annus incoeptus habetur pro completo », qui signifie : « L’année entamée doit être tenue pour écoulée » ; que ce n’est que quand on s’exprime en termes d’années révolues que l’on compte rigoureusement le nombre d’années entières écoulées entre la date de naissance de la personne et la date de référence utilisée ;

Considérant que dans le cas d’espèce, il ressort des éléments du dossier que la candidature de Monsieur Hermès A. C. GBAGUIDI dans la perspective de désignation par le parti Union fait la force (UFF) d’un candidat pour compétir à l’élection présidentielle de 2016 a été rejetée  au motif qu’il n’aurait pas atteint l’âge requis ; que le requérant est né le 19 novembre 1976 ; que l’élection est prévue  pour  l’année  2016 ;  qu’au  cours  de  cette  année,  le requérant aurait atteint 40 ans ; qu’en conséquence, il satisfait aux exigences de l’article 44 de la Constitution et il sied de dire et juger que c’est à tort que son dossier a été rejeté par le parti UFF, alors que celui de Monsieur  Atao M. HINNOUHO, remplissant a  même titre que le requérant les conditions d’âge, parce que né vers 1976, a été retenue ; qu’en agissant tel qu’il l’a fait, le bureau politique de l’UFF a opéré une discrimination ;

D E C I D E:

Article 1er.- Le bureau politique de l’Union fait la force (UFF) a violé l’article 26 de la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera notifiée à Monsieur Hermès C. GBAGUIDI, à Monsieur le Président du bureau politique de l’Union fait la force, Monsieur André OKOUNLOLA et publiée au Journal officiel.

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