Réforme de la retraite au Bénin : mon point de vue sur le projet de loi

La condition d’admission à la retraite dans la Fonction publique au Bénin, anciennement fixée à « 55 ans d’âge ou 30 ans de service » par la loi 86-013, a été  modifiée, sur un projet du Gouvernement, en « 60 ans d’âge » simplement, par la 6ième Législature en 2013. C’est ce projet de loi (voté en 1ière lecture par le Parlement) qui est actuellement en relecture, sur demande du même Gouvernement.

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Cette relecture a donné l’occasion à un certain nombre de citoyens, dont notamment les syndicalistes et quelques personnalités, de se remobiliser  pour réclamer la réintroduction de la condition « 30 ans de service » en gardant toutefois les « 60 ans d’âge ». Ils avancent à cor et à cri que cela permettra de  résoudre le problème crucial du chômage des jeunes, lesquels constituent actuellement la majorité de la population béninoise.

     En exposant ci-après mon point de vue, par des analyses, remarques et propositions (le plus objectivement que possible), je voudrais apporter ma voix dans ce débat récurrent en guise de modeste contribution.

  1.   Constatons  ensemble  d’abord que  l’ancienne  condition de retraite, « 55 ans d’âge ou 30 ans de service », appliquée depuis 29 ans (1986 à ce jour), n’a nullement pu empêcher le chômage des jeunes de s’établir et de s’accentuer de façon drastique,  pas plus que ne l’ont fait, durant ces 10 dernières années,  les nombreux programmes d’emplois et de réinsertion des jeunes, logés dans moult Ministères et structures, avec des slogans d’invitation incessante des jeunes à l’auto-emploi!

  Cela ne signifie-t-il pas que les causes réelles du phénomène du chômage des jeunes se trouvent essentiellement ailleurs et que le seul régime de retraite dans la Fonction publique ne peut permettre de le résoudre, comme on l’observe dans bien de pays, même ayant  un système idéal de retraite ?

  Qui ne sait pas qu’actuellement, de nombreux postes existent et ne sont paradoxalement pas pourvus ? En effet, il manque du personnel  dans maintes structures (et les « grogneurs » le dénoncent sur nos ondes radiophoniques à longueur de journées), personnel dont le besoin est affreusement ressenti dans bon nombre de nos commissariats et postes de police, hôpitaux et centres de santé, écoles et établissements d’enseignement, etc., surtout dans les localités dites « zones déshéritées » et surtout dans le Septentrion où les jeunes rechignent à aller y travailler, préférant leur situation de chômeurs dans les grandes villes !

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  1.  C’est  bien simpliste et de courte vue d’affirmer péremptoirement que le maintien des aînés dans la Fonction publique au-delà de 30 ans de service est « synonyme de maintien des jeunes dans le chômage et dans la précarité » et que la réintroduction de cette condition va pouvoir faire résoudre automatiquement le problème que 29 ans de son application n’a pas permis de résoudre !
  1. N’est-ce pas une réalité scientifique que le flux d’entrée dans la Fonction publique (par les concours de recrutements) n’obéit pas aux mêmes critères et aspects que le flux des sorties (par les départs à la retraite, les démissions et les décès) ? Ce n’est donc pas une question de substitution de places !
  1.  En effet,  il ne peut être question de remplacements poste par poste à l’occasion des départs à la retraite, les jeunes à recruter ne pouvant évidemment pas occuper systématiquement les postes devenus vacants. D’ailleurs, un départ à la retraite peut même  donner lieu à un simple redéploiement du personnel ou à un recrutement d’un non jeune, de façon justifiée !
  1.  En outre, il n’est pas prouvé que le départ à la retraite d’un haut cadre  offre la possibilité de recruter trois jeunes avec la masse salariale  rendue disponible, comme allégué par  les syndicats, qui affirment aussi que le maintien en fonction de gagne-gros au-delà de 30 ans de service correspondrait à sacrifier des jeunes et que, dans ces conditions, ces parents-là, maintenus en fonction, ne cédant pas leurs places à leurs enfants, devraient avoir honte!
  1. D’autre part, qui peut continuer à défendre la situation, par exemple, où un jeune recruté à 18 ans d’âge est mis à la retraite à 48 ans par l’application des « 30 ans de service »  sous prétexte de la nécessité du recrutement d’autres plus jeunes ? Alors que, indéniablement, son départ constitue  une perte pour la nation sur le plan de l’utilisation efficiente des ressources humaines, étant donné qu’il est encore, certainement, plein de vigueur et de potentialités de production et de productivité dans l’activité qu’il vient de quitter ! Ce n’est pas forcément  un croulant !
  1. 7.   En réalité, tout cela n’est pas simple, car ce qui suit mérite réflexion pour bien le comprendre :

    – C’est avec la masse des cotisations prélevées  sur la population active qu’on paye la population des retraités, deux populations qui évoluent différemment dans le temps en fonction notamment des progrès de la Science et de la Médecine qui modifient les donnes des pyramides des âges et du vieillissement,  donc de la force du travail (en nombre et en qualité), du fait  que l’espérance de vie est prolongée (actuellement de 60 ans au Bénin). Donc, dans notre monde actuel, c’est normal que l’âge de départ à la retraite soit prolongé jusqu’à 60 ans et qu’on puisse travailler durant plus de 30 ans tant qu’on a de la vigueur !

   – Même s’il est vrai que les départs à la retraite libèrent des places dans la Fonction publique, permettant le recrutement de jeunes, il n’est pas moins vrai que cela n’apporte qu’une contribution,  toute relative, à la résolution du problème du chômage des jeunes.  Car, c’est essentiellement par la création de nouveaux emplois (du fait du développement de l’activité économique en liaison avec la croissance démographique) que, dans tout pays, on arrive à résorber tant soit peu le fléau du chômage en général et celui des jeunes en particulier.

  1.  Au total, avouons que c’est absolument simpliste, gratuit et même démagogique, toutes ces allégations avancées par les défenseurs du retour aux « 30 ans de service », allant jusqu’à signifier que ne pas le faire serait « un complot contre la jeunesse » ! Quelle exagération ! Il n’en faut pas plus pour déclencher un conflit de générations, déjà naissant.  
  1.  Enfin, en guise de synthèse et de propositions, je voudrais qu’il soit retenu dans ce débat (à mener sainement, sans état d’âme) ce que voici :

1) Le fait  de porter  l’âge de la retraite dans la Fonction publique de 55 ans à 60 ans,   sans la condition de « 30 ans de service », loin de constituer une menace pour les jeunes, offre plutôt des avantages certains qui compensent largement le fait décrié de ne pas permettre de libérer de places pour l’embauche des nombreux jeunes au chômage, lesquels avantages sont, notamment:

–  Plus la population active est importante (en quantité et en durée), plus grande est la masse des cotisations distribuable en pensions de retraite ; c’est le travailleur actif d’aujourd’hui qui sera demain le bénéficiaire puisque  le nombre d’années de cotisations compte beaucoup dans le calcul de la pension de la retraite.

–  Le fait d’utiliser l’expérience et les potentialités encore vigoureuses du travailleur maintenu en fonction au-delà de 30 ans de service ne peut que constituer une plus-value non négligeable dans les actions de développement du Bénin.

–  Sachant qu’il existe chez nous, jusqu’à présent, une pratique bien hypocrite, consistant à maintenir en fonction, par le biais d’un contrat spécifique, des agents devant aller à la retraite selon les conditions de la loi de 1986, cela, essentiellement sur base de népotisme ou de clientélisme politique (ce qui provoque des frustrations légitimes chez des jeunes), autant établir le fait par la  présente réforme,  qui fera disparaître quelque peu cette mauvaise pratique .

–  Le fait que les agents en positon de monter dans les postes libérés par les départs à la retraite à 60 ans vont avoir un peu plus de temps pour accumuler encore d’expérience est loin d’être négligeable.  Car, il y a bien avantage à ce que les jeunes travaillent plus longtemps aux côtés des « anciens » pour être mieux préparés avant de prendre le relai.    

–    Le fait, peu  profitable, d’avoir une population active en majorité jeune, pourra être corrigé.

–  Quelles que soient les conditions légales d’admission à la retraite, demeurent applicables les formules telles que retraite anticipée, retraite volontaire, retraite proportionnelle, où par exemple, un agent d’âge avancé, décelé médicalement  inapte au travail (suite aux visites médicales annuelles obligatoires), part ou est mis à la retraite.

2) Le chômage des jeunes constitue effectivement une insécurité notable dans la société, d’où sa résorption est d’une grande préoccupation. Mais, de là à estimer que c’est à travers le seul régime de retraite qu’on va enrayer le mal, c’est un pas trop vite franchi !  Car à mon avis, bien d’autres moyens existent pour  endiguer le chômage, à savoir :

–  Former les jeunes de façon adéquate pour les doter de solides compétences, en tenant compte permanemment de la croissance démographique et de l’évolution du temps ;

–  Commencer par recruter le plus  possible de jeunes au chômage pour les besoins déjà existants dans beaucoup de secteurs, comme dit plus haut ;

–   Créer les conditions permettant aux jeunes formés d’accumuler suffisamment d’expériences ;

–  Promouvoir sans cesse la création d’emplois par le développement de tous les secteurs d’activités (primaire, secondaire et tertiaire) en liaison avec la démographie et l’évolution du monde ;

–   Permettre au secteur privé de se développer, qui pourra être pourvoyeur d’emplois autant que le secteur public, sinon plus ;

–   Dépolitiser et rationaliser la politique de recrutement dans les différents emplois, au niveau de la Fonction publique surtout;

–   Au total, veiller à ce que la bonne gouvernance soit de mise partout et en tout (gouvernance politique, gouvernance économique et financière, gouvernance sociale, gouvernance locale) afin que tous les nombreux défis qui nous assaillent actuellement, dans la recherche du développement de notre pays, reçoivent solutions ; lesquels défis sont : Education, Santé, Infrastructures, Décentralisation, Agriculture, Commerce, Industrie, Justice, Environnement et Sécurité, Corruption et Perte des valeurs morales et éthiques, etc. Si, de la manière qu’il convient, tout est fait pour apporter de justes solutions à tous nos problèmes de développement intégral et harmonieux, le fléau du chômage des jeunes cessera assurément d’être une préoccupation majeure et  la présente réforme de la retraite dans la Fonction publique sera bien comprise et ses aspects bénéfiques  exposés ci-haut seront reconnus de facto par tous !

Par Philippe  HOUNKPATIN,  Dr.-Ing. en Génie électrique (France, 1971)
-Ancien DG/SBEE (1990-1995)
-Ancien DG/ESIE (Ecole Sup. Interafricaine de l’Electricité/ Abidjan, 1982-1985)
-Ancien Prof. d’Université (Génie électrique, Math et Physique / France, Bénin, Togo)

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