Ces expressions qui nous trahissent

On parle français au Bénin. Et les Béninois s’autorisent de reforger la langue de Molière sur l’enclume de leur vision du monde, de leurs émotions, de leur ressenti et de leur vécu. C’est un trait de génie qu’il convient de saluer.

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Il y a des expressions savoureuses comme « bonne assise » ou « attacher cola ».  Respectivement pour soulager une attente et pour induire une idée d’alliance, de mariage. Les expressions dont nous parlons dans la présente chronique ont une charge négative. Elles traduisent le rapport du Béninois à lui-même et à l’autre. Elles portent la vision que le Béninois a du développement de son pays et de son avenir. Elles trahissent l’être profond du Béninois, au-delà des apparences et des convenances.

« Tu as fait un peu ?« Ainsi se saluent les Béninois pour s’enquérir de ce qu’ils font de leur temps. Et l’on comprend vite que pour conduire sa vie, on n’a pas besoin de se décarcasser outre mesure ou de se fouler la rate plus que de raison. Moins on en fait, mieux cela vaut. Un peu comme dans l’expression « Mon verre est petit, mais je bois dans mon verre » Sans plus. Sans autre ambition. On peut s’arrêter au seuil de la maison. A chaque jour suffit sa peine. Le développement saura toujours attendre. Ainsi, « Tu as fait un peu ? » relève d’une vision minimaliste de la vie. C’est la philosophie des partisans du moindre effort, ces ouvriers de la onzième heure qui pointent ou qui se pointent tard sur les chantiers du développement.

« Dieu fera » Par cette expression, on s’extrait de tout en remettant tout dans les mains de Dieu. Ainsi se forge-t-on un destin de fataliste intégral, dans le sens de ce qui m’arrive de bien ou de mal est l’œuvre de Dieu. Seule compte sa volonté.  Quant à la mienne, je la plie tranquillement et la remet sagement dans les mains de Dieu. Et nous voici en pleine célébration du fatalisme, synonyme d’une absence totale, d’une absence assumée de la scène de sa propre vie. Parce qu’on pense que tout ce qui nous arrive devait arriver et qu’on ne peut rien faire pour s’y opposer. Ainsi, Dieu serait, tout à la fois, et le problème et la solution.

« Je ne suis pas dedans ». C’est le cri du dédouanement intégral. On ne veut se mêler de rien. On ne veut être mêlé à rien. Même s’il était établi que sa responsabilité, d’une manière ou d’une autre, serait engagée. « Je ne suis pas dedans » est ainsi la belle excuse que savent articuler, chaque fois et toutes les fois, certains chefs pour s’extraire de tout, pour se dédouaner de tout. On veut ignorer qu’une faute grave commise par le dernier des employés d’une entreprise peut ébranler toute la chaîne de responsabilité et emporter le patron. C’est le « Je ne suis pas dedans » qui explique qu’au Bénin, les chefs ne savent ni démissionner ni engager leur responsabilité morale quand les circonstances l’exigent. Ils préfèrent s’accrocher bec et ongles, avec l’énergie du désespoir.

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« Il s’est levé ». C’est ce qui s’entend, à longueur de temps, dans nos administrations. Soit pour excuser un retard. Soit pour justifier une absence. Et le pauvre citoyen-client en est ainsi pour ses frais. Le service qu’il est venu solliciter ne sera pas rendu. Les désagréments qu’un tel état des choses entraîne, il doit les subir. Le  » Il s’est levé » lancé par des collègues complices, membres d’une mafia bien organisée, est à tenir pour un pied de nez ou un bras d’honneur adressé au citoyen-client. « Va te faire foutre ! ».

« Toi, qui ?  C’est la défiance en toute arrogance, en toute insolence. La défiance à l’endroit de quelqu’un qu’on pèse, qu’on soupèse, avant de conclure, à tort ou à raison, à son inconsistance. Ce qui fait du « Toi, qui ? » le signal d’une bagarre, d’une empoignade. On bombe le torse. On bande les muscles. On est prêt à en découdre comme des chiffonniers.

« Tu va voir ! »C’est une expression qui transpire menaces. On marque à quelqu’un sa colère, avec l’intention de lui faire craindre le mal qu’on lui prépare. Pourrait suivre une guerre sans merci ponctuée de lancement de missiles. Des missiles visibles ou invisibles, des missiles sol-sol ou des missiles sol-air. Mais la guerre n’a jamais rien construit. Qu’on se le tienne pour dit

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