Aujourd’hui 09 décembre, c’est la journée mondiale de la laïcité. Une journée pas très connue bien qu’elle soit importante au vu de l’actualité du fondamentalisme religieux.
En prélude à ce jour, La Nouvelle Tribune est allée à l’Université internationale du Bénin (Uib), à la rencontre du professeur Albert Gandonou, président d’un mouvement laïc, Chrétien pour changer le monde (Cpcm) qui organise les 15, 16 et 17 janvier 2016 un colloque international sur le thème « La rencontre des religions et des laïcités pour le réveil de la fierté africaine et la promotion d’un patriotisme éclairé en Afrique». Auteur entre autres de deux manifestes dont «Comment je suis redevenu Africain» où il fait part de sa réconciliation avec le Vodoun, religion africaine à part entière qu’il place au même pied d’égalité que le christianisme, il explique de fond en comble la quintessence de la laïcité, fait part des combats des laïcs pour l’émancipation du monde et attire l’attention sur ce qui doit être fait en cette journée partout dans le monde et principalement au Bénin où il constate que le président de la République n’incarne en rien les vertus de la laïcité consignée dans la Constitution du pays. Lisez, plutôt.
09 décembre, c’est une journée consacrée à la laïcité dans le monde entier. Dites-nous professeur, ce qu’on peut entendre par laïcité ?
Quand on parle de laïcité on parle de gens qui développent des idées et des comportements sur la base de la conviction qu’il faut mettre à distance, le religieux. Le religieux ne peut plus tout régir. C’est historiquement que la chose est apparue. Pour dire la vérité, c’est même parfois pour résister au despotisme du pouvoir religieux qui à un moment donné, régentait tout vraiment. Le pouvoir religieux au niveau de l’Eglise catholique par exemple, un moment donné, avait le droit d’arrêter quelqu’un de le juger dans le cadre de l’inquisition, de le mettre au feu, au bûcher comme pour Jeanne d’Arc que malgré tout, on a proclamé Sainte après. C’est un mouvement qui est né sur la base de sauver la liberté de l’homme qui a le droit de penser par lui-même, de réfléchir par lui-même et de ne pas être tout le temps là à écouter tout ce qu’on lui dicte au nom de Dieu, à faire de Dieu de n’importe quoi au nom de Dieu. Quand on parle de la chose on le prend au terminus : cela conduit même a de grands combats .Par exemple quand on parle des francs-maçons ; c’était de grands combattants qui ont du s’organiser dans la clandestinité sur la base des bâtisseurs de cathédrales, des maçons ; pour travailler à l’émancipation de l’humanité .Par exemple on ignore aujourd’hui que la devise de la France est venue de la franc maçonnerie. Il y a des agnostiques qu’ on peut classer dans le domaine de la laïcité .Il y a des athées, des incroyants militants.
Faut-il donc comprendre que cette journée mondiale de la laïcité est une opportunité à saisir pour discuter de l’acceptation, l’un de l’autre ?
C’est une aubaine ! C’est une aubaine parce que la laïcité comprend des gens qui ont tout le temps été diabolisés. On a pris l’habitude, à force de diaboliser le prochain, de ne pas tenir compte que le monde que nous avons aujourd’hui a bénéficié de la contribution de tout le monde.
Quand on dit que quelqu’un est athée, à un moment donné, on dit que c’est le diable. Il faut qu’on se demande pourquoi ? Qu’est-ce qui l’a amené à être athée ? Est-ce que être athée fait de lui autre chose qu’un être humain ? Si nous ne nous posons pas la question de ce qui l’a conduit à être athée c’est peut-être parce que nous avons un déficit quelque part. Parce qu’il s’agit dans les temps que nous vivons, de nous ouvrir l’un à l’autre. Le maître mot pour nous aujourd’hui, c’est » apprendre à nous accepter ». Dire « aimer » c’est trop galvauder. Il nous faut, nous accepter, les uns les autres ; nous respecter comme des êtres humains. Face à ce que quelqu’un peut faire sur la base de conviction philosophique ou religieuse, que franchement, nous nous montrions miséricordieux. Le comportement du pape François, c’est un peu ça. Quand il s’est déchaussé pour entrer à la grande mosquée, c’est une image qui m’a beaucoup marqué. Le premier catholique qui se déchausse pour rentrer dans une mosquée ça doit nous faire réfléchir. Ça veut dire que les musulmans, c’est des gens respectables. On doit respecter leur conviction religieuse, mais on doit aussi respecter la conviction philosophique de plein de gens qui se réclament de la laïcité et qui quand on s’informe de l’histoire du monde, ont grandement contribué à l’évolution de notre humanité.
Le constat est qu’au Bénin, ce n’est pas une journée assez célébrée. Dites-nous ce que concrètement, il faut faire en ce jour consacré à la laïcité dans le monde.
Vu les temps que nous vivons, on devrait faire beaucoup ce 09 décembre pour sortir les laïcs de la diabolisation. Nous devons nous amener à changer notre regard sur notre prochain. Qu’on se dise qu’il y a des êtres humains qui se passent de religion sans être des criminels, sans être différents de nous. Mais bon, au Bénin, je n’ai pas d’illusion, je sais que ce 09, il n’y aura rien. Mais cette interview, c’est déjà quelque chose.
La religion n’est donc pas un facteur exclusif de bonification de l’être ?
On a vécu un temps de trop grande excroissance du religieux. Ceux qui nous gouvernent, sont venus avec des bibles en main, mais le bilan on le connaît. Quand on regarde ça, on constate qu’on n’a pas autant fraudé, volé, détourné sous les autres régimes que sous le régime de ceux qui sont venus la bible en main. Et on peut se dire la bible en main ou sans la bible en main, finalement, il faut juger l’être humain sur ce qu’il fait. Il faut démasquer ceux qui prennent le paravent de Dieu pour faire pire que l’homme le plus ordinaire. Ça doit nous amener à reconsidérer ces religions qui sont venues dénigrer les nôtres. La religion est liée à la culture. On a passé le temps à entendre les gens venus dire que nous n’avons pas de religions, nos religions ne tiennent pas la route, voici les vraies religions. Il n’y a pas de vraies religions, il y a des religions. Il y a des religions africaines, il y a des religions occidentales, il y a des religions asiatiques, il y a l’islam, il y a plusieurs christianismes… Il faut faire comme le père Francis Aupiais. Quand il est venu au Bénin, jeune prêtre, on lui a dit, »il n’y a pas de religion, ces gens, on va leur apporter de religion, on va leur apporter Dieu ». Mais il s’est fait l’ami de Zounon –grand prêtre de couvent- de Porto-Novo, et a dit que le vodoun est une religion. Beaucoup parmi ses pairs prêtres ne comprenaient pas ce qu’il dit, mais c’est à cause des sacrifices et des sacrificateurs. A le suivre, il a donné la définition de toutes les religions. C’est sacrifice et sacrificateur, jour sacré, objet sacré. Partout, c’est comme ça.
Quand vous évoquez l’histoire des laïcs, il y a notamment ceux du siècle des lumières non ?
Ceux qu’on appelle les militants de la laïcité, les hommes du siècle des lumières, les Voltaire, Didérot, en France, ils ont beaucoup apporté à l’homme. Les philosophes du XVIIIème siècle, c’est eux qui ont préparé la révolution française qui a mis à distance le pouvoir du clergé, le pouvoir de la monarchie. C’est les laïcs qui ont institué la République. Il faut qu’on reconnaisse ce qu’ils ont fait.
Vous, à Chrétien pour changer le monde, vous faites quotidiennement ce travail et en janvier prochain vous organisez un colloque. Que se passera-t-il ?
Cette interview me paraît d’une très grande importance par rapport aux préoccupations actuelles du Mouvement chrétien pour changer le monde (Cpcm) qui se prépare à organiser les 15, 16 et 17 janvier 2016 un colloque international sur le thème « La rencontre des religions et des laïcités pour le réveil de la fierté africaine et la promotion d’un patriotisme éclairé en Afrique». Le colloque de janvier, ce sera pour nous, une grande occasion. Des communistes seront présents, des francs-maçons seront présents. Nous allons les écouter, comment ils sont francs-maçons et restent être humain. Comment ils sont communistes…. comment ils ont des vertus qu’on ne retrouve pas toujours chez tout le monde. Il faut en ce 09 décembre, magnifier la laïcité.
De ce que vous dites, on se demande quel est l’état de la laïcité au Bénin qui est pourtant présenté comme un pays laïc ? Tout y est rose ? N’a-t-on rien à craindre de ce qu’on observe de fondamentalisme religieux ailleurs quand on sait qu’ici on peut se proclamer Dieu ou Déesse?
C’est déjà très important de rappeler que notre Etat, selon notre Constitution est laïc. Quand on a reconnu ça, il faut regretter que ce soit du bout des lèvres. On fait comme tout le monde, dans toutes
Constitutions depuis l’instauration des Républiques, il faut se réclamer laïc. On doit déplorer que cela n’est pas respecté. Sinon on ne devrait pas avoir un Chef de l’Etat qui se réclame d’une certaine religion. Il faut oser dire qu’on en fait un peu trop pour le religieux. Les religieux occupent toute la place et ils osent intervenir dans la chose publique comme s’il n’était pas dit dans notre Constitution que nous sommes un Etat laïc. La laïcité dans notre pays, a une place trop infirme. La laïcité, on n’en connaît pas la valeur. On doit juste se réjouir que s’est inscrit dans notre Constitution. C’est progressivement qu’on va découvrir que c’est toute une galaxie qu’on doit aller explorer.
Vous parliez tantôt d’un Chef de l’Etat qui se réclame d’une certaine religion. Le constat est que depuis que Boni Yayi est au pouvoir, bien qu’étant Président de tous les Béninois, il ne s’est jamais rendu physiquement à la fête des religions endogènes célébrée chaque 10 janvier alors qu’on le voit au pèlerinage marial, dans d’autres manifestations chrétiennes, les mosquées.
C’est un manque de respect ! C’est un manque de respect pour notre culture, pour la religion endogène. C’est qu’il –Boni Yayi- est dans le fondamentalisme évangélique qui diabolise justement les religions endogènes. La diabolisation se trouve à deux niveaux pour ce que nous sommes en train de dire. A l’intérieur de la sphère des religions, des religions s’entre-diabolisent. Et il y a l’idée qu’il y a des vraies religions et des fausses religions. C’est une idée à combattre. La révélation de Jésus, ce n’est pas pour fonder une religion. Si c’était pour fonder une religion que Jésus est venu, franchement c’est qu’il a perdu son temps et sa vie parce qu’il existe déjà de grandes religions, des religions éblouissantes en Egypte avant lui. Jésus a prôné une fraternité universelle. Si le Chef de l’Etat prenait en compte la laïcité de notre pays, il devrait trouver le temps d’aller marquer son respect aux religions endogènes et à ceux qui sont laïcs dans le sens qu’ils ne sont même pas croyants. Notre chef d’Etat, j’ai toujours pensé qu’il est plus évangélique que laïc.
Finissons avec des recommandations spécifiques pour cette journée de la laïcité, si vous en avez.
Je commencerais d’abord par vous remercier pour cet entretien sur cette journée que j’ignorais aussi. La joie que vous m’avez donnée, c’est savoir qu’il y a une journée mondiale de la laïcité et qu’il y a une raison pour son institution, il y a une raison pour que notre Etat soit laïc. Ce que je souhaiterais, c’est qu’on fasse davantage pour la laïcité, rien que pour équilibrer. Surtout par les temps que nous vivons, où au nom de Dieu nous sommes exposés à toute sorte de dérive, la laïcité. La laïcité, par les temps qui courent, peut être un rempart contre des dérives fondamentalistes de ceux qui prétendent être dépositaires de la vraie religion.