Depuis 1990, la démocratie béninoise a été la chandelle dans une Afrique infestée de pseudo-démocraties et de régimes autocratiques. En 2015, elle semble montrer des signes évidents d’essoufflement. En vingt cinq ans, on a assisté en une liquidation progressive de la classe politique. Les leaders patriotes et engagés d’hier ont tous disparu au profit d’une coterie de marchands d’illusion et de suffrage.
La confusion est totale à Cotonou. A moins de trois mois de l’élection présidentielle du 28 février, il est malaisé de dire qui va l’emporter. Sauf bouleversement politique de dernière heure, on sait au moins que le successeur de Boni Yayi, ne viendra pas, comme lui-même, de la classe politique. Ceux qui semblent être en tête dans les intentions de vote ne proviennent guère de ce milieu. Il y a le banquier d’affaires Lionel Zinsou promu en juin dernier Premier ministre par Boni Yayi et les deux ploutocrates Sébastien Ajavon et Patrice Talon. Toujours dans le peloton de tête, deux banquiers centraux Pascal Irénée Koupaki – qui s’est toujours méfié de la classe politique- et Abdoulaye Bio Tchané qui, malgré la création d’une alliance de partis politiques le soutenant ne s’est jamais hasardé à jauger sa popularité à une quelque élection. C’est bien après ce peloton que devrait suivre les premiers hommes politiques Eric Houndété, Emmanuel Golou et Robert Gbian, un néophyte fraîchement élu député pour la première fois. Tous trois souffrent du manque de soutien de leurs partis ou alliances de partis qui n’arrivent pas toujours à désigner leurs candidats. Mais tout peut encore chambouler. Les acteurs politiques étant connus pour être très lunatiques, on peut bien craindre un changement de situation favorable à certains qui sont moins en vue aujourd’hui. Autre chose qui favorise cela, l’insincérité de l’électeur béninois qui peut soutenir tout le temps un candidat, participer à ses meetings et ne pas voter pour lui. Ceci dit, l’élection présidentielle de 2016 réserve bien des surprises.
L’argent, clé de toute élection
Il n’est pas moins une surprise le fait que des hommes d’affaires très fortunés décident de briguer la magistrature suprême. Depuis des années, ils ont toujours été des personnages de l’ombre qui ont financé discrètement les campagnes des hommes politiques qui aspirent aux hautes charges de l’Etat. Mais jamais ils n’ont osé d’afficher au grand jour comme des acteurs de premier plan de la chose politique. Mais cette fois-ci, c’est eux qui prennent le devant des choses comme si de 2011 à 2015, quelque chose de fondamental a changé dans notre pays. Ce qui a amené ces ploutocrates à se lancer dans la bataille c’est la raréfaction ou la quasi absence d’hommes courageux, prévoyants, combatifs, peu cupides, ambitieux sur la place. Tout ce qu’il y a de qualité n’est guère politique. C’est alors que Patrice Talon et Sébastien Ajavon se sont trouvés des talents et des qualités d’hommes politiques. En vérité, ces ambitions des hommes d’affaires ne doivent étonner. C’est un long processus qui a commencé depuis 1991, année de la première élection présidentielle de l’ère démocratique avec l’introduction de l’argent dans le vote au Bénin. Au fil des années, l’argent s’est imposé comme la clé des élections. Le système étant désormais basé sur l’argent et les élections de plus en plus chères, la politique est devenue donc l’affaire des commerçants, des hommes d’affaires, des trafiquants de drogue qui se sont embourgeoisés au fil des ans. Aujourd’hui au Bénin, ils ont presque pris en otage presque tout l’appareil d’Etat en y excluant progressivement les intellectuels de conviction voulant faire carrière dans la politique pour changer les choses. Face à la puissance de l’argent développée par cette nouvelle race d’hommes politiques, un fonctionnaire, un ouvrier, un salarié ne peut plus gagner une élection, quels que soient sa force de persuasion et son engagement. A l’Assemblée nationale comme dans les mairies, ils sont majoritaires. Cette nouvelle classe politique ne connaît que l’argent. C’est un tel système qui a fabriqué Talon et Ajavon et qui a provoqué l’inversion des rôles qu’on observe aujourd’hui avec des hommes d’affaires qui prennent le devant des choses et des hommes politiques se mettent au second rang pour les soutenir. Nul ne s’est étonné lorsque, voulant quitter la tête de son parti, Albert Tévoédjrè n’a trouvé personne comme successeur que le richissime douanier du groupe. On ne devrait pas donc s’étonner de les voir vouloir être président de la République.
Dislocation des partis
L’autre grande cause qui explique la déconfiture politique actuelle, c’est la fragmentation des grands partis. Ce chantier a commencé sous les deux quinquennats du général Mathieu Kérékou. Pour avoir un quinquennat stable et ne pas trop subir le diktat des grands partis, le Général a travaillé pour affaiblir certains grands partis. C’est ainsi que le Madep a été créé pour amputer le Prd d’une grande partie de son électorat du département du Plateau. Des dissidents du Psd ont créé l’Ipd Gamèsu qui asseoit son hégémonie sur le Mono. Dans le septentrion, le Fard-Alafia a connu une dissidence qui a donné naissance au Car-Dunya. La Rb quant à elle, a connu plusieurs vagues de démission de députés et militants influents qui ont créé de micro partis pour se rallier à la majorité présidentielle. Boni Yayi a donc hérité de ce chantier qu’il a conduit avec dextérité et qui lui a permis de bénéficier de majorité à l’Assemblée nationale en dépit de l’opposition des grands partis à sa politique. Avec ces deux causes, on peut comprendre pourquoi les partis politiques n’arrivent pas à désigner leurs candidats. Une chose est évidente, même s’ils le font, leurs candidats ne pourront pas gagner puisque tous les partis ont des fiefs communaux ou au plus départementaux. C’est ce qui explique le fait que ces partis sont obligés de venir appuyer un candidat qui a des chances de gagner et qui sans eux, était crédité d’un bon pourcentage de vote. En 2006 ce fut le cas de Boni Yayi. En 2016, il faut craindre que les partis ne viennent juste que pour sécuriser l’élection d’un président après avoir échoué dans leur mission première de gagner par leur propre force le pouvoir.