Lionel Zinsou, encore un nouveau messie surdoué pour sauver le Bénin ?

Au-delà de la polémique sur le bien fondé de la candidature de Lionel Zinsou , votre journal ouvre le débat sur pertinence de ses propositions pour sortir notre pays du sous-développement.

Charles B Lokonon, auteur d’un précédent article « Lionel Zinsou : proconsul ou le chef de file d’un partenariat gagnant gagnant » est un des Béninois de la Diaspora acteur de premier plan des mouvements démocratiques des années 70 à 80. Il revient ici sur son parcours et démontre savamment son inaptitude à opérer la rupture qu’exige le régime failli du docteur Boni Yayi. 

Le premier ministre que YAYI nous a donné, fait feu de tout bois depuis que notre président en fin de mandat l’a imposéà son alliance FCBE, comme son dauphin. Profitant de la conférence COP21 et sa couverture médiatique, le premier ministre a lancé une véritable offensive médiatique, principalement en direction de la diaspora de France et secondairement en direction des élites du Benin : RFI, France 24, BBC, le Monde etc… Jamais un politicien béninois n’avait eu accès aussi facile et aussi extensif aux medias dits internationaux.

Une précédente chronique avait discuté de la question de savoir si Mr Zinsou était un proconsul, ou le chef de file d’un nouveau partenariat gagnant gagnant. Depuis chacun a pu se faire une opinion, mais nous attendrons la fin de sa fonction de premier ministre pour tirer des conclusions définitives, meme si ses premiers pas semblent confirmer la première hypothèse (proconsul).

A moins de trois mois des électionsprésidentiellesqui vont –deil est en plus et surtout béninois par choix, ce qui nous semble encore plus important l’avis de tous les observateurs – marquer une importante transition dans notre pays, il nous semble intéressant de revisiter le parcours du « surdoué », de l’ancien de l’Ecole Normale de la Rue d’Ulm, une des institutions au sommet de la hiérarchie –réelle ou perçue- des institutions du savoir en France, et discuter comment il pourrait ou non marquer positivement notre pays commun.

Nationalité béninoise et Acculturation

Commençons tout de suite par évacuer la question de la nationalité, du caractère béninois de notre premier ministre. Cette question ne fait pas l’ombre d’un doute. Mr Zinsou est Zinsou, non seulement béninois par son père, le Pr. Zinsou, il est en plus et surtout béninois par choix, ce qui nous semble encore plus important, car il aurait tout aussi bien pu choisir de ne pas l’être ! Mais une fois reconnu son caractère foncièrement béninois, on ne peut occulter le fait que comme béninois né et ayant grandi à l’étranger, il est exposé au phénomène d’acculturation, c’est-à-dire l’influence croisée de plusieurs cultures, celle d’origine –béninoise en l’occurrence- et celle dominante et d’adoption ou d’imposition –la française dans le cas présent. Cette acculturation difficilement évitable dans une société française dont le modèle et le credo est l’assimilation des populations immigrées, est un avantage et un handicap. Avantage, il l’est en ce sens qu’il pourrait signifier l’appropriation de modèles culturels réputés efficaces en termes d’adaptation aux changements rapides du monde « moderne ». Handicap, il l’est certainement en termes de capacité à communier avec les populations dont on demande le suffrage, et à partager avec elles le sens d’un passé et / ou d’une destinée communes.

Economiste de développement ou patron du « capitalisme charognard » en France

Diplôme de l’Ecole Normale Supérieure–ENS- de la Rue d’Ulm, Mr. Zinsou se présente sur les ondes et surtout aux béninois comme un « spécialiste » de l’économie de développement. Cette assertion mérite d’êtreexaminée.

L’ENS est un établissement dont la vocation première est la formation d’enseignants et de chercheurs, voire de penseurs ayant souvent taclé les problèmes de société, d’éthique, de morale, etc… Parmi les anciens célèbres, on compte Léon Blum, dirigeant de la SFIO, Jean Paul Sartre, philosophe engagé… Nombreux biensûr, sont les anciens de l’ENS qui finissent à l’ENA avant de rejoindre les cabinets ministériels de droite comme de gauche (caviar). Mais ceux qui se disent économistes, en général consacrent leur carrière à la recherche en économie et sont souvent auteurs de ruptures majeures dans le domaine des sciences économiques. Parmi les récents économistes chercheurs se trouve Piketty, auteur de travaux généralement considérés comme originaux sur les inégalités dans le système capitaliste.

Il est assez rare , voire inédit que les diplômés de l’ENS se retrouvent dans la finance d’entreprise, qui plus est dans cette partie de la finance, a la réputationsulfureuse et pas toujours honorable de « capitalisme charognard » ( rachat d’entreprise avec fort endettement et effet de levier, « restructurations industrielles », surprofits sur le cadavre d’entreprises industrielles en difficulté,requinquéesà la va vite et revendues avec des profits faramineux…etc…), généralement le domaine de prédilection des diplômés d’HEC et autresécoles de commerce, les « épiciers » et fils à papa,comme les appelaient dans le passé ceux qui passaient pour les « seigneurs «  de l’intelligentsia française ( ENS, X, ENA…). Sauf erreur, les économistes diplômés de la Rue d’ULM  passés dans la finance, peuvent se compter sur les doigts d’une main, notre premier ministre étant un des rares –à notre connaissance-, à troquer la recherche et l’enseignement de  l’économie pour les « leveraged buy out » qui font la fortune des fonds d’investissement prives ( private equity funds) et leur gérants (partenaires). Il n’y a pas forcement de honte à cela, mais on s’éloigne la de l’économie du développement et de la recherche théorique sur les problèmes du monde et de la société –notamment africaine !

Contrairement aux private equity ou le succès semesure en nombre de millions d’euros –ou de dollars – gagnes gagnés par an –devrait-on dire gruge grugés ?-, le succès en matière de recherche et d’enseignement se mesure par le nombre de publications. En ce domaine, notre premier ministre est loin d’être prolifique.A l’appui de sa légitime revendication d’être reconnu comme expert en économie du développement –notamment en Afrique-, le premier ministre nous dit avoir conseillé les gouvernements africains comme ceux du président YAYIYayi, BONGOongo, OUATTARRAOuattara…Le moins qu’on puisse dire , au vu des résultats dans ces pays, c’est que ses conseils n’ont pas produit de miracles cimentant sa réputation d’ »expert » en économie du développement !

Contrairement auprésident YAYI qui nous a été vendu pour son expertise –inexistante- en « économie du développement », l’agilité intellectuelle et l’apparente maitrise des grands dossiers internationaux ne semblent faire l’objet de doutes. Ces certitudes qui ne semblent fondées sur des expériences réussies de transformation sociétales, sont montées en épingle par des partisans et courtisans pressées de nous vendre un nouvel oiseau rare. Au demeurant, rien ne dit que pour être un bon président au Béenin, il faille êtrespécialiste d’»économie du développement ».  Cette insistance à se présenter comme le spécialiste du développement qui aurait les recettes miracles pour nous sortir du « sous-développement » fait partie de ces mythes trompeurs agités à chaque échéance électorale.

Course au pouvoir

Le premier ministre nous dit dans certaines de ses interviews, ne pas êtreintéressé par le pouvoir. Ni en France ou il aurait observé d’un regard amusé les agitations autour de Laurent Fabius,son professeur puis patron, ni au Bénin, oùu il serait président – plus précisément candidat- « malgré lui », motivé par le seul désir de se rendre utile, de « faire bouger les lignes ».

On eut aimé le croire. C’est un fait que nombre de Bbéninois de la diaspora souhaitent apporter quelque chose à leur pays, animés du sincère et ardent désir de faire quelque chose pour que ça change vraiment !

Mais dans les faits, on voit que Mr Zinsou a toujours été attiré par le pouvoir dont il a souvent cherchéàêtre proche ! Dans les faits son engagement dans la communauté béninoise ou africaine, son implication dans les luttes pour la démocratie et le progrès dans notre pays sont à chercher (avec une loupe…). La condamnation de son oncle Emile Derlin Zinsou par la clique Kerekou parait une excuse facile…

Il aurait pu continuer dans la tradition de recherche et d’enseignement qui est celle des normaliens quand ils ne prennent pas la voie de l’ENA et d’une carrière politique. C’est un fait que noir, dans une France frileuse et repliée sur elle-même (un peu moins aujourd’hui qu’au début de sa carrière), il a pu avoir fait un calcul réaliste de ses chances de succès dans un rôle de premier plan dans le landernau politique français. Paris n’est pas Washington de ce point de vue, en dépit des particularités et de la persistance du racisme des deux côtes de l’Atlantique !

Mais son choix de carrièrea à Danone avec le patron de gauche Riboud, puis à la banque d’affaires Rothschild, avant d’atterrir dans un private equity fund, et plus encore ses rôles de conseiller de présidents pas vraiment connus pour l’efficacité de leurs politiques publiques, traduit bien une attraction pour le pouvoir, qu’il soit d’entreprise ou politique ! On ne devient pas partenaire d’un private equity fund –après une âpre lutte pour le pouvoir suite au renvoi des gérants d’avant la crise de 2008- sans un appétit et des talents affutés par une longue expérience des intrigues et arcanes du pouvoir. Au demeurant, son irruption sur la scène politique béninoise loin d’être le fruit du hasard, semble le fruit d’un plan bien étudieétudié, y compris les échéances de départ de PAI, l’engagement dans la préparation et la conduite de la conférence des « donneurs » à Paris, et le timing de la visite de François Hollande au Béenin…

Au total, les dénégations du premier ministre ne sont pas crédibles, et son irruption sur la scène politique béninoise, tout comme son plan de communication agressif, soutenu par la presse institutionnellefrançaise, semblent bien participer d’un plan établi, peut-être de longue date, pour la conquête du pouvoir suprême au Béenin.

Politiques de développement ou laboratoire d’ »essais cliniques »

Pour finir, on aimerait pouvoir examiner les politiques publiques que le premier ministre entend mettre en œuvre pour sortir notre pays du cycle de la misèreendémiquequi va s’aggravant. En ce domaine, les vues du premier ministre se devinent à travers ses nombreuses interviews et ses premier pas. On attend toujours du candidat à la présidentielle, une visionélaborée,déclinée en programme d’action, sur la base de fondements théoriques et/ou idéologiques(un mot quele premier ministre qui se dit technocrate, peut ne pas vouloir utiliser…).

Il professe son amour pour les approches soit disant décentralisées, les « microprojets », pouvant dit-il affecter la vie des gens au quotidien, faire bouger les lignes, s’appuyant sur le mouvement associatif etc…

Cette approche semble  avoir des points communs avec les approches dites de « randomisation » appliquéesà l’évaluation et de plus en plusàla prescription des politiques publiques d’allègement de la pauvreté telles que développées par Esther Duflo, une autre diplômée de l’ENS, -spécialiste d’économie du développement, chercheur- enseignant au MIT américain (précisément dans le laboratoire d’allègement de la pauvreté et du développement économique). Cela serait cohérent avec les vues du premier ministre selon lesquelles il faut se concentrer sur l’extrême pauvreté (par opposition à la pauvreté en général), expérimenter et généraliser des expériences « décentralisées », ce que les états ne sauraient pas faire, la primauté de l’associatif, etc…. On eûut aimé que le premier ministre, maintenant candidat à la magistrature suprême, développadéveloppât de façoncomplète ses vues, afin que le débatdémocratique puisse avoir lieu sur ces questions qui engagent notre avenir.

S’il est clair que les micro-projets ( à des échelles locales, supportés par lesmicro-crédits notamment) peuvent contribuer à la réduction des effets les plus insupportables de la pauvreté, notamment dans les couches « dites à risques » ou vulnérables dans le jargon des « PTF », il reste à prouver que ces micro-projets ont des effets d’entrainement pouvant enclencher un cercle vertueux de la croissance et de réductionsystématique et durable de la pauvreté ( pas seulement de l’extrêmepauvreté, celle-là qui est insupportable aux âmes occidentales lorsqu’elle s’affiche sur leur écrans de télévision a l’heure des diners pantagruéliques).

Le projet « Lumière pour tous » qui semble avoir absorbé toutes les énergies du premier ministre –en lieu et place du développement de politiques publiques d’ensemble –(le temps court n’étant qu’une excuse a notre avis) est symptomatique et emblématique de cette approche par micro-projets ou laboratoires d’essais cliniques. Ces essais cliniques laissent entièeresles questions de la croissance économique et de la dépendance de nos économies vis-à-vis du centre européen, français dans le cas de notre pays.

Mieux ils pourraient pérenniser la situation d’éternelsquémandeurs d’aide dans la mesure où les micro-projets (parant au plus presse pressé avec des fonds empruntées pour des solutions locales et souvent limitées) ne peuvent générer les plus-valuesnécessairesà l’accumulation a à grande échellesde capital que requiert des sauts qualitatifs…

Dans le meilleur des cas, l’extrêmepauvreté reculerait, pendant que la situation générale de pauvreté se renforcerait (les 10% extrêmement pauvres venant grossir les rangs des 80% pauvres, qui restent pauvres, mais pas extrêmement pauvres …).

Dans le pire des cas, le recul de l’extrême pauvreté est temporaire, et/ou localise, le temps que le cycle des dettes,annulations de dettes, re-dettes reprenne !

Une critique théorique de l’approche micro-projets et expérimentale (Duflo, la reine de la « randomisation ») que semble privilégier notre surdoué national peut être vue dans l’article critique de Agnès Labrousse, professeur d’économie  dont nous citons un passage :

«  Or certains phénomènes majeurs en matière de développement nécessitent d’être également analysés à l’échelle macro ou méso-économique : les rapports de force et les processus de négociation internationaux, le syndrome hollandais (Corden & Neary, 1982) et l’évolution des termes de l’échange (Sapsford & Balasubramanyam, 1994), les effets de domination, d’agglomération et de jonction théorisés par Perroux (1961),  (soulignes par nous) les effets de remous et de propagation analysés par Myrdal (1957), les matrices inputs-outputs et les chaînes de valeur globales (Henderson et alii, 2002) ou encore les complémentarités institutionnelles (Amable et alii, 2005), etc. Or les essais randomisés constituent un outil remarquable d’isolation de l’effet d’une action spécifique en faveur du développement mais ils ne saisissent pas les interactions entre différentes actions – de même qu’ils sont mal ajustés en pharmacologie à l’analyse des interactions médicamenteuses«

En guise de conclusion

Il est clair que le premier ministre que le président YAYI nous a donné et maintenant imposé comme son dauphinpotentiel ne saurait être un messie. Ses qualités intellectuelles sont indéniables, de même que sa culture profondément française, qui n’enlève rien à sa citoyenneté béninoise.

Au demeurant, des messies, des oiseaux rares, nous en avons déjà connu – y compris le président actuel- sans que nos peuples atteignent la terre promise, ou même s’en rapprochent d’un iota.

Les réputations surfaites ou réelles de crack, d’économiste de développement ne sauraient être un substitut a un véritable contrat avec les peuples sur la base de vision claire suscitant l’adhésion et l’enthousiasme de tous ou du moins d’une large majorité (pas 50, 01%). Ce contrat doit être porté par une équipe crédible, non seulement compétente et intègre, mais à l‘unisson avec le peuple qu’il prétend diriger, et non au-dessus de lui dans une attitude de condescendance, même compatissante

La nécessité urgente de la construction nationale et régionale, en rupture avec les relations de dépendance avec la France et l’occident, est le substrat sur lequel un tel contrat peut s’établir, à partir d’une analyse critique et réaliste des causes de notre stagnation ou recul.  Le diagnostic précède l’action, et un mauvais diagnostic ne peut aboutir qu’à des replâtrages dans le meilleur des cas.

A ce jour, nous ne voyons pas dans le parachutage du premier ministre, les éléments de ce contrat, et encore moins cette équipe pouvant l’exécuter… Les autres hommes d’affaires candidats n’offrent pas de meilleure alternative, la compétition se déplaçant sur le terrain des milliards à dépenser ou distribuer lors de la campagne (les FCBE plaçant la barre a 5 milliards !).

Comme le Fa de nos ancêtres, nous voyons plutôt des nuages s’accumuler, avec une flopée de prétendus capitaines sans plan, ni équipages dignes de confiance, alors que nous allons vers une mer agitée…

Dieu qui dit-on aime le Benin, nous aidera, si  nous nous aidons nous-mêmes, en exigeant clarté, plans et gages de crédibilité au travers des équipagesappelléesà prendre la barre.

Comme le dit si bien le Creuset pour la Démocratie et le Progrès –CDP-,

« il est temps que les forces vives de la nation s’assument, cessent d’être des complices de fait de régimes  faillis, contribuent davantage à promouvoir le progrès économique et social  pour être du bon côté de l’Histoire »

Charles B Lokonon, Atlanta Usa

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