Lionel Zinsou, Proconsul ou Chef de file d’un nouveau partenariat gagnant-gagnant

En 1984, François Mitterrand, le président français, englué dans une crise de confiance du peuple français et une crise socio-politique décide de frapper un grand coup en nommant Laurent Fabius comme premier ministre – le plus jeune 1er ministre, normalien et habitué des prix d’excellence.

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Ce coup ne lui permettra pas d’éviter la défaite aux législatives de 1986.Notre président, YAYI BONI, battu aux législatives de 2015 pour lesquelles il s’était engagé à fond, ayant perdu la majorité absolue et la présidence de l’Assemblée Nationale, tente de redorer son blason en tentant lui aussi un coup. L’histoire nous dira dans 10 mois et au-delà,le résultat de cette tentative.

On peut d’ores et déjà prédire que l’histoire ne sera pas clémente pour le président YAYI, élu a 75% des voix, avec un clair mandat pour changer la société et l’économie, et dont les résultats sont pour le moins mitigés. L’histoire jugera sévèrement les résultats du président YAYI au plan économique ( croissance limitée à moins de 6%, déficit croissant de la balance extérieure, endettement et arriérés de paiement croissants…), social (chômage des jeunes à un niveau désespérément élevé, tensions sociales répétées), et politique (scandales a répétition, tensions avec l’opposition et même sa propre majorité, tendances autoritaires et disfonctionnement des institutions de contrepouvoir dont il veut faire des complices, contrairement à l’esprit et la lettre de la constitution).

Au-delà de cette tentative du président YAYI de s’acheter une fin de règnedécente, il nous semble souhaitable d’analyser les raisons pour lesquelles, un membre éminent de l’establishment français, de cette« gauche  caviar », qui a partagé les rênes du pouvoir avec la droite classique au cours des 35 dernières années, se retrouve brusquement à la tête d’un petit pays d’Afrique.

Certes, nous ne ferons pas à notre premier ministre l’injure de ne pas croire ses déclarations selon lesquelles il veut se rendre utile à son pays. C’est certainement le désir de tout Béninois de la diaspora, surtout quand au soir de sa carrière professionnelle à l’étranger, on a déjà réussi selon les critères habituels. Mais au-delà des désirs et souhaits de l’individu, quelles sont les forces sociales et politiques en œuvre et quels sont les enjeux pour le Bénin ? Le projet français dereconquête –nous ne disons pas encore coloniale-peut-il être un partenariat gagnant – gagnant pour le Benin –voire l’Afrique- et la France ? Lionel Zinsou peut-il dans ce cadre, imprimer au Bénin la modernité et l’efficacité dans la gestion des choses et des hommes ?

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La nécessite de la reconquête pour la France

L’influence d’un pays est sur le long terme déterminée par sa puissance économique et accessoirement militaire. La part de marchédans le commerce international traduit les rapports de force économiques. Sur ce plan les nouvelles, sans êtredramatiques – la France fait encore partie des grandes puissances économiques- ne sont pas bonnes, car la tendance est à l’érosion de ses parts de marché. Comme l’illustre le graphique ci-dessous les exportations françaises de biens déclinent depuis 1990 avec une accélération de la baisse depuis 2000. Ce qui est vrai des biens –illustré par le graphique ci-dessous l’est aussi pour les services -même si les pertes de parts de marché sont moindres – Paris ville lumière aidant. Certes l’Afrique, et le BENIN en particulier ne sont pas aujourd’hui les plus grands marchés d’exportation pour la France (Europe, USA et Asie viennent en tête), mais globalement, par rapport au poids de son PIB dans l’économie mondiale, les marchés africains au sud du Sahara absorbent plus que les autres clients de la France. Sur le continent Africain, la France perd des parts de marché, passant en deux décennies, de 10% à moins de 5% alors que celle de la Chine par exemple dépasse les 15%.

Avec son milliard d’habitants (900 Millions en 2012) dont plus de la moitié est jeune, une économie qui malgré tout croît de 5% en moyenne ces dernièresannées, l’Afrique sub-saharienne est une cible clé pour la France, si elle veut sortir de son déclin et regagner une influence en Europe et dans le monde, ce d’autant que la compétition est plus ardue sur les autres marchés (plus éloignés géographiquement et culturellement) et le réservoir de croissance démographique et économique moindre. Le rapport Védrine –auquel notre nouveau premier ministre a participé ne dit pas le contraire, même si le langage des énarques évite les termes aussi crus que ceux de reconquête (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000824.pdf ).

Il est donc clair que pour la partie la plus lucide du grand capital –celle qui voit loin- et de l’Etat Français(qui pour l’essentiel sert le grand capital), la reconquête de l’Afrique – dont la partie zone Franc n’avait jamais été vraiment perdue – est un impératif majeur. Les moyens diffèrent, SARKOZY employant la canonnière coloniale et l’arrogance outrancière, Hollande préférant une approche moins ouvertement violente.

C’est dans ce cadre qu’on peut analyser l’envoi au Benin d’un premier ministre d’exception pour d’une part assurer que les investissements du grand capital français seront bien gérés et les résultatsà la hauteur des espérances tant en termes de rentabilitéimmédiate que de conquête de part de marches.

Le BENIN –et au-delà l’Afrique peuvent ils être gagnants dans ce deal ?

Les conditions d’un partenariat gagnant – gagnant

A l’ère de la globalisation, il est clair que les économies africaines doivent relever un certain nombre de défis. Comme l’a montré l’exemple de la Chine récemment, ces défisnécessitent des formes de partenariat, à condition que ces partenariats ne soient pas à l’image de celle du cheval et du cavalier. Pour êtrebénéfiques, les partenariats doivent être dans l’intérêt bien compris des deux parties. Le temps des réparations (de l’esclavage et de la colonisation), et de la dette morale – aussi légitimes qu’ils soient- est révolu, s’il a jamais existé pour les occidentaux. Il s’agit pour l’Afrique, le Bénin en ce qui nous concerne, de définir clairement ses intérêts, ses objectifs, tout en comprenant et en prenant en compte les intérêtslégitimes des autres, car le temps de la charité est aussi révolu –s’il a jamais existé. Il nous semble important d’établir les préalables d’un tel partenariat avant de voir si l’arrivée du nouveau premier ministre peut y concourir.

Souveraineté nationale et maitrise des décisions

Nul ne peut faire le bonheur des Béninois 0 leur place et la condition première de la sortie de l’ornière est la prise en main de nos destinées. Que le choix du premier ministre béninois soit discutéà Paris n’est pas de bonne augure de ce point de vue. Pour exister , nous devons nous définir, définir la stratégie de développement que nous voulons et les moyens d’y aboutir. Nos hommes politiques doivent cesser d’être soumis à Paris, Londres, Washington ou Pékin. Souveraineté ne signifie pas isolement, car dans le monde d’aujourd’hui, nul ne peut réussir seul, mais nous devons garder la maitrise de nos choix, de nos partenaires. La France est-elleprêteà accepter cela ? Rien de moins sûr. La classe politique béninoiseest-elle prête à assumer ce rôle ? Rien de moins sûr ? Il faut être deux pour danser et le changement doit commencer chez nous par la rupture des liens de servilisme. Là encore la Chine est un exemple, même si tout n’y est pas parfait.

Le capitalisme national et continental, une exigence et une priorité

Quels que soient les choix idéologiques des uns et des autres, il paraît une évidence que la sortie de la misère passe d’abord par l’émergence d’un capitalisme national, d’une bourgeoisie nationale, d’une classe moyenne nationale. Le grand capital français acceptera-t-il de contribuer à la naissance et au développement d’un capitalisme national –concurrent mais partenaire potentiel-, comme cela a été le cas en Chine, ou continuera de ne voir en nos pays, qu’un marché où déverser ses produits sans aucun effet de levier pour nous ? Verra-t-il la construction d’un vaste marché continental comme un danger ou une opportunité ? Construire un capitalisme national requiert des entrepreneurs nationaux protégés et privilégiés–au moins au début- par rapport aux entrepreneurs étrangers, un marché national. Le temps ou les Bolloré font réécrire les contrats et tentent de monopoliser les secteurs les plus profitables de l’économie doit cesser. Bien sûr il faut des entrepreneurs et là aussi, le changement commence chez nous. Une politique volontariste de promotion et de protection de la production locale alliant transfert et appropriation de technologie, tarifs douaniers, partenariats d’entreprise obligatoires est un ingrédient essentiel.

Ces deux conditions et préalables d’un partenariat gagnant – gagnant seuls peuvent permettre d’aborder les défis de notre pays

La « nouvelle » politique française et nos besoins immédiats d’accroissement massif de la productivité et de la production

Il n’est de richesse que d’hommes et sans un accroissement massif de la productivité, on ne peut espérer un quelconque décollage. Cet accroissement de la productivité requiert des investissements lourds et des réformes clés notamment dans

  • L’Education et l’appropriation des technologies
  • L’Agriculture et le régime foncier
  • Les Infrastructures de base
    • Energie
    • Transport (Routes, Rails, Canaux…) 
  • L’Administration et la gestion, y compris l’administration de la justice
  • La politique industrielle

Dans ces domaines, le Bénin et l’Afrique en général peuvent bénéficier des apports technologiques, organisationnels et de gestion des entreprises étrangères notamment françaises, mais pas seulement ou principalement françaises.

Les entreprises françaises, le grand capital français, ne s’est pas jusqu’ici montré décidé à s’engager dans cette voie ou « nous apprendrions à pêcher » au lieu de quémander du poisson. Les TOTAL, AREVA et autre grands noms de l’industrie française ne se sont pas illustrés par des transferts réussis de technologie, contrairement à ce que l’on a pu observer en Chine.

 

La taille du marché chinois donnait-il une puissance de négociation, des leviers que n’ont pas nos économiesmorcelées(à dessein par le colonisateur, mais ne revenons pas sur le passé) ?

Clairement la politique de souveraineté de la Chine était et demeure un facteur.

Étions-nous, sommes nous prêts à recevoir ces transferts ? Cela va-t-il changer ? Peut –il changer ?

La réponse est d’abord au Bénin …« Il n’y a pas de vent favorable pour le navigateur qui ne sait où il va… »

Notre nouveau premier ministre peut-il être le leader, le chef de file d’un Bénin –et au-delà d’une Afrique- au cœur d’un nouveau partenariat avec la France, partenariat ou celle-ci soutient et accompagne notre effort d’accroissement massif de la productivité et de la production , tout en y trouvant son intérêt? La France le veut-il ? Cela reste à prouver ? Lionel ZINSOU le peut-il ?

Il en a les capacités intellectuelles et l’expérience pratique. A tout le moins, on peut espérer qu’il apporte un peu de rigueur, de rationalité, et -faut-ilrêver- d’intégrité, dans la gestion de la chose publique. Saura-t-il et pourrait-il s’entourer d’une équipe cohérente et efficace à cet effet ?

A-t-il les convictions politiques nécessaires a la rupture avec la France des compteurs coloniaux, a peine modernises par les Bollore ? On demande à les voir…

A-t-il la base sociale et politique lui permettant de conduire la rupture ici et là-bas ?  Vaste programme … car il est évident qu’au Bénin comme en France, on gouverne avec et pour des classes couches sociales, même si l’appartenance et la conscience de classe ne sont toujours bien marquées chez nous.

Les mois et les années à venir permettront de le savoir, mais des handicaps certains existent. Le premier ministre, encarté au PS francais, vient au pouvoir porteur d’un nom qui n’est pas neutre au Bénin, même si personne ne peut le rendre responsable des politiques de son oncle il y a bientôt 50 ans.

Surtout il arrive sur la scène politique aux bras d’un président YAYI qui n’a pas su répondre aux attentes mises en lui, n’a pu accomplir aucune transformation significative en 9 ans, et laisse un pays profondément divisé.

Enfin à notre connaissance, il n’a ni parti, ni association et la taille de ses réseaux locaux–qui doivent exister-, leur fidélité et enracinement populaire restent àdéterminer…

Charles B Lokonon
Atlanta USA

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