Dans un essai biographique de 300 pages, publié en mars 2001 par « Les Nouvelles Editions du Bénin », et intitulé « Le président Mathieu Kérékou : un homme hors du commun », le professeur d’histoire, Félix Iroko, fait un récit chronologique de la vie du général-président. Petit coup de projecteur sur l’enfance, la scolarisation, la formation militaire et quelques spécificités de la personnalité de «l’homme-Kaméléon» qui est passé du dictateur craint au chrétien démocrate célébré.
«Mystérieux», « énigmatique », «Caméléon». Jeudi 15 octobre 2015, comme s’ils s’y sont accordés, la majorité des journaux béninois utilisaientt au moins un de ces termes dans leur titraille sur le décès du général Mathieu Kérékou. La veille mercredi, l’ancien président de la République s’en allait, officiellement à 82 ans. Il est décédé dans la mi-journée ; avec la nature qui s’est chargée d’avertir les populations de la survenance d’un évènement peu ordinaire. Ce jour-là, autour de midi, de façon inopinée, alors que le ciel était ensoleillé, les nuages se sont amoncelés au-dessus de la ville de Cotonou. S’en est suivi un vent violent, puis une courte pluie. Quelques heures plus tard, la nouvelle du décès du «vieux» avait commencé à circuler sur les réseaux sociaux, diffusée par des sources crédibles. L’annonce officielle du décès du général président est faite par le président Boni Yayi autour de 16 heures, par un message à la Nation.
Les journaux béninois n’avaient pas exagéré en qualifiant le général Mathieu Kérékou de « mystérieux », « énigmatique », « imprévisible », « caméléon ». L’homme qui a dirigé le Bénin à la fois en dictateur craint ( 18 ans de révolution) et chrétien-démocrate aujourd’hui célébré (10 ans de démocratie)pendant près de trois décennies. Un record ! Selon les écrits, témoignages et observations, Mathieu Kérékou est « mystère », « énigme » et « imprévisibilité ». Des traits caractéristiques qu’il a présentés tout le long de sa vie ; de l’enfance à la présidence démocratique en passant par la vie militaire et l’ère de la révolution.
L’essai biographique, «Le président Mathieu Kérékou : un homme hors du commun», écrit par l’éminent professeur d’histoire, Félix Iroko, renseigne que Mathieu Chaad Chabi Kérékou est né entre 1930 et 1932 (1933 est la date officielle) à Kouarfa, un village waao de la commune de Natitingou dans le département de l’Atacora, de Yokossi, sa mère, et de Doko Kouroubou, son père, un ancien soldat de la Grande guerre, devenu garde-Cercle, après sa démobilisation. Son nom Kérékou, il le tient de son grand-père maternel, Chabi Chérékou qu’il a par la suite déformé en Kérékou. Cela est lié aux circonstances de la naissance de Chaad. En effet, Chaad est le prénom d’enfance de Kérékou (lire détail en encadré). Il a adopté le prénom Mathieu en 1946, à l’issue de son baptême catholique. Il passa sa vie d’enfance à Kotopounga-Moussou et Kouarfa. A cause des circonstances de sa naissance, sa famille maternelle représentait tout pour lui. « Tout partait de sa famille maternelle et tout aboutissait à elle », insiste le professeur Iroko. L’enfance de Chaad a été marquée « du double sceau de sa propre personnalité et de celle de l’éducation reçue dans ce milieu providentiel qu’était le cadre de la famille maternelle ». Fils d’une famille de grands paysans, Il participait aux travaux champêtres, avec enthousiasme. « Par son exceptionnelle endurance et sa capacité de travail », écrit le professeur Iroko, « Chaad était l’objet d’une grande admiration de la part de ses camarades ». Il a suivi les rites initiatiques élémentaires qu’imposaient les pratiques culturelles et cultuelles de son clan, et pris part aux jeux et compétitions pratiquées par les enfants de sa génération. Entre autres jeux, la natation (compétition d’endurance, de vitesse et jeu de cache-cache sous l’eau), la « bagarre à la chicotte, fouettement », la lutte traditionnelle et le tir à l’arc. Pour le « jeu » de la bagarre à la chicotte, la plupart des camarades de Chaad le redoutaient. « Il faisait montre d’une agressivité à nulle autre pareille et d’une violence inouïe », justifie l’historien. Quoique « Versatile », « imprévisible » et un brin rancunier, dès le bas âge, Chaad « maniait avec bonheur, ironie, humour taquinerie et assistance ». In fine, peut-on synthétiser, l’éducation de base du fils de Yokossi et Chabi Chérékou s’est déroulée « dans un contexte d’apprentissage de la souffrance ». Il faisait ainsi « partie à l’époque de ceux qui avaient été le plus profondément marqués par cette rude éducation quasi spartiate».
Il n’était pas attendu à l’école
Après «une enfance villageoise heureuse», Chaad s’est retrouvé de façon inattendue à l’école. Le professeur Félix Iroko, nous apprend que dans la région de l’Atacora, (nord-Bénin), « l’avènement de l’école a été accueilli comme un événement malheureux destiné à perturber la quiétude des populations et à les asservir davantage en les privant de leurs enfants ». «Les enfants n’aimaient pas, en général, aller à l’école et leurs parents refusaient aussi de les y envoyer, raconte-t-il. Mais comme l’administration imposait un quota par Tata, les parents se voyaient obligés, la mort dans l’âme, de laisser partir leurs enfants, en souhaitant de tout cœur que le maitre les leurs retourne. (…) Avant leur départ, ils les tenaient d’une main et les présentaient à tour de rôle aux divinités du clan et aux mânes des ancêtres pour les adjurer de les rendre, d’une manière ou d’une autre, inaptes à la scolarisation ». C’est dans ce contexte que Chaad, s’est retrouvé à l’école ; en remplacement de l’un de ses cousins. « Une nuit du mois de septembre 1943, poursuit le professeur Iroko, Madougou (son frère ainé) et lui revenait nuitamment du champ, trouvèrent leur cousin Yoosidé recroquevillé dans un coin de la maison, tout en sanglots comme pour inviter à la compassion. Il leur annonça que le grand-père venait de le choisir pour aller à l’école à Natitingou qu’il devait rejoindre dès le lendemain matin. Yoosidé avait été retenu par le grand-père à l’exclusion des autres petits-fils déjà un peu trop âgés comme Madougou, ou trop petits, ou exceptionnellement utiles au champ comme Chaad. Chaad, « qui n’avait jamais auparavant manifesté un quelconque désir d’aller à l’école » se proposa de remplacer son cousin Yoosidé. Ce dernier étant âgé de sept ou huit ans, Chaad le trouvait trop jeune pour supporter la maltraitance des autres écoliers et les « inévitables tortures infligées par les maitres ».
« Ecolier sérieux, militaire exubérant, aimé et craint »
« Sans avoir jamais été un écolier exceptionnel », Chaad, le Caméléon était « travailleur », « appliqué » et « sérieux ». « S’il était dans l’ensemble moyen ou parfois au-dessus de la moyenne, souligne le professeur Iroko, il faisait preuve d’une assiduité remarquable dans ce milieu et à une époque où le comportement ordinaire des enfants de la région oscillait entre école buissonnière, retards aux cours et fugues répétées se terminant souvent par le retour dans leurs villages ou le refuge auprès de l’oncle caché ou éloigné ». La scolarisation de Mathieu a été élémentaire. Entré à l’école en 1943, il en ressortit quatre ans plus tard. Durant son enfance villageoise et sa courte scolarisation, Mathieu Kérékou s’est illustré par son « endurance », « l’esprit coopératif » et son « instinct grégaire ». En 1947, Mathieu Chaad Chabi Kérékou décida de se faire enrôler volontairement pour le service militaire. Sa formation militaire s’est faite en Afrique et en Europe. « Incorporé pour l’Ecole des enfants de troupe de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), il séjourna par la suite à Kati (Mali), Ouakam (Sénégal) et à Saint-Louis du Sénégal, écrit le professeur Iroko. Il fit par la suite l’Ecole de Formation des Officiers de Fréjus et termina son séjour en France par Saint-Maixent». Durant toute sa formation militaire, il s’est fait remarquer comme un « excellent officier » et « homme de confiance », « franc, honnête » doté d’une bonne capacité de commandement. Ses chefs hiérarchiques le situaient « dans l’ensemble, au niveau Excellent, au-dessus de très bien, mais frisant l’élite qu’il n’atteint que de temps à autre, malgré sa remarquable valeur intrinsèque et la qualité de ses relations interpersonnelles ». Dans l’armée béninoise, les soldats et sous-officiers l’avaient surnommé Zorro, ce justicier « exceptionnel et intrépide » créé en 1919 par l’Américain Johnston McCulley. Les sous-officiers et soldats voyaient en lui le défenseur des opprimés, un justicier par excellence. Doté d’une forte personnalité, Mathieu Kérékou qui « a toujours eu le courage de ses opinions » « abhorrait la tricherie et les combines ». Tenace et persévérant, « pour lui, insiste le professeur Iroko, il n’y a pas d’autres solutions pour le succès que l’effort et la conscience professionnelle ».
Amoureux sans frontière
L’humour et le sens du partage étaient aussi des traits de la personnalité de Kérékou. A ce titre le professeur Iroko écrit : « Il sait, lui-même, naturellement mettre à l’aise par sa jovialité, sa sociabilité, sa décontraction, sa bonne humeur de tous les instants, sa disponibilité à rendre service et son sens de partage ». Ce caractère, ajouté à sa fière allure physique, explique sans doute son remarquable succès auprès des femmes qu’il ne détestait guère.
A ce titre, le professeur Iroko le décrit comme un homme qui « a toujours aimé passionnément les femmes et il ne s’en cache pas. Passagères ou définitives, ses liaisons (toujours faites de franchise et de transparence) ne se comptent plus. (…) Partout où il passait, il ne manquait pas d’avoir du succès auprès de femmes. Elles admiraient cet homme bien bâti, élégant, dans son uniforme, d’une mise bien soignée et impeccable, d’une remarquable simplicité ; sans orgueil, franc et direct dans ses propos, charmeur et séducteur. (…) L’amour pour lui n’a pas de frontières ethniques, régionales ou régionalistes. Peu importe les origines paysannes, routières, servile ou princières de la femme ; pourvu qu’il l’aime ou le désire… »
Certainement, sans le savoir, ni l’avoir ambitionné, avec cette rude éducation au village, son parcours militaire remarquable, l’ancien aide de camp du président Hubert Maga, Mathieu Kérékou, qui a fait de la justice son leitmotiv se préparait à la plus haute fonction étatique. D’ailleurs, les consultations oraculaires faites à sa naissance « auraient prédit qu’il serait un jour un personnage important, véritable pilier ou pivot de la famille ». Sans doute, c’est donc dans le cours de son destin que, par une succession de concours de circonstances, il s’est retrouvé à la tête du Bénin le 26 octobre 1972, par un coup d’Etat minutieusement préparé par lui et deux autres capitaines de l’armée : Janvier Assogba et Michel Aïkpé. Et pour vingt-neuf ans de règne (1972- 2006), intercalé par le quinquennat Soglo (1991-1996).
CHAAD BOKODEEBOU, LE CAMELEON VISIONNAIRE
Comme YOKOSSI avait mis au monde son fils ainé un jour de passage dans le quartier de l’un de ses marchands ambulants, ce dernier avait souhaité et obtenu que le nouveau-né portât son nom à lui, Madougou. C’était dans ces conditions que, né de père et de mère waaba, le premier enfant a porté un nom étranger au parler waama. Il n’en sera pas de même de son cadet qui, aura un nom typiquement waao : Chaad. Très courant dans le milieu waao de la religion de Natitingou et assez rare aujourd’hui chez les waaba de la zone de Tanguiéta, il signifie caméléon et est synonyme de Koora’ngha. Chaad est un vocable plus ancien que ce dernier. En effet, il est plus usité dans les contes et légendes ou il ne désigne que le caméléon, et jamais un autre animal. Dans le parler de tous les jours portant sur des sujets d’actualité, Chaad cède le pas à Koora’ngha beaucoup plus usité, lui. Dans l’imaginaire et autre représentation collectives des waaba, le caméléon dont on note une certaine récurrence de la présence dans les contes, apparait dans ses multiples rôle et attributions comme un personnage intelligent, calme, pondéré, mais surtout humble et sage ; le symbole de la faculté d’adaptation. Il est fréquemment utilisé comme ingrédient en matière d’occultisme de la faculté de se rendre invisible ou de se rendre propices certaines situations, etc. l’on ignore la situation particulière qui fut à l’origine de la dation du nom de Chaad ou caméléon au futur Mathieu, à sa naissance.
(…) Un autre facteur d’intégration de la société est la dation d’un surnom.fidèle comme d’habitude, à la tradition. Chaad s’était donné comme surnom, Bokodèèbou, c’est-à-dire le devin, le clairvoyant, celui qui voit loin ; un visionnaire par extension, en somme. La plupart de ses camarades d’enfance se souviennent encore de ce surnom peu courant chez les waaba, et qu’il était fier d’en porter sans en faire un objet particulier d’orgueil. Le colonel Maurice Kouandété, son ami waao comme lui, avait comme surnom D.A.C, sigle de «Dur à Cuire». Sosie et alter ego de Chaad, l’Abée Lucien Chambeny, son camarade de classe à Natitingou, avait également comme surnoms, « Grand Maitre » et « Arrière Indépassable ».
Extrait du livre « Le président Mathieu Kérékou : un homme hors du commun »