La tribune sur Lionel Zinsou, le premier ministre-candidat à la présidentielle au Bénin s’anime toujours. Après la réaction de Jean Houessou Folly, un compatriote béninois, à la chronique « Chers opposants béninois, n’avez-vous pas honte de reprocher sa couleur de peau à Zinsou ? (cliquez ici pour lire la chronique) », Hamidou Anne, l’auteur du texte, est revenu à la charge avec une nouvelle chronique.
Mais la réaction de Jean Houessou Folly n’a pas tardé. La rédaction de La Nouvelle Tribune vous permet de suivre le débat en continuant par publier ces textes.
Monsieur Anne, chroniqueur du journal « Le Monde Afrique » basé au Sénégal, persiste et signe. Dans une nouvelle chronique dans le quotidien parisien intitulée ‘’Racisme au Bénin : « Je ne me tairais pas » (cliquez ici pour lire la chronique)’’, M. Anne, puisque tel est son nom africain, après moult lamentations, nous dit rester sur ses positions traduites dans le chapeau de sa chronique « Racisme au Bénin », avant de lancer un appel à « l’alliance des civilisations ».
Nous n’attendons pas de M. Anne qu’il se taise, mais nous attendons de lui une argumentation étayée par des faits, des exemples de ce qu’il appelle « Racisme au Bénin », des déductions logiques, des inférences défendables. Car enfin, proférer de si graves accusations contre nos peuples et notre pays en utilisant le mégaphone d’un des principaux quotidiens français ne doit pas se faire à la légère et la violence des réactions –que nous n’approuvons pas- est à la mesure de la gravité des accusations.
Au-delà des questions de racisme supposé, M. Anne est muet sur un des enjeux de l’élection présidentielle au Bénin. Celui de la reconquête coloniale de l’Afrique, ou plus généralement celui du rôle de la France, ex-puissance coloniale dans la vie économique et politique de nos Etats. La question des allégeances de notre premier ministre, celle de son enracinement culturel, doivent être analysées sous ce prisme, si on veut un débat sérieux, loin des prêchi-prêcha sur la « civilisation de l’universel » chère au feu président Senghor.
Racisme intra-africain ou acculturation
On attend de M. Anne qui se dit membre d’un cercle de réflexions « l’Afrique des idées », un minimum de rigueur dans l’utilisation des mots traduisant les idées. Le racisme est généralement défini comme un corps d’idées basé sur la classification des êtres humains par race sur la base de critères biologiques, la croyance en la supériorité d’une race sur d’autres, et surtout des comportements et politiques traduisant cette croyance dans les faits au moyen notamment de discrimination et d’exclusion.
- Zinsou serait-il d’une autre race que l’ensemble des Béninois ? Prétendre que M. Zinsou est l’objet de racisme au Bénin, c’est partir du postulat que M. Zinsou est d’une autre race que les Béninois, ce dont lui et M. Anne se défendent ! Quelle est donc cette race à l’endroit de laquelle il y aurait des discriminations au Bénin ? La race blanche ? M. Anne définirait-il une nouvelle race, celle des métis biologiques ou sang mélangés comme les appellent M. Zinsou ? Quelles sont les discriminations dont sont victimes cette « race » au Bénin pour qu’on claironne « racisme au Bénin » ? Sont-ils privés d’emplois, de logements, de droits économiques, culturels, sociaux ou politiques, etc. ?
De tels propos prêtent à rire, pour les Africains qui ont vécu ou vivent le racisme au quotidien en Occident et ailleurs. Eux à qui on déclare que tel appartement est loué avant de rédiger un bail au Dupont « de souche », eux pour qui le nom de Mamadou signifie rejet dans la pile des CV à revoir, quand on ne leur déclare pas que l’emploi auquel ils postulent est déjà pourvu. Alors même que le lendemain Pierre, Jacques et Anne sont invités à un entretien. Eux qui sont tutoyés par le premier flic venu, quand ils ne sont pas menottés et jetés au sol pour délit de facies. Et nous ne parlons pas des formes extrêmes encore présentes en 2016 dans le discours et les politiques préconisées par des candidats de grands partis comme le Parti Républicain aux Etats Unis ! M. Anne a besoin de vivre la réalité du racisme, avant de chercher à donner des cours d’antiracisme aux Africains et aux Béninois en particulier !
On ne saurait pas plus parler de xénophobie. M. Zinsou n’étant pas étranger au Bénin, pays pauvre accueillant de nombreux refugiés, y compris Ivoiriens, Centrafricains, Togolais, Rwandais et Burundais, Tchadiens lors des crises-, ni d’ethnocentrisme –qui est un mal réel de nos sociétés-, l’identification ethnique de M. Zinsou étant des plus incertaines.
L’appellation de « yovo » ou Blanc « accolée à M. Zinsou- lorsqu’elle est donnée à des Africains chez nous –comme dans la plupart des pays africains- s’applique :
- soit de façon triviale à des gens ayant une pigmentation « claire » de la peau,
- soit de façon moqueuse à des personnes singeant le « Blanc » (emprunt d’accents, et autres comportements étrangers aux traditions nationales),
- soit de façon plus sérieuse dans un mélange d’admiration et de distanciation, à des gens ayant un ensemble de comportements, reflexes, valeurs, modes de pensée et d’action, caractéristiques réelles ou supposées des Occidentaux, mais certainement étrangères aux mœurs, traditions et valeurs ancrées dans la société béninoise.
Dans le premier et dernier registres, se trouve M. Zinsou qui, étant un Parisien de naissance et d’éducation, ayant passé quasiment toute sa vie d’adulte en France est inévitablement acculturé, les traditions assimilationnistes de la France n’étant un secret pour personne. Nous ne ferons pas au premier ministre l’injure de répertorier ses faux pas publics révélateurs d’un authentique Parisien. Il ne s’agit pas d’un reproche, mais d’un constat, de faits.
Une des manifestations politiques de cette acculturation est la tentation d’appliquer à la situation économique du Bénin les grilles d’analyse et les remèdes du gauche caviar français, traduisant au plan politique son caractère de « yovo ». Un exemple est celui des inégalités et de leur traitement. C’est une réalité que nos sociétés sont inégalitaires, comme toutes les sociétés capitalistes, de la périphérie comme du centre. Mais quand on examine la chaîne de valeur, 80% de la valeur est extraite, captée, réexportée en Occident qui comme il le dit si justement possède le stock de capital. Les 20% restant sont inégalement repartis certes, mais par où faut-il commencer ? Axer son programme économique sur des mesures sociales de redistribution –l’ouverture de droits – à l’image de celles mises en œuvre – à juste titre- par les socialistes français sans s’attaquer aux moyens d’impulser une croissance économique autocentrée, et durable, permettant l’accumulation de capital, traduit la méconnaissance intime du Bénin et de ses problèmes, chose que nos compatriotes reprochent au candidat Zinsou.
Patriotisme africain contre maintien et relance de la France en Afrique
- Anne, dans sa longue réponse, passe sous silence la question des allégeances et du patriotisme africain qu’il repousse d’un ton moqueur (« panafricanisme de la haine »). Nous avons évoqué les nombreux intérêts de M. Zinsou en France, sa première patrie. Nombre de citoyens ont des intérêts en Europe sans que leur amour de la patrie ne soit mis en cause. Mais ceux-là ne sont pas candidats à la magistrature suprême, ne sont pas l’image publique de leur pays, ne sont pas amenés à prendre au quotidien –voire pas du tout- des décisions pour nos pays, décisions qui peuvent affecter ses intérêts. Nombre de dirigeants souvent corrompus – ont également des biens considérables en Europe. Ce résultat de la ploutocratie dominante doit être combattu. Mais peu de dirigeants africains sont directement impliqués dans la politique du patronat et du gouvernement français. M. Zinsou, comme chacun sait, fut président du MEDEF- le patronat français- pour le Nigeria. Il est l’auteur avec Hubert Védrine d’un rapport « les pertes de part de marche de la France », rapport qui définit un plan stratégique de recouvrement et d’élargissement de l’influence -et des parts de marche- de la France en Afrique et se conclut par la création de la fondation Afrique France chargée d’en impulser et/ou superviser l’implémentation. Hubert Védrine, citoyen et patriote français est dans son rôle. On peut comprendre qu’un Zinsou, lui aussi citoyen français soit dans son rôle de défense et protection des intérêts de la France, et nul ne penserait à le lui reprocher, s’il ne demandait pas les suffrages des Béninois pour la présidence.
Peut-on servir deux maîtres ?
Les intérêts de la France, ex-puissance coloniale toujours présente aux plans économiques et politiques coïncident-ils avec ceux du Bénin ? Il est permis d’en douter. On peut nous opposer l’idée de partenariat gagnant-gagnant, mais après 50 ans de coopération du cheval et du cavalier, permettez-nous d’en douter en attendant d’en avoir des preuves (au passage les 9 mois de M. Zinsou au Bénin ne nous en ont pas donné). En tout état de cause, chaque partenaire devrait avoir un dirigeant exclusivement dévoue à sa cause.
Or qu’entend-on M. Zinsou dire ? Dans une interview récente à Europe 1 lors de la COP21, alors même qu’il était déjà premier ministre du Bénin, M. Zinsou évoquant sa moitié française, rassurait les medias français de la poursuite de l’influence culturelle de la France en Afrique, se manifestant par l’accroissement du nombre des élèves inscrits pour apprendre le Français dans les pays africains anglophones !
Lui viendrait-il à l’idée de promouvoir le développement de l’influence culturelle de l’Afrique en Afrique, continent dont il dirige un Etat ?
Dans le rapport Védrine évoqué plus haut, co-signé par M. Zinsou, non seulement le Franc des Colonies Française d’Afrique –CFA- n’est pas mis en cause, mais le rapport préconise –proposition 10- l’extension de la zone CFA aux pays limitrophes (entendez Ghana, Nigeria, Sierra-Leone, Liberia). De telles propositions qui visent à saboter l’intégration régionale africaine au profit de renforcement de la dépendance vis-à-vis de la France ne peuvent que renforcer les doutes que l’on peut avoir sur la préférence patriotique de M. Zinsou.
Un pays ne peut accepter d’être dirigé par un président si intimement commis à la défense des intérêts d’un autre, fut-il ami. Même le Canada et les Etats-Unis, deux pays que beaucoup de choses rapprochent n’accepteraient pas qu’un président canadien-américain soit si intimement lie à l’establishment, à la mise en œuvre de la stratégie de l’autre.
Les Béninois ont de bonnes raisons de douter du dévouement à part entière et exclusive de M. Zinsou au Bénin et à l’Afrique. Certes, nul ne peut lui contester le droit de défendre les intérêts de la France, son autre patrie. Mais il ne peut aspirer à nous diriger en étant le défenseur des intérêts de la France en Afrique, quand bien même ceux-ci seraient complémentaires, ce qu’ils ne sont pas de notre point de vue –tant s’en faut !
Sacralité de la personne humaine, dignité des Africains et fin de l’impunité
- Anne invoque la sacralité de l’humain pour nous appeler à rejeter le panafricanisme de la haine pour l’afro-responsabilité. Le caractère sacro-saint de la personne humaine, son inviolabilité est un principe clé de la démocratie et de l’état de droit que nos peuples se battent pour construire. Les tragédies humaines survenues en Afrique ces dernières années sont des drames qui interpellent tous les patriotes africains. Il n’est pas question de se défausser sur les puissances occidentales.
Rappelons quand même aux moralisateurs de tous poils que le Rwanda, la Côte d’Ivoire, etc… font pâle figure à côté des millions de victimes de guerre et de pogroms en Occident, sans que personne n’ait déclaré les Européens irresponsables !
Faut-il rappeler que l’Afrique ne fabrique pas d’armes (ou très peu) et que les guerres sont alimentées et entretenues pour l’essentiel par l’Occident, qui au besoin les suscite et les attise par commis africains interposés. Ce n’est certainement pas un hasard si pour l’essentiel la carte des conflits se superpose à celle de l’abondance de ressources minières stratégiques !
Ceci étant dit, et il faut le dire, les dirigeants africains ont une responsabilité dans ces crimes. Une partie de nos peuples, abusés, par ces dirigeants qui exacerbent l’ethnocentrisme, a été à la fois bourreaux et victimes. Il importe d’en tirer leçon et de mener une lutte sans merci contre l’ethnocentrisme, pour la conquête et la préservation des libertés publiques et individuelles.
Partie intégrante de cette lutte est la lutte contre l’impunité. Tant que les dirigeants et les responsables à tous niveaux se sentiront protégés par la « continuité », les crimes politiques, comme économiques continueront. Mettre fin à l’impunité est une des clés de l’amélioration fut-elle minime de la condition matérielle et morale de nos peuples.
Notre dignité en tant qu’africains est à ce prix
Un des enjeux des élections au Bénin, c’est la fin de l’impunité. Le candidat Zinsou nous appelle à la continuité après 10 ans considérés comme désastreux pour l’essentiel, d’autres appellent à la rupture. On a le droit d’être sceptique sur les professions de foi démocratiques de ceux-là qui n’ont pas donné la preuve de leur attachement à la démocratie et à la transparence. On peut se gausser de la démocratie des grosses fortunes.
Mais on ne peut douter des promesses de faire comme si en 10 ans de régime YAYI, rien ne s’était passé. On ne peut douter de ceux dont le slogan fut « après nous c’est nous » déniant toute réelle alternance. Comme nous le disions dans notre première réponse, les peuples du Bénin semblent avoir choisi d’en finir avec Charybde, même déguisé. C’est la leçon essentielle du premier tour. Iront-ils de Charybde en Scylla, nul ne le sait.
Cela dépendra de leur détermination à rester Debout et Dignes, à préserver et approfondir les maigres acquis démocratiques, pour espérer sortir du cycle de la misère endémique.
En attendant de vous lire dans la presse africaine !