Comment en finir avec le règne de l’argent dans les élections au Bénin

Pour les chrétiens, cette semaine est le préludeà la célébration de la fête de Pâques, symbole de la résurrection du Christ et d’une alliance nouvelle. Le Bénin également, aura un nouveau président, appeléà conduire les destinées de notre pays pour les cinq prochaines années.

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Dans l’attente des résultats, et dans la perspective d’une alliance entre les peuples et ses dirigeants que nous voulons nouvelle, nous voudrions explorer des pistes pour réduire le rôleprépondérant de l’argent dans nos élections, tel que manifesté dans celle qui vient de s’achever.

Une soif  d’alternance dans une rivière d’argent

Une constante que tous les observateurs s’accorderont à reconnaitre est la soif d’alternance de notre peuple. Apres dix années de pouvoir du président YAYI, cette exigence d’alternance s’est manifestée de la façon la plus stridente.  Elle s’est manifestée d’abord en 2014-2015 par le rejet des tentatives de révision de la constitution pouvant ouvrir la voie à un troisième mandat présidentiel, puis a travers la perte de la majoritéà l’assemblée nationale par la coalition au pouvoir. Pour avoir sous-estimé cette demande d’alternance, Mr. Zinsou et la coalition de l’Alliance Républicaine formée autour de celle du président sortant, obtiendra un score modeste au premier tour des élections. Même si onpeut penser que l’électorat en majoritéanalphabète peut être  soumis et a parfois été soumis à des pressions diverses, y compris celle de l’argent, on ne peut pas raisonnablement balayer cette demande, les camps en présence ayant des capacités corruptrices globalement équivalentes, capacités qui furent décisives dans le choix de leur porte-drapeaux respectifs. Nul ne peut nier le rôle de l’argent dans cette élection. Nous ne étendrons pas sur l’achat des « grands électeurs » (élus locaux, députes, ministres et anciens ministres, directeurs de sociétés publiques) ou d’électeurs, ceci étantdifficileà prouver, même si cela est bien réel dans les deux camps.

Le rôle de l’argent dans ce cycle électoral a été particulièrement pernicieux et ce,  à trois niveaux essentiels –quasi-légaux mais immoraux et anti-démocratiques- :

L’argent comme moyen de sélection des présidentiables

Pernicieux il l’a été d’abord dans la sélection des candidats amenés à briguer le suffrage universel. On se souvient des discussions au sein des FCBE,ou la question qui semble avoir coupé court aux ambitions des uns et des autres et force l’imposition du candidat Zinsou fut « pouvez-vous mobiliser 5 milliards  pour la campagne », question à laquelle seule l’associé gérant de PAI et ancien président conseil du MEDEF pour le Nigeria a pu apporter une réponse positive, « clouant le bec »  aux prétendants éventuels avec l’aval du président sortant qui ne cachait pas sa préférence pour son dauphin désigné Zinsou.

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Dans les autres partis,le refus des financiers traditionnels, Talon et Ajavon, de sponsoriser des candidats autres qu’eux-mêmes, a mis fin au processus de primaires dans les partis, aussi bien qu’aux velléités de candidature commune ou unique entre les partis représentés au parlement. Les ambitions des hommes d’affaires, tout comme leur implication dans le financement des partis posent un grave danger pour notre pays et sa démocratie, quelles que soient les « bonnes intentions » et/ou les compétences présumées de ceux ci. Il est urgent de mettre fin à l’OPA des hommes d’affaires –locaux ou récemment installés- sur notre pays et sa démocratie. Exclure les 99,99% de la population qui n’est pas milliardaire, de la direction de notre pays est foncièrement anti-démocratique et porte en lui le germe de fractures difficiles à maitriser, avec l’émergence d’appels à  des solutions type « Rawlings » -ou pire « Samuel Doe » (putschmilitaires et exécution des membres de l’élite politique) et la nostalgie du putschiste et pseudo-révolutionnaire Kérékou.

L’argent comme instrument et clé de l’organisation

Toute élection requiert une organisation efficace et bien huilée, en particulier l’établissement de structures locales chargées de relayer les messages des candidats avant l’élection, de mobiliser les électeurs pour l’accomplissement de leur devoir le jour du vote, de surveiller le déroulement et le dépouillement du scrutin. Ces aspects sont particulièrement importants dans notre pays pour trois raisons :

  • La prévalence de l’analphabétisme des populations dans la langue officielle, leur accès limité aux medias de masse comme les journaux, la télévision, et la radio font que les relais locaux des messages politiques sont déterminants.
  • La mobilisation des électeurs le jour du vote peut requérir la fourniture de moyens de déplacement ou simplement le porte à porte pour inciter ceux qui se sentent peu concernés par les enjeux électorauxet peu enclins à sacrifier leur temps et énergie
  • Le contexte de fraude et de suspicion alimenté tant par les pratiques passées et récentes que par les discours provocateurs suggérant des « KO » font de la surveillance des opérations électorales un élément décisif de la campagne.

Dans les démocraties animées par des partis établis sur des bases militantes,  les militants des partis assurent ces trois fonctions à titre bénévole, comme contributions au triomphe  de leurs idéaux.  Dans notre pays trois facteurs entravent la participation militante et bénévole :

  • l’absence d’idéal ou d’idéologie cimentant l’unité de vue et d’action des militants dans le parti et motivant ceux-ci à faire le sacrifice de leur temps et énergie
  • la faible couverture nationale des partis qui sont en majorité à base ethnique et régionale.
  • le défaut de participation militante, les partis étant plutôt des entreprises personnelles à caractère politique pour la plupart. Le chef « possède » son parti, les membres  sont des « groupies » passifs  en l’absence de démocratie interne.

En l’absence de militants dévoués et bénévoles, l’avantage va à celui qui peut se payer un maillage local à travers des organisations (et des hommes les faisant fonctionner). Il se dit que la clé de la victoire relative de Patrice Talon au 1er tour a été dans sa capacité à se payer une telle organisation pour faire face à l’organisation de l’appareil d’état mis au service du premier ministre candidat.  Si nous voulons sortir un tant soit peu notre démocratie des griffes de l’argent roi, il faut s’attaquer au problème de la création de véritables partis nationaux, sur la base de plateformeidéologique et politique épousant peu ou prou des intérêts de classe et ou couches sociales indépendantes ou coalisées, ou à tout le moins de grands courants de pensée plus ou moins structurés.  Il faut mettre fin à l‘unanimisme du « dévelopementisme » et aux partis à base ethnique et clubs électoraux dont l‘activité se limite aux trimestres d’avant élection dans la région d’origine du créateur. Sans cela, il est impossible d’avoir une organisation de volontaires pouvant ouvrir la voie au succèsélectoral sans l’aide de milliardaires !

L’argent dans les campagnes électorales et le contrôle des dépenses électorales

Le déroulement de nos campagnes électorales s’apparente à la caricature de kermesse. Le choix de notre président et de nos représentants, s’il doit se faire dans la joie et la bonne humeur ne devrait pas se faire sur la base de celui ou celle qui fournit le plus de divertissement. Le spectacle des grands meetings ou la participation est tarifée et masquée sous les termes de « frais de déplacement », « rafraichissement » ou « per diem » est une honte et un dévoiement du processus électoral. Cette perversion n’est pas inévitable, même dans les démocraties naissantes ou de façade. Au Togo voisin, le candidat Jean Pierre Fabre aurait refusé de telles  distributions de « frais de rafraichissement » s’attirant l’ire de certains.  Aux participations tarifées, s’ajoutent les distributions de toutes sortes d’objets, T-shirt, casquettes etc., en violation flagrante du code électoral qui dispose :

Article 62 : Les pratiques publicitaires à caractère commercial, l’offre de tissus, de tee-shirts, de stylos, de porte-clefs, de calendriers et autres objets utilitaires à l’effigie des candidats ou symbole des Partis ainsi que leur port et leur utilisation, les dons et libéralités ou les faveurs administratives faits à un individu, à une commune ou à une collectivité quelconque de citoyens à des fins de propagande

Pouvant influencer ou tenter d’influencer le vote sont et restent interdits six (06) mois avant tout scrutin et jusqu’à son terme.

A ces pratiques illégales, s’ajoutent les honoraires démesurés des agences dites de « communication » chargées de nous vendre les candidats comme on vend la lessive, la tomate ou l’huile. Sautant à pieds joints dans le consumérisme le plus réducteur, nos hommes politiques rivalisent de slogans tapageurs et/ou creux payés à coup de millions et déclinés en images chatoyantes conçues et produites pour la plupart à l’étranger !

Pour finir, il faut ajouter les frais d’organisation des meetings électoraux (bâches,  chaises, sono, vidéo, etc…), de caravanes et autres, qui contribuent à l’inflation des budgets de dépenses électorales que personne –par ailleurs- ne contrôle sérieusement. Qu’y a-t-il de dégradantà utiliser les lieux publics (écoles, collèges, terrains de sport, marchés etc…) pour l’organisation de réunions électorales ou sont discutés de façon passionnée les enjeux électoraux ?

L’inflation des dépensesélectorales est alimentée par la violation du code électoral, l’absence de contrôle sérieux des comptes de campagne, l’absence de sanction pour dépassement ou comptes non sincères,  les dispositions  ultra-généreuses du code qui permet un plafond trop élevé de dépenses  ( 2.5 Milliards pour les présidentielles),  offre un remboursement quasi illimité ( avec un plancher de 500 Millions !) aux présidentiables ayant recueilli 10% des voix ( nos trois hommes d’affaires dans le cas présent !),toutes choses  qui créent un  appel d’air pour des dépenses improductives et corruptrices du processus électoral

Les Chemins d’une Aube Nouvelle

Les chemins d’une aube nouvelle passent d’abord et avant tout par l’appropriation de la chose publique par les citoyens, l’engagement des uns et des autres,à commencer par les jeunes et les femmes qui ont le plus à gagner.

Les quelques ajustements législatifs et /ou règlemen

taires doivent être de nature à créer des incitations positives et réprimer les dérives possibles.

Enfin et surtout il faut se donner les moyens de faire appliquer la loi en cette matière comme en beaucoup d’autres.

Pour des partis nationaux construits sur le militantisme et le bénévolat

Il est beaucoup question de la réforme du système partisan et dans la bouche des acteurs politiques, il s’agit d’un mot codé pour demander la limitation par décret ou législation du nombre de partis (3, 4 ou plus selon l’humeur du jour). Cette approche est foncièrement mauvaise.

Il nous parait préférable de renforcer la charte des partis et d’appliquer rigoureusement celle-ci  de façonà obtenir les comportements voulus. Par exemple :

  • Renforcer le caractère national des partis en exigeant que tout parti ait à sa création un nombre minimum de fondateurs par commune  (art 8 modifié) et une représentation locale ( par commune au moins, ou arrondissement au mieux) présenteà chaque congrès ou conférence nationale ( au minimum tous les 3 ans par exemple). Tout parti dont les congrès ou la conférence nationale ne fournirait pas cette représentation–vérifiée par huissier- devrait être dissous dans un délai de 90 jours sauf à convoquer un  congrès ou une conférence extraordinaire corrigeant ce manquement.
  • Interdire tout paiement du parti à ses membres, à l’exception des permanents du parti publiquement désignés comme tels, et des frais réelsjustifiés –pas de per diem- et préalablement autorisés par décision des organes du ps ou conférence nationale)
  • Les dispositions transitoires pourraient requérir le réenregistrement des partis existants dans un délai de 90 jours, ce qui pourrait être le catalyste de regroupements

Pour un financement public cible et limite

Les partis étantnécessaires a l’animation de la vie politique, il nous parait indispensable que l’Etat contribue à leur fonctionnement. Cela est d’autant plus important que les traditions de militantisme et de cotisation ne sont pas enracinées et les difficultés de la vie quotidienne limitent les capacités contributives de ceux qui ont le plus besoins des partis : les populations démunies.

  • Allouer aux partis une aide de l’état proportionnelle au nombre et à la médiane des cotisations. Ceci évite l’influence prépondérante des gros payeurs, des entrepreneurs politiques,  et l’apathie des militants de base
  • Ajuster l’aide aux partis en fonction de leur poids électoral mesuré par un indice composite combinant résultats locaux et nationaux ; Aider les associations de la société civile de façon à encourager l’engagement citoyen sur des bases similaires, mais exclure les « entrepreneurs » en ONG et les succursales locales d’ONG étrangères
  • Limiter l’aide aux partis  a une fraction raisonnable du budget de l’Etat (et non du PIB).

Pour une limitation draconienne des dépensesélectorales et une répressionsévère

Le scandale des orgies financières a l’occasion des élections est particulièrementrévulsant dans un pays pauvre comme le nôtre, et décrédibilise la démocratie aux yeux de nos peuples. Il nous parait urgent de limiter de façondraconienne le montant et la nature des dépensesélectorales. Si on s’en tient aux cinq candidats arrivés en tête des élections présidentielles ils auraient dépensé en 2 semaines 1,25% du budget annuel de l’Etat (12,5 milliards). Le plafond de 2,5 Milliards doit êtreramenéà 500 Millions et le remboursement de frais par l’Etat limite à 50% des dépensesréelles. Mais il doit être paye dans les 180 jours suivant l’électionà tous ceux qui ont dépassé le seuil de 5%.

Plus important que la révision du plafondsoit la vérification des comptes et la sanction des dépassements. On peut envisager qu’un collège de magistrats de la cour des comptes soit temporairement mis sur pied pour vérifier et certifier la sincérité les comptes de campagne dans les 90 jours suivant l’électionprésidentielle. La sanction du dépassement et /ou de la non sincérité des comptes de campagne doit être la destitution du candidat s’il est élu et l’interdiction de se présenter pour 10 ans pour tous les coupables et complices! Il faut que la sanction soit dissuasive.

En guise de conclusion, le cynisme ambiant voudrait que l’on se résigne, et  que l’on ne puisse pas retirer à l’argent son poids prépondérant dans les élections. Nous n’avons pas la naïveté de croire que dans une société comme la nôtre ou le mercantilisme est roi, les élections présidentielles échappent à l’influence de l’argent. Mais il est possible de redonner aux citoyens le contrôle de leur démocratie. Nous le pouvons si nous le voulons

Jean Houessou Folly
Consultant Atlanta (Usa)

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