Chronique des « temps rupturiens » : Ultime retour sur « le désert de compétence »

Après notre manchette  de mercredi dernier « les grosses bourdes de Talon à l’Elysée (lire ici) », nous pensions en avoir fini avec la polémique inutile soulevée par la sortie malencontreuse du chef de l’Etat. Nous avions été confortés dans cette option par le rectificatif du chef de l’Etat à son retour à Cotonou. Sans se confondre en excuses,  ce dernier  a  en effet admis que son diagnostic concernait au premier chef notre administration. Mais ceux qui savent lire entre les lignes ont bien perçu le léger rétropédalage, même si pour l’essentiel le président est resté constant dans son discours.

Cette posture de semi repentance a donné des ailes à  certains commentateurs, endossant allégrement les habits poussifs de  thuriféraires  pour se  livrer toute la semaine écoulée à des exercices  de sémantique sur l’adverbe « comme » qui précédait la métaphore présidentielle. Dans leur démonstration savante, ils affirment que le  président n’a pas dit que le Bénin est un désert de compétence mais « comme un désert de compétence ». Comme si la préposition « comme » ajoutait quelque chose à la métaphore. D’autres commentateurs ont poussé l’amalgame jusqu’à comparer   l’expression « désert de compétence » à la boutade de Mathieu Kérékou sur les « intellectuels tarés ».

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En oubliant de placer chacune  des expressions dans leur  contexte. Sous la pseudo-révolution de Mathieu Kérékou  en effet, cette boutade servait à  stigmatiser les cadres qui refusaient de se soumettre aux diktats du parti-Etat de l’époque. C’est la période où on a systématiquement «  humilié  l’intelligence », selon l’expression chère à Albert Tévoèdjrè. Cela dit,  la métaphore « talonnienne » a choqué  pour deux raisons essentielles : le contexte de son discours (Le président Talon répondait  en France au président français qui venait de s’extasier sur la qualité des cadres béninois) et l’appel pressant du président  élu du Bénin à « l’assistance technique française ». Un terme désuet qui a fait flores dans les premières années d’indépendance des pays africains que le professeur Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’ivoire a considéré dans un récent tweet comme un recul inacceptable.

Mauvais diagnostic et fausses solutions

La malheureuse métaphore du chef de l’Etat est la résultante d’un mauvais diagnostic. Si le Bénin peine  en matière de performance de son administration,  ce n’est pas parce qu’il manque de cadres compétents   mais parce que les dirigeants qui se sont succédé à la tête de notre pays- c’est une lapalissade- n’ont pas toujours fait une utilisation judicieuse et rationnelle des cadres dont regorge le pays. Et  c’est ici qu’il faudrait le dire très fort, quitte à hurler  même pour se faire mieux entendre : tous les intellectuels béninois ne sont pas des tarés, et le Bénin n’est nullement un désert de compétence, tant s’en faut! Le mal de notre pays se trouve dans la volonté des hommes politiques de ce pays non pas de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut mais de placer autant que faire se peut des parents, frères de villages ou copains de quartier si ce ne sont des militants politiques à des postes où ils n’ont aucune compétence. Dans le palmarès des dirigeants qui ont fait du clientélisme, du  régionalisme, du népotisme un mode de gouvernement, le président Boni Yayi vient en  tête de peloton. C’est sous le président Yayi en effet, que les gens sortis directement des écoles ou ayant effectué de simples stages professionnels de premier emploi, sont bombardés Dg de société (cas de Bénin Télécom, du Cncb entre autres), au nez et à la barbe des cadres compétents et expérimentés de l’entreprise. Sous Boni Yayi l’administration a été complètement mise sens dessus dessous avec des cadres subalternes  placés  systématiquement au-dessus des cadres supérieurs.  Par conséquent la politique de recours aux « assistants techniques » ne peut être qu’un mauvais remède pour une maladie mal diagnostiquée. D’ailleurs les « assistants techniques » qu’on envoie à la tête de la plupart des projets des partenaires sont les premiers à reconnaître la compétence des cadres locaux.

Le vrai problème : la gestion des ressources humaines

Le vrai problème  qui se pose à ce pays est qu’il n’existe aucune politique de gestion de la formation ni de l’utilisation des cadres formés à  grands frais  grâce à l’argent du contribuable. Le président Talon dit aujourd’hui qu’il est prêt à faire venir des cadres de haut niveau pour occuper les postes de compétences. Mais il ne nous dit pas les domaines de compétences où  notre pays manque d’expertise. Quelle étude a-on  jamais  réalisée pour déterminer ces domaines de compétence ? La vérité est que notre pays forme les cadres  sans se soucier d’en dresser un répertoire mis à jour  au fur et à mesure de leur  formation. Je citerais deux exemples pour étayer mon propos : le premier plus ancien et le second remonte à quelques années seulement du Renouveau démocratique. Tenez : le nouveau président élu de Centrafrique est  docteur en mathématique, ancien recteur de l’Université de Banguy. Il a soutenu sa thèse de doctorat il y a quelques années  à l’université de Yaoundé sous la direction  de Marcel Dossa, professeur  béninois titulaire de chaire en géométrie différentielle. Marcel Dossa est un ancien élève du collège Pére  Aupiais qui a bénéficié d’une bourse dite interaf au milieu des années 70.

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C’est le grand mathématicien camerounais de renommée mondiale Hogbé Nlend qui l’a détecté après la maîtrise en mathématique, lui a fait attribuer une bourse de troisième cycle qui lui a permis de faire une thèse d’état. Laquelle thèse l’a  propulsé au rang des professeurs titulaires de chaire de mathématique, un poste très sélectif au Cameroun, largement au-dessus des standards du Cames. Marcel Dossa n’a-t-il  pas sa place  aussi bien à l’université de Calavi qu’à l’institut supérieur de mathématique de Dangbo ? Quelles démarches a-t-on  jamais effectuées pour faciliter le retour au pays des cadres du genre qui sont légions de par le monde. Des Marcel Dossa, il y en a des centaines en Afrique et de par le monde. Comme le professeur Philippe Ayégnon de l’Ecole Normale Supérieure d’Abidjan. Le dossier de mission d’enseignement à l’Université d’Abomey-Calavi de ce spécialiste en algèbre commutative interviewé récemment par notre journal traîne dans les  tiroirs de l’administration de l’Uac. Le second exemple qui est le signe patent de l’incurie de nos dirigeants est celui des bénéficiaires des bourses d’excellence instituées à l’époque du Ministre Damien Zinsou Allahassa. Ils sont plus d’une vingtaine de jeunes bacheliers ayant obtenu la mention bien et très bien qu’on a envoyés à l’Ecole polytechnique de Montréal au milieu des années 90, pour une formation de haut niveau en télécom,  architecture, génie civil et autres. Presque tous sont restés aujourd’hui au Canada spécialistes de haut niveau en télécom, génie informatique, actuariat et autres qui font le bonheur des cabinets canadiens et étatsuniens.

Au total, c’est un véritable aggiornamento qu’il convient d’opérer en matière de gestion des ressources. Pour d’abord dresser un  répertoire aussi exhaustif que possible des cadres formés au Bénin en Afrique et dans le monde. Une gestion comprise dans son double volet de formation et d’utilisation des ressources humaines. Nos ministères de l’enseignement sont appelés à travailler en synergie entre eux d’abord avec  tous les autres ministères utilisateurs. Pour que demain nul ne puisse être nommé ambassadeur, préfet, directeur de société, s’il n’est pas diplomate, administrateur civil  ou administrateur de société notamment ou s’il  n’a pas reçu une formation appropriée dans son  domaine de compétence. Pour  cela, le Bénin doit pouvoir compter sur tous les pays du monde. La France d’accord mais d’abord le Nigeria et le Ghana, nos plus proches voisins, mais aussi la Chine, l’Inde, l’Afrique du sud, tous des pays émergents

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