Pour son chantier de réformes en cours, le chef de l’Etat, Patrice Talon pourrait amener la Cour constitutionnelle à revenir sur sa jurisprudence sur une question aussi sensible que le mandat unique et les options fondamentales de la conférence nationale.
Faire passer le mandat présidentiel d’un quinquennat renouvelable une fois à un mandat unique. C’est l’un des principaux défis que s’est lancé Patrice Talon, le nouveau président béninois, en accédant au pouvoir le 06 avril 2016. Dans son projet de société, « Le Nouveau Départ », le richissime homme d’affaires béninois, prévoit une batterie de réformes politiques et institutionnelles pour donner un nouveau souffle au modèle politique béninois. Principal argument contre l’actuel double mandat, la quête d’un second mandat conduit le président sortant à des compromissions qui entravent la bonne gouvernance du pays. Le 06 mai 2016, un mois après son entrée en fonction, le chef de l’Etat a installé une commission de 35 personnalités, chargée de lui faire des propositions de réformes dans l’esprit de la Conférence nationale de février 1990. Après près de deux mois de travail, la commission dirigée par le ministre de la justice, le professeur Joseph Djogbénou, a déposé son rapport au président Patrice Talon le 28 juin. Avant même et après le dépôt dudit rapport, le débat sur les réformes s’est cristallisé autour de la question du mandat unique. S’ils ont pu réaliser un consensus sur d’autres propositions de réformes, les commissaires sont restés partagés sur celle du mandat unique, qui divise déjà la classe politique et l’opinion publique béninoises. L’instauration d’un mandat unique présidentiel nécessite une révision de l’article 42 de constitution béninoise du 11 décembre 1990. Dans son plan, le chef de l’Etat prévoit un référendum constitutionnel avant début 2017. Cependant, une jurisprudence de la Cour constitutionnelle inscrit le mandat présidentiel au nombre des dispositions non révisables de la Constitution. Selon la Cour, les dispositions des articles 42, 44 et 54 de la Constitution contiennent les options fondamentales de la conférence nationale. Elles ne peuvent faire objet de révision. A cet effet, la décision Dcc 11-067 du 20 octobre 2011 stipule: «Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au référendum, les options fondamentales de la Conférence Nationale de février 1990, à savoir : la forme républicaine et la laïcité de l’Etat ; l’atteinte à l’intégrité du territoire national ; le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une seule fois ; la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle et enfin, le type présidentiel du régime politique au Bénin».La haute juridiction a rappelé cette jurisprudence dans une décision -décision dcc 14-156 du 19 août 2014- rendue contre l’ancien ministre de l’agriculture de Boni Yayi, Fatouma Amadou Djibril, qui déclarait sur l’émission « Zone Franche » (Canal 3) du dimanche 20 juillet 2014 qu’il revenait au peuple de décider si Boni Yayi, en fin de ses deux mandats constitutionnels, pouvait en faire un troisième ou pas.
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Les options envisageables
Pour passer sa réforme du mandat présidentiel, Patrice Talon devrait donc trouver le moyen de sauter ce verrou constitutionnel. Selon les constitutionnalistes, à ce niveau, deux options s’offrent au chef de l’Etat. La première est de soumettre à l’Assemblée Nationale et au peuple une nouvelle constitution; la démarche du gouvernement ne sera donc pas de réviser la constitution de 1990 mais d’introduire un autre texte constitutionnel. Il s’agira donc de solliciter un nouveau consensus pour rendre caduc celui de février 1990. La seconde option est que la Cour constitutionnelle fasse un révirement jurisprudentiel pour autoriser la révision des options fondamentales de la conférence nationale. L’une des conditions pour l’effectivité de cette seconde condition est le consensus national (institutionnel, politique et populaire) autour de la réforme du mandat unique. Tout le contraire de la situation actuelle. Dans l’un ou l’autre des cas, le chef de l’Etat peut faire le choix risqué de contourner l’Assemblée Nationale en soumettant directement sa réforme au peuple, sur la base de l’article 58 de la Constitution qui dispose que : « le président de la République, après consultation du président de l’Assemblée nationale et du président de la Cour constitutionnelle, peut prendre l’initiative du référendum sur toute question relative à la promotion et au renforcement des Droits de l’Homme, à l’intégration sous-régionale ou régionale et à l’organisation des pouvoirs publics.»
Suspicion
Sur les écrans de la télévision nationale dimanche 17 juillet, le ministre Joseph Djogbénou a donné quelques indications sur ce que veut faire le chef de l’Etat. Selon le président d’honneur du parti Alternative citoyenne (Ac), la réforme en vue consistera à réviser la constitution du 11 décembre 1990. Il a ajouté qu’aucune virgule du préambule de la Constitution ne sera modifiée. Mieux, le gouvernement oeuvrera pour que le projet de modification et le texte actuel de la loi fondamentale compte le même nombre d’articles.Dans tous les cas, la Cour constitutionnelle, «organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics (…) juge de la constitutionnalité de la loi », devra intervenir pour valider où invalider les différentes réformes retenues. Et sur la question du mandat unique, sa position est très attendue. Elle qui a déclaré intouchables toutes dispositions constitutionnelles relatives au mandat présidentiel. Va-t-elle revenir sur sa décision de 2011 saluée par nombre de Béninois à l’époque parce qu’elle mettait le pays à l’abri du spectre d’un troisième mandat par Boni Yayi ?
«Le mandat actuel est un consensus du modèle démocratique de 1990», rappelait, il y a quelques semaines, le professeur Ibrahim Salami. «On ne peut pas adopter un mandat unique en disant qu’on est toujours dans les options fondamentales de 1990, poursuit l’avocat.» L’agrégé de droit public estime que pour ne pas faire objet de “grande suspicion”, la Cour constitutionnelle devrait «maintenir et même renforcer» la jurisprudence de 2011.
Pour le moment, tous les regards sont tournés vers le gouvernement. Les Béninois attendent le projet de loi portant révision de la Constitution, qui sera élaboré à partir du rapport de la Commission Djogbénou. Le texte permettra de savoir les choix et orientations finalement retenues par le chef de l’Etat. Dans la conduite de cette réforme, la Cour constitutionnelle aura un rôle central à jouer. De ces décisions et leurs motivations dépendrait sa crédibilité. Le professeur Holo et les autres sages trouveront-ils les arguments-qui ne manquent jamais aux juristes- pour revenir sur la jurisprudence de la Cour en vue de faire la volonté du président Patrice Talon et de ses partisans? Le temps reste le seul juge, pour paraphraser l’autre
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