Développement du Bénin : nécessité de revoir la planification

Il n’est pas rare d’entendre les populations se plaindre du faible niveau de leur bien-être et de leur paupérisation grandissante. En effet, selon les données de l’INSAE (EMICOV, 2015), 63.5% des béninois vivent avec moins d’un dollar US par jour en 2015. Et pourtant, ces dernières années, le Bénin a connu des budgets généraux de l’Etat de plus de mille (1000) milliards.

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L’ancien Président de la République était souvent étonné d’entendre les récriminations des populations sur leurs conditions de vie alors que son gouvernement a élaboré et mis en œuvre des centaines de projets et programmes de développement et dépensé des milliards de francs. Dans les Conseils des Ministres, il est dressé la liste des projets et des milliards dépensés. Mais où est donc passé tout cet argent? Récemment, le Ministre d’Etat chargé du Plan et du Développement disait lors d’une réunion qu’il faudrait que chaque franc qu’on aura à dépenser impacte le quotidien des populations. Si ces dirigeants ont réagi ainsi, on est en droit de se poser des questions. Que fait-on des budgets alloués aux différents projets ou programmes de développement? Comment sont montés les différents projets et programmes de développement? Comment est planifié le développement du pays?

Une planification qui ne tient pas compte des aspirations.

Tout projet ou programme de développement doit être élaboré dans le but de résoudre un problème, satisfaire les préoccupations des populations. Donc, ce sont les aspirations des populations qui devraient être traduites dans les projets. Cependant, la quasi-totalité des projets de développement élaborés ne s’en inspire presque pas. Par exemple, les orientations  stratégiques de développement et les stratégies de croissance pour la réduction de la pauvreté ont pris en compte une partie des aspirations (économiques) du peuple retracées dans le document Bénin Alafia 2025 pour définir leurs orientations. Aussi, beaucoup de projets de développement sont souvent élaborés entre les quatre murs d’un bureau, bien loin des problèmes des populations. On peut citer des marchés construits mais jamais utilisés, des  centres de santé construits mais délaissés au profit des herbes, des animaux et autres malfaiteurs. Quand les aspirations des populations sont prises en compte, les projets ne les traduisent pas correctement; ils sont mal montés et ne proposent pas la bonne solution. La turbine à gaz de Maria-Gléta pour résorber le déficit en énergie électrique et la gratuité de la césarienne pour réduire la mortalité maternelle en sont des exemples.

Une absence de planification de long terme

Le développement d’un pays se fait sur la durée. Il faut donc imager un futur possible, un avenir désiré. Et c’est ce rêve qui se traduit dans la planification du développement. Quel est le type de société que trouverons les générations futures dans cinquante ans? Quelle école voulons-nous pour nos enfants dans trente ans ? Quel type d’agglomération urbaine souhaitons-nous avoir en 2050 ?  Ce sont ces préoccupations qui devraient nous guider dans la planification de nos actions. Malheureusement au Bénin, nous semblons nous intéresser qu’au présent; au mieux, nous ne planifions que pour le court terme, et ceci dans tous les domaines. Un exemple simple pour illustrer cet état de chose. Les bâtiments administratifs et commerciaux sont construits avec des parkings de stationnement de petite capacité. Aujourd’hui, les usagers de ces lieux sont obligés de stationner sur les terre-pleins centraux ou sur les trottoirs qui bordent ces bâtiments. En dehors de l’étude de perspective à long terme Bénin Alafia 2025 réalisée à la fin des années quatre-vingt-dix, le Bénin ne dispose d’aucune planification de long terme de son développement. La seule qui existe n’est même pas mise en œuvre pour atteindre la vision 2025.

Une mauvaise planification des actions du court terme

Depuis le début des années 2000, le Bénin a généralisé la budgétisation par objectif ou budget-programme qui est un outil de la gestion axée sur les résultats. Désormais, le budget de l’Etat est intimement lié à des objectifs et résultats à atteindre. Chaque franc dépensé doit contribuer à l’atteinte de résultats pour améliorer le bien-être des populations. Le pays a donc renoncé au budget de moyen qui consiste à justifier a posteriori l’utilisation des ressources mise à disposition. Malheureusement, après une quinzaine d’années de mise en œuvre de cette approche, on peine toujours à lier les sommes dépensées et les résultats obtenus. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cet état de chose?

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Premièrement, l’administration continue toujours de fonctionner avec le budget de moyen mais habillé sur le vocable budget-programme. En effet, l’élaboration des budgets-programmes ne respecte pas les différentes étapes de la budgétisation par objectif. Les ministères élaborent des logiques d’intervention qui ne sont pas cohérentes (la logique d’intervention comprend les objectifs que le projet/programme veut atteindre, les résultats attendus et les actions à mener). Les objectifs définis et actions à mener sont tellement flous qu’il est difficile de définir un indicateur qui va permettre de suivre les progrès réalisés. Le plus souvent, la logique d’intervention est élaborée sans une orientation ou stratégie du secteur. Les différents secteurs ne disposent pas, en général, de politique ou stratégie de développement. Ce qui expliquerait la navigation à vue des ministères. Aussi, il est question d’une programmation pluriannuelle des actions à entreprendre mais, il est aisé de constater que les budgets-programmes sont élaborés chaque année, et d’une année à une autre, ce sont les mêmes activités qui sont reconduites. Ce qui fait qu’on a des projets ou programmes qui n’ont presque jamais de fin, donc pas de durée de vie. Les projets deviennent des gouffres d’argent et ne produisent pas de résultat.

Deuxièmement, les budgets-programmes sont élaborés dans la précipitation et le processus d’élaboration est contraire au principe de la gestion axée sur les résultats que les gens vantent sans mettre en œuvre. Lorsque le Ministère en charge des finances notifie à chaque département ministériel son cadrage budgétaire, les structures chargées d’élaborer le budget répartissent les crédits sur une base purement aléatoire et/ou des affinités avec les responsables des autres structures. Il est ensuite demandé à ces structures de proposer des activités pour rester dans l’enveloppe budgétaire. Aucune orientation ne leur ait donné, ni d’objectifs à atteindre. Du coup, des actions sont proposées de façon éparse sans lien ni finalité. Ainsi, les ministères disposent de ressources avant de penser à ce qu’ils feront de ces moyens. Or, selon la budgétisation par objectif, on devrait d’abord définir une orientation, fixer des objectifs et résultats à atteindre en priorisant les actions à mener. Et c’est après coup, qu’on doit répartir les ressources disponibles sur ces actions selon les priorités.

Une absence de vision et d’ambition des dirigeants

Enfin, cet état de chose, trouve sa source dans l’absence d’orientation nationale et de but des dirigeants du pays. Les différents gouvernements que nous avons connus, n’avaient pas un but précis de leurs ambitions. A quel niveau voudraient-ils laisser le pays à la fin de leur mandat? Quels sont les objectifs qu’ils se sont assignés et qui découlent de leur projet de société? On peut citer comme exemple d’objectif à obtenir, améliorer le climat des affaires dont l’indicateur peut être le nombre d’entreprises créées, augmenter le nombre de béninois qui a accès à l’électricité de 34,2% en 2013 à 60% en 2021. Cette absence de vision ne permet pas aux structures sectorielles de savoir qu’est-ce qu’elles auront à faire et comment parvenir à ces finalités. Ce qui fait que chaque secteur se fixe ses objectifs qui n’ont pas de lien avec d’autres. Par conséquent, les actions mises en œuvre, agrégées ne produisent pas grand effet ou pas du tout sur les populations.

Obligation de revoir la planification du développement

Alors, dans cette situation, que devrons-nous faire pour que nos projets et/ou programmes impactent directement les populations pour sortir de la misère? Selon nous, deux grands axes sont nécessaires.

Primo, il est impératif de définir un cadre d’orientation et de stratégie de développement national pour donner une voie à suivre à l’administration. En effet, une fois les élections terminées, le vainqueur devrait traduire ses ambitions politiques et ses promesses de campagne en vision claire; fixer les objectifs à atteindre à la fin de son mandat secteur par secteur, et ceci en arrimage avec la planification de long terme. Par exemple, réduire le niveau de pauvreté de 63,5% en 2015 à 30% en 2021, réduire le taux de chômage de moitié. Une fois les objectifs définis, l’équipe de rédaction de son projet de société et les cadres de l’administration vont retenir les orientations et stratégies adéquates dans chaque secteur pour atteindre les objectifs fixés. C’est seulement après cette étape que les sectoriels vont décliner ces objectifs en objectifs spécifiques et résultats à obtenir et élaborer les plans d’actions qui vont permettre d’atteindre ces niveaux. Ce sont ces plans qui devraient être le document de référence pour la planification de toutes les actions qui seront mises en œuvre durant le mandat.

Secondo, les départements ministériels doivent élaborer des logiques d’intervention cohérentes, efficaces et hiérarchiques. Les objectifs seront déclinés en résultats à obtenir et ces résultats, à leur tour, en actions pertinentes à mener pour les atteindre. A chaque niveau du cadre logique, un instrument qui permet de juger du chemin parcouru vers le but final devra être défini (indicateur objectivement vérifiable). Ensuite, les actions doivent être hiérarchisées car les ressources dont dispose le pays sont faibles. On doit donc les utiliser judicieusement et de façon efficace. Une fois ces orientations définies par les comités de pilotage des réformes budgétaires, les ressources seront allouées aux activités suivant les priorités. Aussi, l’évaluation des coûts des activités doit suivre une certaine rigueur (tenir compte des différentes tâches de l’activité, des coûts actuels des services et biens et d’une marge d’erreur). Enfin, toutes les actions devront être réparties sur la durée du projet ou programme de telle sorte à respecter le cadre de dépense à moyen terme et aussi de consacrer les ressources d’une activité terminée à une autre. Cela mettra fin à des projets qui n’ont jamais de terme.  

Mais pour définir ces objectifs, résultats ou actions, il y a des questions préjudicielles qui doivent être posées à chaque étape. Le rôle d’un dirigeant n’est pas de trouver une solution aux problèmes des populations mais d’identifier et de mettre en œuvre la meilleure solution. Ainsi, pour déterminer les éléments du cadre logique, il est nécessaire de se demander pourquoi ce but? Cette question permet d’identifier clairement la ou les cause(s) du problème. Ensuite, il faut se demander « pour quoi faire? dans quel but?» pour déterminer le besoin à satisfaire. Ces questions vont aider à identifier plus aisément les aspirations des populations et les traduire en bonnes actions à entreprendre.

La revue de la planification du développement de notre pays va permettre de satisfaire les besoins des populations et d’utiliser judicieusement le peu de ressources disponibles. C’est ce que je crois.

Odilon LOKO
Ingénieur Statisticien

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