Emile Derlin Zinsou, le politicien paradoxal

Il était le dernier de la « bande  des quatre » qui a conduit notre pays à la souveraineté nationale et internationale. Après Sourou Migan Apithy, né en 1913 et mort en 1989, Hubert Coutoucou Maga, (1916-2000), Tomety Justin Ahomadégbé(1917-2002),  c’est le tour  d’Emile Derlin Zinsou de tirer sa révérence à l’âge canonique de 98 ans.

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Une mort douce, si tant est qu’il en  est,  intervenue dans son sommeil, nous apprend-on, dans la nuit de jeudi au  vendredi dernier. Et l’on fait le constat que le docteur Emile Derlin Zinsou,  né  presque deux décennies après le 19 ème siècle, a  réussi l’exploit de traverser tout le 20ème  avec tous les leaders politiques de sa génération et  de celle qui l’a suivie  (aujourd’hui constituées de vénérables septuagénaires voire d’octogénaires   ) et largement entamé le 21ème avec les nouveaux nés après les indépendances nominales des années 60 , aux commandes du pays aujourd’hui. Il était de tous les combats :contre les exactions du système colonial , combat pour l’unification des territoires sous domination française. Il aurait pu être le premier secrétaire général du Rda (rassemblement démocratique africain) créé en 1946 à Bamako, n’était son opposition viscérale aux communistes qu’iil accusait de tirer les ficelles du mouvement à l’époque. Il  a surtout pris une part active à la lutte pour l’indépendance à un moment où certains leaders politiques nationaux, comme Justin Tométy Ahomadégbé,  jugeait l’indépendance précoce. Démocrate convaincu,  il n’a eu aucun mal à convaincre les  militaires qui l’ont coopté au pouvoir en 1968  de se faire légitimer par un référendum.  Il serait par conséquent  prétentieux de camper un tel personnage dans un éditorial de quelques dizaines de lignes. D’autant que la biographie de quelques cinq cents pages à lui consacrée, publiée par un de ses plus fidèles lieutenants, Idelphonse Affogbolo* n’a pas dissuadé l’intéressé de faire paraître, il y a deux ans seulement,  sa propre autobiographie tout aussi volumineuse.

 Zinsou Tacouè

De ce point de vue,   deux  repères temporels s’imposent à l’observateur attentif de la vie politique nationale: le premier se rapporte à la courte période de son passage au pouvoir entre juillet 1968 et décembre 1969.L’ intellectuel  brillant au verbe haut qui maniait à la perfection la langue de Molière que vénérait les élites des années 60  n’avait rien à voir avec le politicien à poigne dont la soldatesque semait la terreur dans les villages et contrées du pays. Lui- même a pu s’en défendre mais il n’a jamais pu  se faire pardonner le souvenir indélébile de l’humiliation infligée  à de pauvres pères de famille  contraints et forcés de quitter leur domicile nuitamment et traverser le fleuve, pour échapper à la furie des collecteurs du « Tacouè ».Les survivants de cette période et leurs descendants se souviennent parfaitement des scènes d’horreur dignes de la période esclavagiste imposées aux familles au milieu des cris et des pleurs des progénitures apeurées. Hommes et femmes surpris dans leur sommeil ou en pleins ébats…. amoureux étaient tirés sans ménagement hors des cases,  ligotés tels des malfrats avec des cordes de raphia tissé. Toute cette brutalité mise en œuvre pour collecter le « tacouè », un  impôt dit de capitation imposé à tous les individus mâles de plus de 18 ans hérité de la période coloniale dont le montant est passé de 250 à 500F  puis à  quelque 1200 F, des sommes, aujourd’hui dérisoires mais considérables pour la paysannerie de l’époque déjà assommée par les charges de santé et d’éducation des enfants.

On peut aujourd’hui déplorer que ni lui –même ni ses proches n’expriment aucun  regret pour les souffrances inutiles infligées à des hommes et des femmes  qui ne savaient rien de la destination finale des taxes ainsi collectées. On a pu entendre son neveu et ancien Premier Ministre du régime défunt  parler  de la rigueur qui caractérise l’homme et le présenter comme un homme soucieux de la bonne gestion des deniers publics, balayant du revers de la main les conséquences désastreuses d’une politique somme toute  autocratique.

Entre deux chaises

Les années 90 à nos jours, celles qui correspondent à la période dite  du « Renouveau démocratique » constituent le second repère. Le Dr Emile Derlin Zinsou  est apparu au cours des  ces vingt dernières années comme un  homme  toujours assis entre deux chaises.  Revendiquant,  quand il le peut, le respect des principes démocratiques et cultivant le rapprochement avec le pouvoir en place. Ainsi, passées les années Soglo (il ne nourrissait à l’égard de ce dernier aucune amitié particulière), le Dr Emile Derlin Zinsou s’est remis en selle  pendant les deux quinquennats du président Kérékou. Oubliées l’épopée de l’agression armée de janvier 1977 dont il n’a jamais reconnu la paternité et les multiples condamnations à mort. C’est la période où il a cédé sa fameuse propriété du bord de la mer à une société d’Etat qui aurait pu s’en passer, à un prix qui  pourrait donner le vertige aux rescapés des années Tacouè. Tour à tour conseiller occulte et Sherpa du président auprès de la Francophonie, il sera une sorte de médiateur officieux pour le successeur de Mathieu Kérékou .Ainsi, à la veille du K.O. mystérieux d’avril 2011,  C’est lui qui a sauvé le régime  chancelant d’alors par cette rencontre dite de la dernière chance qui a abouti au  consensus bancal du Chant d’oiseau avant le fameux K.O. de triste mémoire.  C’est   encore cette politique d’entre deux chaises qui  a conduit le député de l’Un, Basile Ahossi,  à faire le choix qu’il a fait en 2016,  par fidélité dit-il à l’Undp du président Zinsou, alors que la coalition qu’il soutenait a fait le choix opposé. Deux répères et deux postures qui font d’Emile Derlin Zinsou ,panafricaniste et orateur hors pair,  un des politiciens les plus controversés de sa génération.

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*Idelphonse Affogbolo :Emile Derlin Zinsou, un humaniste en politique

Editions Esprit libre Mai2008 (510 P)

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