Déguerpissements des populations : Modernité, Légalité et Légitimité

Le ministre Joseph Djogbénou, porte- parole du gouvernement et éminence grise du président TALON dont il est l’avocat personnel, énonce à propos des déguerpissements maintenant élargis à une interdiction générale d’utilisation des espaces publics « Nous le faisons parce que le Bénin, notamment nos grandes villes, ont vocation à être des villes modernes ».

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Les propos du porte parole du gouvernement seront amplifiés par le président qui a tenu devant les musulmans des propos d’une extrême gravité, insultants pour les Béninois, pour le Bénin, et expose sa doctrine politique qui  peut se résumer a ceci « rien de grand ne peut se faire dans le consensus » (sic). Par cinq ou six fois dans son intervention de moins d’une demi-heure, le président a utilisé le terme « force » traduisant de façon non équivoque ses méthodes fascisantes.

Il est clair à travers ces propos que le gouvernement Talon entend traiter les Béninois comme du bétail ignorant auquel les « sachant », le président et son conseil en tête, administre le bien ! Ce même président qui a traité le Bénin de « désert de compétences », redouble de mépris pour nous avec ses propos « le Benin est un pays de pagaille » (sic). De tels propos injurieux sont inadmissibles dans la bouche de celui qui prétend nous représenter  ou nous diriger. Le Bénin n’est pas une école primaire, dont les habitants seraient des écoliers et Mr Talon l’instituteur s’autorise à les rudoyer ( encore que dans l’école moderne dont il prétend se prévaloir, les instituteurs doivent respect aux écoliers et ne sont pas autorisés à les traiter avec mépris ).

Le gouvernement TALON se croit investi de la mission de moderniser nos villes envers et contre nous !

Dans cette approche de la modernisation menée à la hussarde, plusieurs questions méritent d’êtreposées car le Bénin n’est pas le domaine privé de Mr Talon ou il vient faire l’expérimentation de ses chimères :

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  1. la définition de la politique de la ville du gouvernement surtout une nouvelle politique impliquant la transformation radicale de notre société et, de notre mode de vie, de notre culture, doit il se faire à la sauvette ,au détour de déclarations à l’emporte pièce de Djogbénou ou pire Toboula qui n’a aucune vocation à élaborer des politiques? Le peuple et ses représentants ne doivent ils pas connaitre les objectifs, les moyens et le chronogramme de la transformation forcée de leur cadre de vie ? cela ne doit il pas faire l’objet d’un projet de loi d’orientation ou loi programme définissant objectifs et moyens ? Mr  Talon a le droit de penser que les transformations  sociales ne se font pas par consensus, mais ce n’est pas ce que prévoit notre constitution sur la base de laquelle il a été élu. Mieux la cour constitutionnelle a érigé le consensus en principe constitutionnel ( donc supra constitutionnel si l’on veut en ce sens qu’aucune révision ne peut le changer).

La constitution, qui , rappelons est la loi fondamentale qui régit notre vivre ensemble, et non la volonté  soit disant réformatrice du président TALON, dans son préambule stipule

«  NOUS, PEUPLE BENINOIS,

-Réaffirmons notre opposition fondamentale à tout régime politique fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel.

Qu’est ce que le pouvoir personnel, si ce n’est la volonté d’un individu, ici Mr Talon d’imposer sa volonté et ses vues ( aussi excellentes qu’elles puissent être) a l’ensemble du pays ?

De telles attitudes et propos qui sont à la base des décisions arbitraires du gouvernement contreviennent à l’esprit et à la lettre de notre constitution, de notre loi fondamentale.

  1. Dans ses propos d’une logique déconcertante, qui rappelle les dérapages verbaux des deux derniers présidents de l’ère du renouveau,  le président Talon a parléà maintes reprises de l’ordre, de peuple soit disant ordonnés et de peuple désordonnés.  Qu’est ce qui définit l’ordre dans une société humaine ?  La loi définit les règles auxquelles les citoyens doivent se plier. Dans une démocratie, et jusqu’à nouvel ordre le Bénin se veut une démocratie et non une dictatureprétendumentéclairée, le parlement vote les lois. Les infractions sont punies par la justice dans le cadre de procédures contradictoires. Apparemment Mr Talon veut faire l’économie de la loi et de la justice. Le « sachant » qu’il se proclame veut faire la loi, la justice et l’exécution. Que dit la loi à propos de l’occupation du domaine public. En ce domaine, la loi de référence est le code foncier loi 2013-01 du 14/8/2013. En son article 272 la loi dit « le maire accorde, par arrêté pris aprèsdélibération du conseil municipal ou en conseil municipal, les autorisations d’occuper le domaine public et les dérogations aux servitudes de passage, sous réserve que ces autorisations et dérogations sont à tout moment révocables sans indemnité, pour un motif d’intérêt publicet sous réserveégalement des  règles qui pourraient êtreposées, à cet effet, par les textes subséquents au présent code »

Il est clair au vu de cette disposition qu’il appartient au maire d’accorder et retirer les autorisations d’occupation du domaine public. Il est tout aussi clair qu’il n’existe dans la loi, aucune interdiction générale d’utilisation de l’espace public, surtout quand cette utilisation répondà des besoins d’intérêtdu public qui en est le propriétaire véritable.

L’article 280 du même code foncier stipule « les personnes physiques et les personnes morales de droit privé peuvent jouir du domaine public suivant les conditions spécifiques a chaque nature de bien , l’usage auquel ils sont destinés, et ce dans les limites déterminées par voie règlementaire. »

On eut souhaité que le ministre de la justice se préoccupât de la prisedes dispositions règlementaires encadrant la jouissance du domaine public au lieu de se lancer dans une croisade contre l’utilisation du domaine public et des interdictions générales ne se fondant sur aucune base légale.

  1. La jurisprudence en matière d’occupation du domaine public.  Nous n’avons pas connaissance de décisions de justice en la matière dans notre pays, le gouvernement Talon étant le premier adéclarer la guerre aux citoyens occupant temporairement le domaine public. En France, pays dont les traditions juridiques ont inspiré une partie importante des lois de chez nous, c’est le Code général de la propriété des personnes publiques qui régit l’occupation temporaire du domaine public et certaines dispositions de notre code foncier utilisent des formulations très proches de celui-ci, notamment les articles 2122 et suivants. Nulle part, on ne trouve d’interdiction générale et absolue d’utilisation, même temporaire du domaine public , comme veut nous l’imposer le gouvernement TALON !

Dans une décision du Conseil d’Etatfrançais, on peut lire « le Conseil d’Etat rappelle les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) règlementant les occupations du domaine public : l’occupation ou l’utilisation du domaine public n’est soumise à la délivrance préalable d’une autorisation que lorsqu’elle constitue un usage privatif de ce domaine, excédant le droit d’usage appartenant à tous.(souligné par nous)« Par cette interprétation, la haute juridiction administrative française confirme en France, le droit d’usage collectif, des lors qu’il ne s’agit pas d’un usage privatif et /ou permanent.  Nos gouvernants en quête de modernité mal comprise et mal assimilée, devraient étudier la jurisprudence internationale avant d’édicter des interdictions générales nonfondées sur le droit ou la coutume.

  1. La coutume et les traditions culturelles sont une source importante du droit positif. Chaque sociétéa ses coutumes et traditions et le respect de celles-ci par les autoritésélues est une source de leur légitimité. De même que les Suédois, Norvégiens et autre Nord Américains ne se réfèrent pas aux traditions et coutumes africaines pour fonder leurs lois et l’action politique, de même il est puéril, condescendant, et totalement illégitime de fonder les politiques et le droit positif béninois sur les coutumes et traditions des Vikings. Au rendez vous du donner et du recevoir des civilisations, l’Afrique , le Bénin, doivent venir avec leurs contributions spécifiques qui épousent leur particularismes socio-culturels et non les fantasmes de prétendus intellectuels acculturés.  La ville et son organisationsont des questionséminemment culturelles, et il est affligeant de voir nos dirigeants vouloir nous imposer à la hussarde des modèles culturels et socio-économiques qui ne tiennent aucun compte de nostraditions et valeurs.

Voulons-nous que nos quartiers ressemblent à ces soit disant zones résidentielles ou les habitants sont isolés derrière des hauts murs, sans aucun commerce de proximité, sans contact avec leur voisins, ou le moindre achat requiert l’utilisation d’une voiture pour se rendre dans les temples du consumérisme que sont les centres commerciaux implantés à la périphérie de la ville ? C’est peut-être l’ambition et le rêve de certains de nos dirigeants acculturés, il n’est pas sur –loin de la- que ce soit le souhait ou l’ambition de la majorité de la population du Bénin et les Béninois ont le droit de faire ces choix, de ne pas les subir. Cette conception de la modernité conçue comme le mimétisme des pires solutions en vue dans l’occident décrit dans les films ne nous paraît pas être un moteur du développement. En voulant imposer à notre peuple des conceptions dépassées même en occident de la ville vitrine, le président et son gouvernement perdent toute légitimité.

Il nous apparait que le gouvernement TALON dans son entreprise de déguerpissement poursuit des buts et utilise des moyens qui ne sont ni légaux, ni légitimes, et ne conduit pas notre pays vers la modernité, mais vers une dictature produisant une pale et économiquement inefficace copie des modèles de villes sans aucun enracinement dans notre culture et dans nos traditions.

Au lieu d’une opération de simple police –du ressort des autorités municipales- pour faire respecter la loi qui interdit l’utilisation permanente du domaine public sans autorisation , on a une opération de transformation de nos villes sans notre accord, contre notre volonté, selon des modèles qui nous sont étrangers, et dont l’efficacité au plan économique, culturel, social et humain sont discutables et discutés !

Nous n’avons pas élu un gouvernement pour décider à notre place et sans nous de ce qu’il nous faut, mais pour gérer en notre nom la cité pour le bien collectif de tous, sur la base de notre constitution et de nos lois. Le gouvernement Talon s’engage sur la pente dangereuse de l’autocratie de l’homme « fort », du Bonaparte qui sait ce qui est « bon » pour le « peuple ». Tout le contraire de la démocratie à laquelle on prétend être attaché. L’enfer, dit on, est pavé de bonnes intentions…

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