En 27 ans de Renouveau démocratique et de pratique constitutionnelle avérée, c’est la première fois qu’un régime en quelques mois seulement aura réussi l’exploit de violer massivement, non seulement la constitution… mais surtout à ignorer les décisions rendues par la Cour constitutionnelle, institutionnelle régulatrice du fonctionnement des autres institutions. C’est un peu comme «Le chien aboie, la caravane Talon passe.» Autrement dit, la Cour décide, le gouvernement circule royalement.
A observer la cadence de violation des décisions de la Cour constitutionnelle, on est tenté de dire que celles-ci ne font pas bon ménage avec le rythme de la rupture prônée par le président Talon. Cet alarmant constat est d’autant plus plausible qu’en l’espace de vingt (20) mois de gouvernance, la constitution et le juge qu’elle a institué pour la protéger sont devenus des souffres douleurs de l’exécutif.
En clair, à défaut d’avoir réussi à réviser le 04 avril 2017, la Constitution du décembre 1990, le gouvernement ne ménage aucun effort pour la violer sans se soucier des condamnations du juge constitutionnel.
Pourtant, pour faire bonne impression et montrer à son adversaire du second tour des présidentielles de 2016 que le Bénin est une démocratie aussi avancée que les vieilles démocraties occidentales, le candidat Talon, lors du débat télévisé qu’il a eu avec le candidat Zinsou disait qu’un pays dans lequel les décisions de justice ne sont pas respectées est un Etat «Voyou».
Elu président à la magistrature suprême, tout le monde s’attendait à ce que le président Talon fût une référence en matière de respect des décisions de la Cour constitutionnelle.
Malheureusement, loin d’être le meilleur gardien du temple constitutionnel, le président Talon en est devenu un véritable profanateur. Aucune décision de la décision de la Cour l’ayant débouté n’a trouvé grâce à ses yeux.
En effet, en vingt (20) mois de gouvernance, le président Talon a battu le record de violations de la constitution.
Par cette option aussi dangereuse que hasardeuse, le président de la République a créé un déséquilibre préjudiciable à l’image de la démocratie béninoise et à l’État de droit.
Or par le serment qu’il a prêté et prévu à l’article 53 de la constitution, le chef de l’Etat s’est engagé à « respecter et de défendre la Constitution que le Peuple béninois s’est librement donnée.»
Mieux, l’article 59 de la Constitution oblige le chef de l’Etat à assurer et garantir l’exécution des décisions de justice; et l’article 124, en précisant l’effet obligatoire des décisions de la Cour constitutionnelle dispose que «Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles.»
Malgré ce minutieux encadrement juridique, le chef de l’Etat peine à se soumettre aux décisions de la Cour qui lui donnent tort. Tout se passe comme si le pays est devenu un Etat de droit à géométrie variable où le droit n’est dit que quand le chef a raison.
Les cas de violations patentes à l’actif du régime de la rupture sont légions et variés. Pour mieux en brosser le tableau, il importe de citer quelques-uns pour montrer la tendance systématique du pouvoir à bafouer les décisions de la Cour.
La décision ‘’Todome’’
En effet, par arrêté année 2016-n°050/MENC/DC/SGM/DRH/ SA du 26 mai 2016 portant nomination d’un directeur général par intérim à l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (Ortb), le gouvernement a évincé monsieur Stéphane Todomèet nommé monsieur Georges Amlon, directeur général par intérim de l’Ortb.
Saisie, la Cour constitutionnelle, suivant DCC 16-091 du O7 juillet 2017, a déclaré l’arrêté sus-visé contraire à la Constitution pour violation de la loi organique sur la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication.
Cette décision n’a jamais été respectée par le gouvernement.
Le cas Todomè n’est qu’une simple illustration de la posture gouvernementale. Si les violations sont monnaies courantes sous la rupture, le mépris des droits de la défense, baromètre du procès équitable le sont davantage. C’est à peine que l’on résiste à tentation d’affirmer que le souci du gouvernement est de faire embastiller les mis en cause sans la moindre explication contradictoire
Or à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, et la vérité vient toujours de l’exploration des différents versants d’une montagne.
Ces exigences, gage d’un contrat social porteur de progrès, sont maintes fois rappelées au gouvernement qui, à chaque fois, feint de les prendre en compte. L’une des affaires marquantes de la résistance du pouvoir est la DCC 17-023 du 02 février 2017 intervenue suite à un recours exercé par messieurs Servais Sossoukpè, Nicolas Djiguin, Marcellin Ilougbadé, Félicien Chabi Zacharie, N’unayon Hervé Hountondji, membres de Arcep-Bénin(Autorité de Régulation des Communications Electroniques et de la Poste).
Le cas Arcep
En effet, sur le fondement des dispositions des articles 17, alinéa 1er de la Constitution et 7.1. b), c), d) de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, la Cour a jugé qu’aux termes des dispositions de l’article 17, alinéa 1er de la Constitution : «Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées » ; que, selon l’article 7. 1. b), c), d) de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
- b) le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
- c) le droit à la défense y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;
- d) le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale »; Considérant qu’il ressort des éléments du dossier, notamment du décret n°2016-631 du 12 octobre 2016 portant relèvement de fonction et abrogation de décrets de nomination à l’Arcep-Bénin, que ledit décret a été pris en considération des « irrégularités et fautes graves constatées dans l’organisation et la gestion financière de l’ARCEP par la mission d’audit » ; que par ailleurs, le compte rendu du Conseil des ministres du 27 juillet 2016 mentionne que «Les rémunérations des membres du Conseil de régulation, plutôt que d’être fixées par un décret, conformément aux textes organisant l’ARCEP, ont été fixées par le Conseil lui-même et sont constituées de primes diverses, ce qui constitue une faute grave ;
(…)
Qu’il n’apparaît pas dans le dossier que les griefs ainsi relevés contre les membres de l’ARCEP leur ont été communiqués avant la décision querellée ; qu’en effet, c’est par la lettre n°274/16/COG/ LUO/COG du 12 août 2016 enregistrée au secrétariat du Président de l’Arcep-Bénin le 17 août 2016 sous le numéro 0291 que la société d’audit et d’expertise comptable FIDUCIAIRE D’AFRIQUE a transmis à ladite Autorité (ARCEP), une copie du mémorandum des travaux d’audit de cet établissement en vue de recueillir ses commentaires éventuels alors que la décision querellée est prise en Conseil des ministres du 27 juillet 2016 avant d’être confirmée par le décret n°2016-631 du 12 octobre 2016 ; qu’il en résulte que les membres de l’ARCEP-BENIN concernés par la décision du Conseil des ministres du 27 juillet 2016, objet du relevé des décisions administratives du 28 juillet 2016 et du décret n°2016-631 du 12 octobre 2016, n’ont pas été mis à même d’exercer leur droit à la défense ; que dès lors, il échet pour la Cour de dire et juger qu’il y a violation de la Constitution de ce chef.»
La violation de cette décision a fait l’objet d’un nouveau recours. La Cour, suivant DCC 17-209 du 19 octobre 2017 et sur le fondement des dispositions des articles 3, alinéa 3, 124 de la Constitution et 34 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle a jugé que «le non-respect des décisions de la Cour constitutionnelle constitue en soi une violation de la Constitution». Sur ce, elle a condamné la Ministre de l’économie numérique pour avoir organisé une séance de travail avec les membres de l’ARCEP-BENIN dont la nomination a été déclarée contraire à la constitution.
La décision ‘’Agapit Maforikan vs Joseph Djogbénou’’
On peut dans le même registre citer la décision DCC 17-207 du 19 octobre 2017 par laquelle la Cour a déclaré que : « article 1er :
«Les membres de la Commission de vérification de la régularité des concours organisés au titre de l’année 2015 ont violé la Constitution ;
Article 2 : Le rapport de la Commission de vérification de la régularité des concours organisés au titre de l’année 2015 et les actes administratifs subséquents, en ce qui concerne Monsieur Donatien DOSSOU-GBETE, sont nuls et non avenus.» pour défaut d’égalité de traitement et violation du principe du contradictoire.
En dehors du non-respect du principe du contradictoire, le gouvernement Talon s’est illustré sur le terrain de la violation de la présomption d’innocence. La décision DCC 17-186 du 05 septembre 2017 rendue au profit de Agapit Napoléon Maforikan en est une parfaite illustration.
Par cette décision, la Cour disait :
«Considérant qu’aux termes de l’article 17, alinéa 1er de la Constitution : «Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées» ; que la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples stipule en son article 7. 1. b) : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend… b) le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente » ; qu’il découle de ces dispositions que la présomption d’innocence est un principe selon lequel, en matière pénale, toute personne poursuivie est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable par la juridiction compétente, et que la décision de condamnation n’est pas devenue définitive ; Considérant que dans le cas d’espèce, Monsieur Agapit Napoléon Maforikan a été inculpé pour des faits d’usurpation de fonction, d’abus de fonction, de faux et usage de faux en écriture publique ; que jusqu’au 19 janvier 2017, date de la saisine de la Cour, aucune décision définitive d’une juridiction compétente n’est intervenue ; que la culpabilité de Monsieur Agapit Napoléon MAFORIKAN n’est donc pas légalement établie. En sollicitant une nouvelle candidature de communicateur à la Haac motif pris de ce que le rapport de l’enquête de moralité est défavorable au requérant alors même qu’il n’est pas encore condamné par une juridiction compétente pour les faits d’usurpation de fonction, d’abus de fonction, de faux et usage de faux en écriture publique qui lui sont reprochés, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et de la Législation a méconnu le principe de la présomption d’innocence garanti par les dispositions précitées ; qu’en conséquence, la lettre n° 1169/ MJL/SP-C du 15 décembre 2016 portant reprise de désignation du communicateur devant siéger à l’ANLC doit être déclarée contraire à la Constitution sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens.»
Cette décision concerne le Ministre Joseph Djogbénou l’une des égéries juridiques du président de la République passé maître dans la violation de la loi fondamentale.
En effet, par la décision DCC 17-225 du 07 novembre 2017, la Cour constitutionnelle a jugé contraire aux dispositions des articles 23, 25 et 36 de la Constitution la déclaration du Garde des Sceaux, ministre de la Justice et de la Législation selon laquelle «Les rues ne peuvent être exposées à l’expression de la foi.»
Par la DCC 17-082 du 13 avril 2017, la Haute juridiction a estimé que le cumul des fonctions de fonctions d’enseignant à l’université et de membre du gouvernement est contraire à l’article 54 de la constitution du 11 décembre 1990.
La décision sur l’audit de la filière coton
La dernière victoire remportée par le gouvernement contre l’Etat de droit remonte au 05 décembre 2017. En cette espèce, il s’agit d’un rapport d’audit international dressé au mépris des droits de la défense.
Sur la base de ce rapport du Cabinet d’audit Mazars, le Conseil des ministres du mercredi 28 juin 2017, en son point 2.6.3, a :
-jugé que la gestion de la filière coton par le Gouvernement précédent, sur les trois campagnes ciblées, a entrainé une perte de 125 milliards de francs CFA,
-instruit le Garde des Sceaux afin que des poursuites judiciaires soient engagées contre les mis en cause alors que ceux-ci n’ont jamais été entendus par le cabinet Mazars.
Deux des mis en cause, Messieurs Kpodèto Philibert AZON, Komi KOUTCHE, ont saisi la Cour constitutionnelle.
La Cour, suivant décision DCC 17-251 du 05 décembre 2017, a déclaré le relevé du Conseil des ministres n°22/2017/PR/ SGG/CM/OJ/ORD du 28 juin 2017 en son point 2.6.3 portant «Mission d’audit organisationnel, technique et financier de la filière coton au Bénin (Campagnes 2013-2014, 2014-2015 et 2015-2016)» contraire à la Constitution pour violation des droits de la défense et du principe de l’égalité des citoyens devant la loi.
La Cour a en fait condamné le gouvernement pour avoir examiné en conseil des ministres le rapport en question sans s’être assuré que les personnes soupçonnées «ont été entendues au cours de cet audit et sans avoir pris la précaution de recueillir leurs observations sur les faits qui leur sont reprochés avant la prise de sa décision d’entreprendre contre elles des poursuites judiciaires appropriées et de faire prendre des mesures de saisies conservatoires pour assurer le remboursement par les membres des Commissions et structures d’Etat en cause et leurs complices.»
En dépit de cette décision, les thuriféraires du gouvernement l’incitent à ignorer l’existence de cette décision afin d’engager des poursuites judiciaires contre les mis en cause. Il se profile à l’horizon une nouvelle violation de la décision de la Cour constitutionnelle.
Mais «Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir» disait Jean-Jacques ROUSSEAU. En droit, la raison du plus fort n’est toujours pas la meilleure.
Rufin S. Noudofinin
Juris Consulte
Cotonou
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