Bénin: Alain S. Houha sur la non exécution des décisions de la Cour constitutionnelle

« Il faut trouver un moyen constitutionnel  juridiquement contraignant pour  s’assurer de l’exécution des décisions » D’entrée, je voudrais d’abord rappeler le contexte.En effet, le lundi 8 janvier 2018, le Président de l’institution parlementaire a été assigné en justice par le citoyen Chabi Sika Kamar OUASSAGARI qui, se basant sur le non respect par l’assemblée nationale de la décision DCC 17-262 du 12 décembre 2017 dont l’objet principal est l’injonction faite à l’assemblée nationale de désigner les membres du COS LEPI au plus tard le 21 décembre 2017 en vue de leur installation le 29 décembre 2017 par la haute juridiction conformément à la pratique et à la loi.

Le citoyen par son acte, souhaite le respect de la décision de la cour par les députés. Il va plus loin en demandant une astreinte comminatoire journalière de 100.000.000 FCFA en cas de non respect de la décision qui sera rendue par le Président du Tribunal de Première Instance de Première Classe de Cotonou (TPIPCC) ou son juge délégué statuant en qualité de juge de l’exécution au cas où cette décision allait dans le sens qu’il souhaite.

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Voilà le contexte de mon analyse qui ne sera pas une tribune de condamnation de l’une quelconque des parties à savoir la Cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale, le président de l’Assemblée nationale en tant que personne, le requérant et enfin le pouvoir public seul détenteur de la force publique. Il est nécessaire de préciser que l’expression « pouvoir public » ne signifie pas ici le gouvernement mais plutôt la justice de première instance et d’appel  qui a, à  sa disposition des moyens coercitifs pour faire appliquer une décision de justice rendue par elle.

En soi, une décision de la cour constitutionnelle n’est pas une décision de justice comme les autres car elle revêt d’un caractère absolu en premier ressort; étant entendue qu’elle est sans recours au regard des dispositions de l’article 124 alinéas 1 et 2 de la constitution du 11 décembre 1990 qui dispose:

 » les décisions de la cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

Elles s’imposent au pouvoir public et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles. »

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A l’analyse de cet article notamment des alinéas 1 et 2, on se rend bien compte de la puissance que confère le constituant à la Cour constitutionnelle.

Mais il importe de se poser une question.

Que vaut la puissance dans les textes sans la force exécutoire?

C’est dans la réponse à cette question que l’on découvre la plus grosse faiblesse de la plus haute juridiction en matière constitutionnelle.

En effet les modalités de mise en œuvre des décisions de la cour constitutionnelle dépendent de la nature de la décision en question.

Une décision rendue dans le cadre du « contrôle de constitutionnalité » ne se met pas en œuvre de la même manière qu’une décision rendue dans le cadre « de la régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » . Aussi une décision rendue par la cour en tant que juge des droits de l’homme ne se met pas en œuvre de la même manière que les autres décisions de la cour.

Pour chaque type de décision il y a une modalité de mise en oeuvre.

Aussi la jurisprudence de la Cour fait partie du bloc de constitutionnalité. Et elle a déjà eu à régler cette préoccupation que soulève l’exécution de ses décisions depuis celle rendue au temps du gouvernement Kerekou. Il s’agit de la décision El-p 06-026 du 20 juin 2006 à travers laquelle la Cour constitutionnelle déclarait irrecevable la requête du citoyen Serge Roberto PRINCE AGBODJAN qui demandait à la Cour de constater le nom respect par le Président de la République Mathieu KEREKOU de la décision EL-P 06-019 du 19 mars 2006 de la cour constitutionnelle invitant le président à convoquer le corps électoral pour une autre date.

Cependant, force est de constater que, malgré ces précautions constitutionnelles, la force exécutoire des décisions relevant du fonctionnement des institutions et des droits de l’homme, dans certains cas reste hypothétique car reposant presque exclusivement sur la volonté politique des acteurs.

Le constituant a, à cet effet, misé sur la bonne foi et le respect des règles du jeu par les acteurs institutionnels.

Dans un processus d’apprentissage démocratique comme dans tout processus d’apprentissage impliquant des acteurs, la bonne foi suffit elle à elle seule à faire appliquer les décisions du juge? Notons au passage qu’il s’agit essentiellement d’un jeu d’acteurs et donc d’un jeu d’intérêts.

C’est sous cet angle que j’analyse l’assignation qui en plus de son caractère originel, fait clairement apercevoir une faille dans l’architecture constitutionnelle dont nous devons donc tenir compte lors d’une éventuelle révision.

En tout état de cause, c’est un vrai débat que vient de lancer ce citoyen qui, à travers son acte, pose clairement la « problématique de la responsabilité institutionnelle dans l’exécution des décisions du juge constitutionnel. »

En d’autres termes, quelle est la responsabilité du premier responsable d’une institution dans le boycott d’une décision de la Cour constitutionnelle?

Doit-on le tenir pour « personnellement responsable » du respect diligent d’une décision de la haute juridiction ?

C’est évidement à ces questions que le Président du TPIPCC ou son juge désigné est appelé à répondre au cas bien sûr où il estimerait la requête recevable car ce n’est pas tout à fait évident au regard de certaines considérations légales qui définissent le siège de l’assemblée nationale comme le domicile légal du Président de l’Assemblée nationales.  Alors que l’huissier a déposé la requête à Cotonou qui légalement n’abrite ni le siège de la l’assemblée nationale ni le domicile légal du PAN.

De toute façon, quelle qu’en soit l’issue de cette assignation, le débat est désormais de savoir s’il faut continuer par laisser la mise en application des décisions de la cour constitutionnelle à la seule volonté des acteurs qui pour la plupart sont des acteurs institutionnels?

N’est il pas tant de trouver un moyen constitutionnel  juridiquement contraignant pour  s’assurer de l’exécution diligente et sans faille des décisions sans recours de cette cour qui, au regard de la constitution du 11 décembre 1990, devrait être considérée comme le fétiche, « normalement juste » à qui nous devons tous respect et obéissance quelque a pu être nos positions et ressentis vis à vis de ses décisions?

Par cet acte, il (le citoyen) vient d’ouvrir à nouveau dans son fond et dans ses innovations, le débat sur la révision de la constitution et les améliorations qu’on devrait y apporter pour renforcer notre système démocratique.

Ainsi dit, la cour disposerait de tous les moyens nécessaires pour être un vrai arbitre c’est à dire TOTALEMENT NEUTRE N’APPLIQUANT QUE LA CONSTITUTION ET ÉVITANT DES REVIREMENTS JURISPRUDENTIELLES ENTACHANT PARFOIS SA CRÉDIBILITÉ.

Mais nous ne pouvons pas rester là à penser que seule la révision résoudrait tous les problèmes. Sachons aussi que chaque décision de justice qui a force de la chose jugée fait partie intégrante du droit positif. Des avancées peuvent donc bien se faire par là aussi.

C’est mon opinion,
Alain S. HOUHA

Une réponse

  1. Avatar de TCHITE
    TCHITE

    Opinion entièrement partagée.

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