La Constitution est le document de souveraineté par excellence et le peuple est dépositaire de la souveraineté nationale. Logiquement, rien de ce qui y touche ne devrait se faire sans en référer à lui. Mais il se fait qu’aussi bien dans la loi fondamentale actuellement en vigueur que dans la pratique des professionnels de la politique, il n’en est pas ainsi ; c’est politiquement scandaleux. Aussi nous faisons-nous le devoir, maintenant que le document est sur la sellette, d’apporter notre contribution pour remédier à cet état de chose.
La révision de notre Constitution occupe et envahit la scène politique nationale depuis huit ans à pas de charge et à marche forcée, il convient de le dire. Nous disons bien que depuis huit longues années, c’est le sujet qui mobilise les énergies, qui préoccupe les professionnels de la politique et qui divise la classe politique.
Le peuple, quant à lui, n’a d’autre alternative que de regarder faire, de bougonner, de ronchonner dans sa barbe et d’attendre que cela se passe d’autant qu’aucune disposition de la Constitution ne l’implique dans sa révision. Il ne conviendrait pas de se prévaloir du fait que ce peuple est suffisamment représenté par les députés à l’Assemblée nationale.
Avec tous les égards révérencieux que l’on doit à leurs honneurs, ce serait raisonnement à éviter. En effet, tout porte à croire, n’en leur déplaise, que jusqu’à cette dernière législature, nos honorables avaient du mal à faire la démarcation entre une campagne pour des élections législatives et l’étude d’une révision de la Constitution.
Il est vrai que c’est la toute première fois que nous retouchons à notre loi fondamentale. Peut-être sommes-nous déroutés et ne savons-nous pas comment nous y prendre exactement ou alors prenons-nous la chose pour l’évènement du siècle. Peut-être les politiques devraient-ils finir par comprendre que modifier une Constitution n’est pas un enjeu électoral et que les considérations d’ordre partisan devraient en être absents ; que tout calcul politicien devrait en être absent ; que l’on ne peut saisir l’occasion de la révision de la Constitution pour montrer ses muscles et régler ses comptes politiques. Et surtout, que l’on ne peut pas procéder à ladite révision sans la caution du peuple d’une manière ou d’une autre.
Le professeur Joel Aivo éminent constitutionnaliste fait le distinguo entre la légalité constitutionnelle et la légitimité démocratique et conclue à la nécessité du référendum comme seule issue possible aux problèmes que soulève la révision de la Constitution.
Je me fais l’honneur d’être en phase avec lui avec une précision toutefois. La consultation du peuple par référendum, devrait à mon sens se situer non pas seulement en aval de la rédaction du texte révisé, mais aussi et surtout, en amont de l’ensemble de la démarche. Qu’est-ce donc à dire ?
Je ne crois pas au référendum qui soumet tout un texte déjà ficelé au peuple en lui posant globalement la question ; « es-tu pour ou contre » ? Cela est assurément mascarade dans un pays ou une majorité des gens ne sait ni lire ni écrire et ou l’autre partie n’a pas toujours les ressources suffisantes pour faire une analyse politique correcte des événements.
En revanche, j’y crois lorsque le référendum est d’abord, dans un premier temps, préparé techniquement avec la participation d’une représentation du peuple puis qu’il se déroule sur deux paliers.
Que nous dit la Constitution en matière d’initiative de la révision ? Elle dispose que l’initiative appartient à l’Exécutif et au Législatif sans plus d’autres détails. Dans le cas de la révision en gestation, l’Exécutif en a pris l’initiative par 4 fois et Le législatif, une fois. Cinq fois de suite que la pression a été mise sur la Constitution ; cinq fois elle a échoué de manière répétitive.
Au moment où nous mettons la dernière main à notre réflexion, nous apprenons qu’une sixième tentative est en train de faire jour au niveau du Législatif en procédure d’urgence sous le couvert de la mise en application rapide des résultats du dialogue social. Une procédure qui du reste n’est pas prévue dans la Constitution mais au règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Un déluge de tentative alors, à l’assaut d’une Constitution qui ne se laisse pas réviser !
Nous mettant au-dessus de la mêlée et nous soustrayant des disputes partisanes qui ont plombe la processus jusqu’alors, ne pourrait-on pas se donner un temps de questionnement pour se demander si ce n’est pas en raison du déficit de soutien du peuple que toutes les déconvenues que connaît la procédure de révision ont éclos ?
La révision d’une œuvre de si grande ampleur qu’est la loi fondamentale d’un pays censée gérer notre vie pendant une longue période, requiert d’une manière ou d’une autre une assise populaire. C’est pourquoi nous suggérons que toute procédure de sa révision se déroule à l’avenir selon le schéma ci-après.
– La démarche préalable
Il conviendra de ménager dorénavant en amont, une phase de préparation de la révision. Elle sera assurée par un comité politico technique conjoint composé de membres de l’Exécutif et de constitutionalistes si l’initiative venait de l’Exécutif et de membres du Législatif et de constitutionalistes si elle émanait du Législatif. Il reviendra à ce comité politico technique de convenir de l’opportunité de la révision ainsi que des dispositions qui requièrent une révision. Puis le référendum se déroulera en deux étapes.
– Le référendum primaire et le consensus social
Dans une première étape, il conviendra de poser, sur la base des éléments retenus par le comité politico technique, des questions bien précises et bien ciblées à un panel largement représentatif de l’ensemble des citoyens, du style des forces vives de la nation à la conférence nationale, que l’on pourrait définir et constitutionaliser si l’on voulait affiner les choses. Dans la mesure où il s’agira de questions bien simples et ciblées, les membres dudit panel pourront répondre par un oui ou par un non significatif et responsable.
« Voulez- vous que l’on supprime le Conseil économique et social ? » « Voulez-vous un mandat unique pour le Président de la République ou voulez-vous garder le système actuellement en vigueur ? » Ils sauront répondre par un oui ou par un non significatif et conséquent pour peu qu’on leur aura expliqué les enjeux en cause.
Ainsi, l’on devrait commencer par soumettre en amont non pas encore à l’ensemble du peuple mais à un panel le représentant largement, dans le cadre d’un référendum primaire, les idées forces, les questions essentielles qui motivent la révision de la Constitution et retenues par le comité politico technique.
Et c’est en fonction de ses réactions et des tendances dégagées que l’on pourrait définir dans quelle direction orienter la rédaction de la révision de la Constitution dans son ensemble, de manière à s’assurer le consensus social. Cette démarche en amont que nous suggérons procède de la démocratie directe et cela est nécessaire pour retoucher à la loi fondamentale sous laquelle les citoyens veulent être gérés.
Le référendum définitif
C’est alors et alors seulement que dans une dernière étape, l’ensemble du texte révisé, sera soumis au référendum définitif à l’ensemble des citoyens. Nous serons ainsi parvenus à une révision consensuelle à la satisfaction de tous.
La présente révision à polémique devenue imminente devrait inclure d’ores et déjà cette procédure ; mais, loin de nous toute illusion sur cette éventualité ; ce n’est certainement pas le genre de considération qui emballe nos politiques. C’est pourtant, à notre avis, la seule façon d’avoir une révision consensuelle qui évitera tous les écueils que nous sommes en train d’expérimenter depuis 8 ans.
Et, de notre opinion, elle surclasse toutes les propositions de modifications faites jusqu’alors. Procéder autrement n’est que duperie du peuple et affaire d’intellectuels se disputant dans une tour d’Ivoire, mettant la charrue devant les bœufs : et l’on sait que cet attelage ne fonctionne jamais. Procéder autrement ce n’est ne pas conférer au référendum la base populaire qu’elle requiert nécessairement. La Constitution est un document de souveraineté et c’est le peuple qui détient la souveraineté ; réaffirmons-le à dessein.
Avec sérénité et humilité, nous devrions mettre balle à terre et reconnaître que la présente révision de la Constitution est mal partie. Mal partie parce que depuis huit ans les autorités elles-mêmes ont, certainement à leur corps défendant, semé tout à la fois, l’embarras, le doute, la suspicion et la méfiance dans les esprits.
Mal partie parce que les professionnels de la politique ont voulu faire abstraction du peuple et ce n’est pas le combat d’arrière-garde qu’est la catastrophique recours à la procédure d’urgence qui, du reste, est signe de désarroi qui y changera la moindre chose, quand bien même elle serait celle qui clôturera enfin ce feuilleton de gout amer que nous suivons depuis huit ans. Advienne que pourra.
Nous avons le pressant besoin de tourner la page et de consacrer nos énergies à autre chose. Huit ans, cela fait huit ans que nous taclons notre propre Constitution, et la vilipendons et la malmenons à tous vents comme un vulgaire chiffon et la désacralisons de manière discursive. N’est-ce pas pour le moins pitoyable. Il est maintenant temps d’en finir au nom de l’amour pour notre pays.
Ambassadeur Candide Ahouansou
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