Dans cette troisième et dernière partie, c’est la politique d’endettement qui est mise en exergue avec pour corollaire la pression fiscale sur les contribuables. Toute chose s’ajoutant à la chape de plomb tombée sur le pays en terme de lois liberticides et de mesures restrictives accentue le climat délétère qui règne dans le pays depuis avril 2016.
Accroissement déguisé de la pression fiscale
De façon récurrente, notre argentier national, le fidèle Wadagni, nous répète que la pression fiscale ne s’est pas accrue, voire qu’elle a baissé, les réductions des tensions de trésorerie étant due à sa maestria de gestionnaire des dépenses publiques. En dépit de la digitalisation clamée sur tous les toits, il ne faut pas compter sur la direction des impôts pour publier les véritables statistiques. Les derniers sur le site Web des impôts remontent à 2013…De façon anecdotique les données de l’UMOA indiqueraient que la pression fiscale serait passée de 13% à 14% depuis l’arrivée du régime de la rupture.
Ce que l’on peut affirmer clairement au vu des statistiques de la Banque Mondiale, c’est que le taux moyen pondéré des droits de douane a fait un bon a l’arrivée du régime de la rupture. Cette augmentation de la fiscalité par les douanes est bien entendu répercutée sur les consommateurs à travers les prix sur le marché. Dans un pays ou même la laitue est importée, sans parler des huiles et de la tomate concentrée, du riz, de la farine de blé pour faire le pain, l’augmentation des tarifs douaniers est un impôt sur la consommation qui touche les travailleurs et la classe moyenne de plein fouet, mais aussi les plus pauvres à travers les importations de produits de première nécessité non disponibles localement. Dire que la pression fiscale n’a pas augmenté apparait comme un mensonge par omission. Il est plus facile de cacher l’augmentation des droits de douane connus principalement des importateurs, que d’augmenter directement les impôts… Vous avez dit ruse et rage ? On prétend être en dessous des taux suggérés par l’UMOA dans ses critères de convergence, et on pompe les revenus des contribuables de façon déguisée !
Un taux d’endettement intolérable sans effet d’entrainement
Les thuriféraires du régime répètent à l’envi que le taux d’endettement du Benin est en dessous des normes de l’Umoa (70% PIB pour la dette intérieure et extérieure cumulée) et le comparent à celui de certains pays occidentaux. Les données de la Banque mondiale ne font pas état du volume exact et du ratio de la dette intérieure. Bien entendu, la gestion opaque de l’économie nationale et l’absence de données publiques et à jour au Bénin est maintenant connue. Les données de la Bceao pour 2018 indiqueraient le ratio global d’endettement du Bénin (dette interne et externe rapporte au PIB) était de 56.2%, deuxième ratio le plus élevé dans l’espace UMOA derrière le Togo et devant le Sénégal, la Guinée Bissau et tous nos voisins immédiats. De façon indiscutable le seul taux d’endettement externe rapporté par la Banque Mondiale a connu un bond spectaculaire de 32% (près d’un tiers) entre l’arrivée au pouvoir du régime Talon en 2016 et 2018 comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Bien sûr, la dette n’est pas en soi une mauvaise chose. A l’échelle des individus , emprunter pour investir dans son éducation peut être une bonne chose en ce que l’on peut accroitre ses chances d’avoir un emploi mieux rémunéré et dégager une épargne supplémentaire permettant de rembourser ses prêts et plus. Même chose pour le paysan qui accroitrait ses capacités de production par l’achat de terre ou l’amélioration de son rendement, ou le menuisier qui avec un prêt acquiert des machines lui permettant de produire plus et/ou mieux. Dans les trois cas, le prêt permet de générer des revenus supplémentaires qui permettent à la fois le remboursement, et l’accroissement du patrimoine. A l’échelle des pays, la logique devrait être similaire. Emprunter pour investir de façon productive de façon à accroitre la production et le revenu national de façon a non seulement rembourser la dette, mais investir à nouveau. Encore faut-il que les investissements soient productifs et entrainant, c’est-à-dire produisant des effets directs dans le secteur et mettant en branle d’autres secteurs productifs.
Qu’observons-nous avec les emprunts du Benin ? On paie des ministres plutôt improductifs à des taux largement supérieurs à ceux du marché béninois voire international. On n’investit pas dans l’éducation des hommes, source première de valeur ajoutée et facteur clé dans les décisions d’investissement nationaux et étrangers. On investit dans des routes dans les quartiers huppés, avec un effet d’entrainement quasi nul (un millier de personnes dont la contribution additionnelle à l’économie –du fait de la nouvelle route- est limitée). On investit dans le tourisme 9 baies artificielles à coup de cailloux importes de Scandinavie) dans l’espoir tout à fait incertain d’attirer des touristes dont l’essentiel des dépenses est fait dans les pays d’origine (transport et une bonne partie du séjour). Pas ou peu d’investissement dans l’industrie (secteur qui a le plus d’effets d’entrainement), dans les services à valeur ajoutée, l’ »industrie » du savoir et de la connaissance et les hommes formés qu’il requiert. Ce gouvernement a ses priorités à l’envers comme en témoigne le PAG dont le premier secteur d’investissement est le tourisme !
Au passage , remarquons qu’après l’épidémie du Covid-19 -que bien sûr on ne pouvait prévoir – les volumes de touristes vont être drastiquement et durablement réduits et de longues années se passeront avant que l’on ne retrouve les niveaux d’avant la pandémie, dont nous ne pouvions raisonnablement espérer qu’une infime partie de toute façon. Si on ne pouvait prévoir la pandémie, on se devait de savoir que la croissance et le progrès économique et social ne peuvent être sérieusement et durablement tirés par la demande de tourisme principalement externe. C’était dès le départ construire sa maison sur du sable, maison qui part –avant d’être construite- au premier coup de vent, comme la pandémie actuelle.
Au total, on voit que le régime Talon a endetté le pays de façon extrême pour des investissements non générateurs de progrès, même si l’injection de fonds par elle dope temporairement la croissance sans créer durablement de la richesse nationale auto-entretenue. Pis,les instruments de financement choisis, y compris les obligations en euro (eurobonds), sont peu susceptibles de remise de dettes dont le pays avait pu bénéficier dans le passé pour réduire son taux d’endettement. Les dettes en monnaie étrangères (Euros et ou dollars) nous exposent encore plus au risque de change dans les circonstances de crise monétaire qu’on ne peut exclure.
On le voit, le régime Talon a accru les risques pour notre pays, sans nous offrir aucun bénéfice significatif en retour, ni dans le présent, ni dans le futur. L’avenir de nos enfants est hypothéqué, notre présent est glauque.
Le Bénin sous une chape de plomb
Tout cela a lieu sous une chape de plomb, imposée au pays, se manifestant par les morts de manifestants par balles, l’assassinat par balle d’étudiant protestant pacifiquement.
Pour mieux intimider les populations des procès par des juridictions d’exception dans des conditions qui font la honte de nos juristes sont conduits de façon expéditive dans une atmosphère de cirque.
Un parlement de députés qui ne représentent que le régime, brassent du vent, révisent la constitution sans débat, ni consultation populaire, et votent en catimini pour la énième fois des lois électorales sur mesure censées garantir à eux et leur parrains la pérennité au pouvoir.
Après le ballet des maires déchus par des autorités qui ne les ont pas élus (Lehady Soglo, Adjovi pour ne citer que les plus connus, outre le cirque de la mairie d’Aplahoué dont on ne compte plus le nombre de maires), remplacés par des conseillers malléables voire soumis au pouvoir, on s’apprête à organiser une nouvelle farce d’élections locales– en pleine pandémie- avec des partis soigneusement choisis par le pouvoir après l’exclusion de tous ceux qui pouvaient faire, ne serait-ce qu’une ombre de dissidence. Ceci devrait pense t on garantir les parrainages exclusifs ouvrant un boulevard pour la poursuite de la mise sous coupe réglée de notre pays et son économie.
L’instance de protection de la liberté de la presse –HAAC- s’est transformée en ministère de l’information, enchaînant les interdictions de journaux, les fermetures de station de radio comme Soleil FM, après l’impossibilité de fait de capter la chaine de télévision SIKKA TV. Les journalistes sont emprisonnés et envoyés devant les tribunaux d’exception pour avoir fait leur travail de questionnement des chiffres lancées par les représentants du gouvernement. Plus personne ne prête attention à la cour constitutionnelle, devenue l’annexe du palais présidentiel, et l’autel sur lequel les libertés publiques et individuelles sont immolées pour le dieu Mammon.
Dans les rues et les familles, le chuchotement prend progressivement la place de la libre expression claire et délibérée surtout pour ceux qui peuvent être soumis aux redressements fiscaux ciblés, ou écartés des marchés et consultations restreintes de plus en plus réservés aux « bien pensants ».Mais le peuple béninois a des traditions de lutte pour la démocratie et le progrès qui lui ont permis de venir à bout de 17 ans d’autocratie de Kérékou, après avoir déjoué maints tentatives de le régimenter entre 1960 et 1972. Ces mêmes traditions lui permettront à n’en point douter de briser la chape de plomb sous laquelle on cherche à le maintenir, pour construire de nouvelles pages glorieuses de son histoire.
Jean F C. HOUESSOU
Consultant
Atlanta Usa
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