Combien coûte le quotidien du Béninois ? Comment vit ou survit-il aujourd’hui ?

Il me paraît important de poursuivre ma réflexion sur la précarité humaine qui est un défi important dans l’action publique et politique. Plusieurs pays dans le monde ont fait de la lutte contre la précarité un combat permanent, d’où, par exemple, le système social en France, si extraordinaire, -assurance santé, diverses allocations, prise en charge des chômeurs et des plus pauvres- et avec d’autres avantages que l’Etat accorde à ses concitoyens. Je reviens sur le sujet de la précarité parce que dans le Bénin actuel, un Bénin qui a toujours existé à mes yeux et qui, par contre, vient d’exister pour certains, les pierres sont mises en avant et les hommes sont amenés à chanter leur beauté. Durant le premier mandat du régime du changement, je dénonçais dans mes articles et surtout mon livre, la soif du pouvoir (2011), l’apologie caractérisée du personnage providentiel -avec ses œuvres- qui, dès le début de sa gouvernance, avait mis une partie de Cotonou en chantier.

L’idéologie de la vitrine infrastructurelle

Je pense qu’il est du devoir de tout dirigeant de travailler pour son pays et pour ses concitoyens. On n’a pas besoin de mettre en place une machine de propagande visant à hypnotiser les citoyens les empêchant de voir l’immensité de ce qui n’est pas encore fait. Il est aussi vrai que notre peuple ne sait pas que ses dirigeants ont des devoirs régaliens envers lui, et qu’il ne devrait pas se fondre en sujet-griot, mais qu’il devrait se constituer en institution critique et en veilleur. Considéré ainsi, le peuple est la première des institutions de contre-pouvoir et constitue l’examinateur averti des acteurs politiques. Il a le droit de leur dire ce qui ne va pas, ce qu’il vit, ce qu’il ressent, ce qu’il veut, ce qu’il espère, puis il revient aux gouvernants de discerner de la concrétude de la mise en œuvre. Il est vrai qu’écouter le peuple n’est spontané pour aucun dirigeant. En effet, l’actuel président français a tiré leçon des mouvements des « gilets jaunes » pour organiser un grand débat de proximité dans toutes les régions. C’est l’un des fruits de ce mouvement citoyen qui a fait l’objet de plusieurs ouvrages scientifiques. Près de nous, l’ancien régime organisait des sorties gouvernementales pour aller rencontrer les populations à la base, même si c’était plus politique que technique.

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Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’apologie ou de propagande, mais plutôt d’une idéologie consistant à hisser les vitrines en ignorant ce qui est au fond. La vocation des dirigeants est de toujours aller aux fins fonds des choses, de dépasser ce qui est déjà fait et de voir au-delà des murs. Ainsi, ils verront toute de suite la précarité de leurs concitoyens, surtout dans un pays pauvre comme le Bénin. Je sais que, chez nous, ce sont les œuvres de pierres qui caractérisent un mandat présidentiel, mais, à vrai dire, cela est largement insuffisant pour le bien du pays et des citoyens, par contre bien suffisant pour une réélection. A la vérité, ce prisme nous montre donc que chaque régime, qui passe, joue pour sa réélection et fait ce qu’il peut, car les défis de la précarité sont légion. C’est justement pour cette raison que l’Etat est une continuité. Aucun régime ne devrait se targuer d’être la solution à toutes les précarités ou d’être le messie politique indispensable. Ce serait une prétention et une aberration ! A ce sujet, moi-même, et plus encore les citoyens anciens et sincères, nous savons tous ce que chaque régime politique a fait pour ce pays -sachant bien qu’aucun régime n’est parfait-, que tout n’est pas forcément recommencement et que les choses ne bougent pas sans la main de l’homme. Faisons un petit jeu, 1984 n’est pas comme 1960, 1995 n’est pas comme 1984, 2003 n’est pas comme 1995, 2017 n’est pas comme 2003. Avons-nous évolué dans toutes les dimensions de la vie d’une nation ? Les années coulent et ne se ressemblent pas, mais c’est plutôt l’homme qui a le privilège de voir les années passées, d’être acteurs dans le temps, et d’être même dans les arcanes de la politique et du pouvoir sur des décennies en traversant plusieurs régimes. D’où vient donc cette idéologie de primauté du régime de la rupture sur tous les autres alors qu’il y a encore, en majorité, les mêmes acteurs politiques de ces trois dernières décennies aux affaires ou proche des affaires ? En y pensant, je me dis simplement que la politique est un jeu incessant de masques : l’acteur politique, son éternel masque, ses intérêts et ses honneurs. Il n’est pas impossible pour lui d’être bienveillant, intègre, détaché et humain.

La réalité derrière la vitrine : le défi des mairies ?

En réalité, dans un Etat, il y a, à la fois, continuité et discontinuité dans la structuration des politiques publiques. Faisons un autre jeu, quand on prend une rue nouvellement bitumée, avec soins, et qu’on rentre dans chaque maison située au bord de cet ouvrage -bien vanté dans les médias-thuriféraires et par les chantres du régime- pour saluer les habitants, qu’est-ce qu’on peut constater comme matière de réflexions ? On touche du doigt la qualité de vie de ces concitoyens, on voit un peu leur quotidien, leurs activités, leur source de revenu, on constate ce qu’il mange (pouvons-nous, nous asseoir et manger avec eux ?), on constate le couvert, le gîte, et les latrines. Attention, n’oublions pas l’habillement, la santé, le savoir-être, le savoir-faire et même le loyer, les différentes factures à payer, le transport, le repas journalier. On peut s’arrêter là ! En voyant cette liste, on découvre le quotidien et la vie du citoyen ordinaire de Cotonou avec sa kyrielle de problèmes de vie et survie. Imaginons un peu la vie de l’ouvrier, de l’artisan, du chômeur, avec les enfants et l’épouse à la maison, du fonctionnaire radié, du revendeur, de la revendeuse, du débrouillard. Comment font-ils pour survivre ? La vie de leurs enfants et leur éducation, la vie de leur(s) épouse(s) ? Ces différentes catégories de concitoyens sont bien plus nombreuses que les salariés de l’Etat et des entreprises, elles sont plus nombreuses que les grand(e)s commerçants(e)s et les professions libérales. Plus loin des grandes villes du pays, les villages sont encore plus respectivement enclavés et pauvres. Leur alimentation, leur santé, leurs activités, leur déplacement, leur revenu, leur accès à l’eau et à l’énergie correspondent à la réalité ambiante très difficile. Les activités en milieu rural et lacustre, comme le champ et la pêche, sont assujetties à la nature. Toutes ces précarités humaines concernent et interpellent toute la pyramide de la gouvernance du pays, depuis les mairies -incarnées dans la vraie décentralisation- jusqu’à l’exécutif, passant par le parlement. Le pouvoir judiciaire assure l’équilibre, la cohérence, l’équité et la sécurité. Comment lutter contre ces précarités ? Quelles sont les actions concrètes prévues pour accompagner durablement cette grande frange de la population béninoise ? En dehors du contexte électoral, quels contacts réguliers existent-ils entre l’exécutif et les populations ? L’idéologie de la vitrine et la rhétorique rupturienne laissent en évidence, sans réponses, ces questions cruciales concernant la vie précaire des citoyens et des électeurs. Ailleurs, notamment dans certains pays africains, c’est, entre autres, faute de n’avoir pas pris à cœur de travailler à la réduction sensible des précarités humaines que la mer méditerranée est devenue, ces dernières années, le sépulcre de milliers de migrants africains.

Face à toutes ces précarités, les dirigeants doivent être, sans prétention, détachés, humbles, lucides, sobres et dévoués. L’autoritarisme, le cynisme, la prétention, et la terreur dénaturent considérablement la conception de l’autorité qui est, par essence, un service de croissance de la personne humaine, de développement des structures, et de sauvegarde de toutes les vies, surtout les plus fragiles et précaires. Alors, on ne peut pas se dire bâtisseur d’un pays si on ne se met résolument au service du relèvement du niveau de vie de chaque citoyen où qu’il soit, et qui soit-il. Ne pas intégrer cette plus grande dimension de l’exercice du pouvoir, reviendrait donc à soigner uniquement la vitrine d’un pays, à travers les infrastructures, à gérer les salariés, à contrôler les entreprises, et à préparer la réélection. Il faut le préciser ici, la production de l’eau, la fourniture de l’énergie et le service sanitaire sont à payer par les citoyens. S’ils existent, ces services domestiques, comment les rendraient-ont alors moins coûteux pour la bourse des populations ? L’Etat, c’est celui qui accompagne, construit, développe, éduque, protège, soulage et soigne ! Il a de l’intelligence, de la compassion, de l’ouverture, de la pédagogie, de la sollicitude et de la rigueur. La rigueur est bien différente de la barbarie, de la terreur, et de l’exclusion. Sans l’application effective de la décentralisation, sans le dialogue inclusif, l’ouverture, la contradiction, l’écoute constante du peuple et la sérénité, aucun Etat ne peut véritablement lutter contre les précarités.

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Arnaud Eric AGUENOUNON
Ecrivain-Essayiste

10 réponses

  1. Avatar de Bito
    Bito

    Voilà ce que le petit fils de n-é-griers a fait du Bénin en 4ans

  2. Avatar de Bito
    Bito

    Il y a 4 ans, les béninois pouvaient s’offrir 2 repas par jour, aujourd’hui, les gens s’offrent difficilement un repas par jour voilà le bilan de 4 ans de rupture

  3. Avatar de Et Voilà
    Et Voilà

    La lutte contre la corruption, assainissement des finances, de l’eau pour tout le monde, de l’électricité à travers tout le pays c’est ce qui se fait. Et prier que cela ne s’arrête jamais.
    Avant de penser à partager

  4. Avatar de Et Voilà
    Et Voilà

    Ne rêvons pas
    On ne sort pas du sous développement en 4 ans
    Le chémail sera long. Il faudra une économie solide avant de distribuer.
    Les réformes ne font que commencer

  5. Avatar de Tchité
    Tchité

    Donc chaque citoyen, retour à la terre et à l’élevage de manière individuelle et collective(même si vous êtes Akohoue’, faites ça les week-ends) , avec à l’appui la transformation, afin d’éviter les pertes après les récoltes. La Hollande est un pays exemplaire dans ça.

  6. Avatar de Tchité
    Tchité

    Mêmes dans ces « pays modèles », il y a encore la pauvreté, des SDFs, des réclamations sociales incessantes.

    Le vrai développement est d’abord interne. « On ne développe pas, mais plutôt, on se développe. »

  7. Avatar de SERENA
    SERENA

    Faites moi rire. Je suis plus vieille que vous. Vous aviez dix ans en 1990.

  8. Avatar de Tchité
    Tchité

    Le cout de la vie serait plus bas, si tout citoyen se lancait dans la production agricole et l’elevage, aussi petit soit il, et ce meme s’il/elle a un travail de bureau.

    C’est ce que moi je fais, et meme en temps de crises, je ne panique pas. C’est aussi le secret des nations dites grandes, c’est l’agriculture et l’elevage. En Hollande, il y a des gens qui vont au travail normalement et s’occupent aussi de leurs champs et animaux pendant les weekends, qu’ils vendent ou consomment apres, une fois a’ maturite’.

    1. Avatar de SERENA
      SERENA

      Commentaires de bas de gamme.
      pipi caca quoi!

      1. Avatar de Tchité
        Tchité

        Moi je parle de mes experience. Au lieu de m’injurier, fais une contribution constructive plutot. Que Dieu te pardonne mon petit, dans l’espoir que tu vas changer.

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