À Grand Popo, commune côtière et frontalière située à une centaine de kilomètres de Cotonou, hommes et femmes de tous âges font et vivent du maraîchage. La filière a longtemps été florissante et a mobilisé une main d’œuvre importante. Mais depuis quelques années, quoique rentable, elle est confrontée à d’énormes difficultés qui, si on n’y prend garde, risquent d’entraîner sa mort.
Par un après-midi de ce mois de novembre, Grand-Popo connaît son habituel va-et-vient de voitures sur la route inter-Etats Bénin-Togo qui contourne la vieille cité des Xwla connue pour la fête annuelle de Nonvitcha. Loin des klaxons, à l’intérieur de la ville c’est un calme apparent qui vous accueille. Au fur et à mesure que vous vous plongez dans cette ville par la seule voie pavée qui la traverse de part en part, et que l’air frais de la mer caresse tendrement votre peau, les planches de légumes qui s’étendent sur des surfaces importantes vous font toucher du doigt, la réalité de l’activité principale des habitants d’une ville désertée par ses habitants. Depuis quelques années en effet, la ville autrefois comptoir de vente de produits agricoles et halieutiques semble renaître de ses cendres grâce au maraichage dont les champs s’étendent à perte de vue le long de la route inter-Etat Cotonou Lomé.
Au milieu du calme apparent, des hommes, des femmes et même des enfants travaillent en effet la terre sablonneuse pour en extraire des produits en ce début de saison sèche. Ce lundi 16 novembre 2020, il sonnait 17h 20 au quartier Hounsoukoè. Sur le site de maraîchage de Japhet Johnson, deux jeunes hommes avec une technique bien particulière tracent des traits sur les planches avant de mettre en terre des grains de carottes. A côté d’eux, une dame s’affaire à enlever quelques mauvaises herbes qui commencent à émerger au niveau des planches où surgissent fièrement de jeunes pousses d’oignons.
Un peu plus loin, le maître du site arrose, à tour de rôle, une vingtaine de planches d’oignons, de tomates et de carottes. Chacun s’affaire à sa tâche selon sa spécialité. «Ces deux jeunes sont des agents occasionnels. « J’ai fait appel à eux pour l’ensemencement des carottes », confie Japhet Johnson, président d’une coopérative de 14 coopérants. La paie de ces deux agents occasionnels varie selon le nombre de planches ensemencées. Japhet Johnson prend des ouvriers saisonniers selon ses besoins. Par exemple pour le désherbage, il fait appel à certains ouvriers spécialistes. Le prix est fixé par planche et varie de 200 FCFA à 800 FCFA.
Fier de son métier. «Les maraîchers impactent d’autres secteurs ici. Il y en a qui possèdent des barques de pêche. D’autres ont des motos qu’ils ont confiés à des conducteurs de taxi-moto », relève-t-il. Un peu plus loin, se dresse un autre site. Le lendemain à 7h20, Aimé Vidédoba, membre de la coopérative des maraichers aux doigts verts (COMADO), râteau en main défriche déjà les planches et les préparent pour recevoir les premières semences de la culture de contre saison sur le sol à texture sableuse et très perméable. Car, depuis le 15 novembre la saison sèche a débuté pour prendre fin le 15 avril.
Ces deux maraîchers ont opté pour un système d’arrosage à base de forages, avec un attelage pour pomper l’eau dans les bandes pré-percées. Une fois les vannes ouvertes, l’arrosage se fait plus facilement sur une surface de semences beaucoup plus étendue et ainsi, décupler leur productivité. Ils sèment sur des planches de trois mètres de largeur et 15 mètres de longueur tout une gamme d’espèces de légumes: légumes, feuilles (amarante, grande morelle, basilic, laitue etc), fruits (tomate, piment, poivron, concombre, etc), à racines (carotte, betterave, radis) à bulbes (oignon). Pour s’approvisionner en semences, les maraichers vont au Togo où à Bénin semences, une boutique de commercialisation de semences certifiées sise à Cotonou.
De l’usage des engrais et pesticides
Par ici, pour accroitre la production, les maraîchers utilisent des engrais et des pesticides. Pour Aimé Vidédoba, il n’y a pas au Bénin d’engrais spécifiques pour les vivriers destinés à la production maraîchère. «Ce sont des engrais utilisés au niveau de la culture du coton que nous producteurs nous achetons », confie-t-il. Les maraîchers utilisent des engrais minéraux comme l’Urée et le NPK.L’usage des pesticides pour lutter contre les ravageurs ou pour atténuer la pression parasitaire est également très répandu dans la ville. Selon une étude menée par Assogba-Komlan et al (2007) et Adifon et al (2015), « le recours systématique aux pesticides permet aux petits producteurs de garantir une bonne production face à des conditions écologiques favorables aux déprédations. Ce qui constitue des risques de pollution pour l’environnement ». Très peu de maraîchers utilisent des équipements de protection lors des traitements phytosanitaires. Cette attitude des maraîchers se justifie d’abord part le coût élevé des matériels de protection et ensuite par l’inadéquation des matériels aux conditions tropicales où les températures sont très élevées. Le matériel de protection donne assez de chaleur et ont tendance à étouffer l’utilisateur selon les maraîchers.
De la question épineuse des débouchés
Japhet Johnson explique que la vente des produits maraîchers se fait aux abords des sites de maraîchages. «Les revendeuses communément appelées ‘’ bonnes dames’’ de Cotonou se déplacent pour acheter les produits. A force de venir, on échange les contacts téléphoniques pour les fidéliser. Et quand les cultures sont prêtes, on les appelle pour qu’elles puissent venir les acheter », renseigne-t-il. Les producteurs écoulent aussi leurs produits directement au Togo, au Ghana et au Nigeria. Le métier de maraîcher qui nourrit des milliers de personnes rencontre de ce fait d’insurmontables difficultés qui poussent de plus en plus de producteurs à abandonner la profession. La méthode de vente ne permet pas aux producteurs eux-mêmes de quantifier leurs productions.
Des faillites enregistrées
Sur les quatre dernières années, les maraîchers de Grand-Popo ont connu des faillites. Japhet Johnson a dû brader une parcelle pour relancer sa production cette année. D’abord parce que, le ‘’made in Benin’’ n’est pas encore un label qui fait vendre. Japhet Johnson déplore le fait que les Béninois préfèrent des produits venant de l’étranger que ceux produits localement. «On préfère la tomate du Burkina-Faso .Alors qu’ on fait mieux que le Burkina ». Ensuite parce que le gouvernement n’a jamais pensé fixer les prix des produits maraîchers comme c’est le cas pour le coton graine la noix d’anarcade ou le karité. De sorte que, très souvent, les producteurs sont à la merci des bonnes dames qui viennent acheter les produits à vil prix.
Le contrôleur suivi du COMADO, Aimé Vidédoba raconte que les bonnes dames viennent prendre les produits sans payer. Et c’est après la vente qu’elles reviennent payer. Il arrive qu’elles informent (photos à l’appui) les producteurs que les produits sont en stationnement au niveau d’une frontière et pourrissent. Dans ce cas, ce sont les producteurs qui sont perdants. Parfois ,ce que le producteur doit vendre à 15 000 FCFA, les acheteurs viennent et imposent de les acheter à 5 000 FCFA. ‘’Au Burkina-Faso, la tomate se vend au kilo’’, renseigne Japhet Johnson. Ce qui n’est pas le cas au Bénin. Ces deux facteurs ont fait que cette année par exemple beaucoup de producteurs n’ont pas produit. Il arrive parfois que, une fois sous terre, les semences de Bénin semences tournent au fiasco. Et là, il n’y a pas de remboursement possible. Ici, se pose avec acuité le problème de l’encadrement des maraichers. Cet encadrement par le passé était assuré par les agents du Carder.
L’impact du Coronavirus
Comme dans presque tous les secteurs, le maraîchage a aussi été impacté par la pandémie du coronavirus. Aimé Vidédoba indique qu’au début de la pandémie, les maraichers ont souffert. Car, il y a eu mévente et beaucoup de maraîchers ont enregistré des pertes. Ceci à cause des effets conjugués de la fermeture des frontières avec les pays limitrophes et du confinement décrété dans Cotonou et environs au début de la pandémie.Et donc, il n’y avait plus de débouchés. Les produits sont restés sur les planches et ont pourri. Les prix se sont grippés mais les produits n’ont pas eu de circuit d’écoulement. C’est seulement vers la fin juin que la vente a repris et les producteurs ont pu vaille que vaille rentabiliser leurs investissements. L’Etat a tenté de venir en aide à ces producteurs avec des semences pour compenser les pertes dues à la COVID-19. Mais, Aimé Vidédoba et Japhet Johnson trouvent ridicule l’aide apportéensur place lors de la viste éclair du ministre Gaston Dossouhoui. Ils expliquent que, par exemple, le gouvernement a donné 50 grammes de graines de carotte à une coopérative de 14 coopérants. Or, ces 50 grammes ne couvrent pas trois planches.
Autres contraintes
Les maraîchers Béninois manquent de formation. Le gouvernement ne leur offre pas de projets de formation afin qu’ils puissent améliorer les pratiques culturales et mieux gérer leur culture. «Le seul problème est que les maraichers Burkinabés sont suivis, il y a des subventions, il y a des projets de formation et le gouvernement investit », précise Johnson visiblement bien informé de ce qui se passe ailleurs..Et donc, ces producteurs ont besoin de financement. Cela passe par la mise en œuvre d’une politique pour leur faciliter l’accès aux prêts à taux réduit.Parfois quand les maraîchers sont en difficulté financière, ces bonnes dames préfinancent la production. Dans ce cas, «vous ne pouvez plus vendre au même prix que les autres parce que les intérêts de son argent vont peser sur vous ».
Malgré ce problème, ces maraîchers préfèrent ce type de financement plutôt que de solliciter des structures de micro-finance. Car, selon Japhet Johnson, il faut perdre banalement un mois dans les démarches pour l’obtention d’un prêt ,alors que peut-être vous avez besoin d’argent frais pour acheter de l’engrais. Le temps d’attendre, le producteur peut perde sa culture. Avec des prêts à taux réduit et à long terme, les producteurs vont travailler avec la certitude qu’en cas de mévente, ils vont pouvoir relancer d’autres productions. Un autre problème est qu’à Grand-Popo, il n’y a pas de lieu de stockage encore moins de transformation des produits. Ce qui fait que les maraîchers perdent facilement leurs productions si les revendeuses ne viennent pas vite les chercher. Par ailleurs, la mécanisation reste un luxe pour ces maraîchers.
Un secteur qui échappe au fisc
Le métier de maraîchage est en proie à d’énormes difficultés à Grand-Popo. Contributeur indirect au budget de la commune, il semble échapper au contrôle des autorités. La mairie a même du mal à quantifier la production. Car, la vente sur les sites de maraîchage échappe à tout contrôle. Selon le Chef d’arrondissement central de Grand-Popo, Benjamin Koulétio, les autorités actuelles de la commune sont en train de prendre des dispositions pour créer des marchés de vente des produits maraîchers. Ces marchés vont permettre à la mairie de percevoir des redevances directes sur ces produits.
Prince Amassiko
Partenariat OSIWA-LNT
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