Tokyo 2020 a pris fin Dimanche 8 Août 2021. L’Afrique se regarde. J’ose parler d’Afrique pour plusieurs raisons. Premièrement, en dépit d’une énorme diversité ethnique, linguistique et culturelle, les peuples africains ont de nombreux caractères communs qui se sont forgés pendant des millénaires de migrations et contacts. Deuxièmement, pendant environ 11 siècles en tenant compte des traffics du Sahara de la Mer Rouge, l’Afrique a subi une histoire commune d’esclavage, de racisme et de colonialisme. Et ce n’est pas terminé. Troisièmement, l’Afrique doit se forger un nouveau projet égalitaire et panafricaniste (incluant la diaspora) en faisant l’économie de nationalismes étriqués. Donc, souffrez que je me réfère à l’Afrique dans son essence et sa totalité, malgré ses particularités et différences.
Les Jeux Olympiques (J.O.) sont emblématiques des relations que l’Afrique entretient avec les pays du Nord et le reste du monde. Sur le podium du 10000 m féminin, trois lauréates nées et élevées en Éthiopie: Sifan Hassan, 28 ans, médaillée d’or est citoyenne de Hollande depuis 2013, après y avoir émigré en 2008 comme réfugiée à 15 ans; Kilkidan Gezahegne, 30 ans, médaillée d’argent et citoyenne du Bahreïn depuis 2013, a porté les couleurs de l’Éthiopie pendant plusieurs années avant de se naturaliser; Letensebet Gildey, 23 ans, médaillée de bronze, est citoyenne éthiopienne.
D’un autre coté, l’équipe nigériane de basketball masculin, les D’Tigers, n’a pas remporté de médaille, mais a créé le buzz en défaisant les USA, en match de préparation pour les J.O. Les 12 Nigérians (sauf 4) sont nés aux USA et en ont la nationalité. Les lois sur le choix de la nationalité en sport permettent ce genre de flexibilité. Au sein des basketteurs des USA, se trouve Bam Adebayo, qui aurait pu jouer pour le Nigéria aussi. Contrairement au Nigéria, l’Éthiopie ne reconnaît pas la double nationalité. Selon le Comité International Olympique (CIO), les citoyens à double nationalité peuvent compétir pour le deuxième pays pourvu que trois années séparent leur apparition sous les couleurs du premier pays.
Peut-on blamer les Éthiopiennes et les Nigérians de représenter des pays plus riches et mieux organisés? Ces athlètes boostent la fierté de leurs familles et communautés. Leurs succès se réverbéreront amplement, et pendant longtemps.
Ces deux examples, ainsi que les tableaux et statistiques publiés sur ce site reflètent l’ordre mondial hérité de la fin de la deuxième guerre mondiale et les tendances migratoires actuelles, n’en déplaise aux nationalistes infantiles et sympathisants des extrême-droites populistes des démocraties dites avancées. La Chine bouscule un peu cet ordre, mais les écarts entre les nations dominantes et les autres existent à plusieurs niveaux (économique, politique, militaire, diplomatique, culturel, technologique, scientifique, etc.) et croissent de manière scandaleuse.
Au CIO, les plus nantis contrôlent les grandes décisions (quels sports homologuer, qui participe et dans quelles conditions, qui sponsorise, qui censure, qui porte quoi (controverse avec les gymnastes allemandes qui refusent de porter le bikini), et même qui on peut qualifier de femme. Dans ce dernier volet, deux Namibiennes, Christine Mboma et Béatrice Masilinsi, ont été interdites de courir le 400 mètres et au delà, parce que le CIO et ses docteurs estiment que leurs taux de testostérone dépassent ceux de femmes “normales.”
Depuis le début des J.O. modernes en 1896 à Athènes (Grèce), les mêmes pays, à une ou deux exceptions près, remportent le gros des médailles. Les disciplines homologuées favorisent certains pays, les techniques de préparation des athlètes se professionnalisent et utilisent des technologies sophistiquées; les laboratoires scientifiques perfectionnent le dopage pour qu’il échappe aux tests; les mêmes sponsors ou presque reviennent sans fin, etc. Les J.O. nous rappellent ces hiérarchies et comportements hégémoniques tous les quatre ans.
Les Africains semblent largués, sauf lorsqu’ils compétissent pour d’autres pays, et sont entrainés par eux ou chez eux. Avec 984 participants pour un continent de plus d’1,3 milliards dont la majorité à moins de 35 ans, l’Afrique n’a remporté que 37 médailles dont 11 en or, 12 en argent et 14 en bronze. (Voir liste ici)
Parmi les 15 premiers à Tokyo 2020, les anciens empires ou colonisateurs ont empilé le plus grand nombre de médailles (USA, Royaume-Uni, Australie, France, Allemagne, Italie, Canada, Nouvelle-Zélande, Hollande). La Russie, aussi ancien empire, ainsi que la Chine (nouvelle superpuissance) en font partie. Mais en leur sein, se trouve un intrus: Cuba.
Cuba (11,33 millions, 109.884 km² semblable au Bénin) avec 69 athlètes à Tokyo est classée 14ème, avec 15 médailles dont 7 en or, 3 en argent et 5 en bronze. Depuis 1972, Cuba s’est toujours classée parmi les 20 premiers aux J.O., 5 fois parmi les 10 premiers. Elle a remporté 241 médailles depuis sa première participation. Un example pour les pays africains où, en général, l’on pense que le succès dépend primordialement des “moyens” financiers. Pour Cuba, le succès repose ailleurs: une organisation pyramidale solide où le sport est un droit; un accès à la base pour tous dans une diversité de sports; une bonne utilisation des resources disponibles; un accent sur une formation de qualité et une volonté politique sans faille. Le sport représente un instrument idéologique et nationaliste qui sert à polir l’image du pays et à le faire connaître. Comme ailleurs.
Par le sport, Cuba prépare des citoyens prêts à la défendre le pays, flatte sa fierté et démontre aux autres peuples de quoi elle est capable. Selon l’agence Reuters, le J.O. ont été largement suivis dans toute l’île malgré le décalage horaire de 13 heures et la crise économique, sociale et politique actuelle. Les pays africains peuvent et doivent faire mieux. S’ils veulent continuer à compétir, ils n’ont pas d’excuse. Autrement, ils peuvent sagement décider, comme la Finlande, d’abandonner la course aux médailles basée sur un sport d’élite et commercial coûteux, et plutôt, investir dans les infrastructures sportives locales et le bien-être public.
La viabilité du sport en Afrique est un défi d’intelligence, d’ingénuité et de créativité. Malgré les obstacles, il faut créer “les moyens,” bâtir des institutions et programmes pour la grande majorité (y compris les femmes) et avoir une vision émancipatrice à long terme. Continuer à “détecter” des talents isolés de manière sporadique et éphémère ne résout pas les multiples problèmes structuraux et ne sert que les saltimbanques politiques.
Simon Adetona Akindes Professor, Department of Politics, Philosophy and LawDirector of International StudiesUniversité de Wisconsin-ParksideEmail: akindess@uwp.edu
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