13 tonnes de cigarettes. Cette saisie d’ampleur, réalisée par les douaniers de Clermont-Ferrand et de Saint-Étienne, s’est achevée dans l’Allier à la fin du mois de juin. En 2021, 400 tonnes de tabac de contrebande ont été saisies en France, soit une hausse de 41 % en un an. En Europe, le trafic de cigarettes est en augmentation constante et prive les pays européens d’une manne fiscale estimée à plusieurs milliards d’euros dans un environnement budgétaire toujours contraint par la crise sanitaire et les mesures d’aides à l’économie.
« De 2,5 à 3 milliards d’euros (de pertes) par an pour le fisc », « entre 2 et 2,4 milliards d’euros (de pertes) » pour la Sécurité sociale et « 500 à 600 millions d’euros de TVA non recouvrée » selon les conclusions d’un rapport parlementaire produit par les députés Éric Woerth (LR), alors président de la Commission des finances, et Zivka Park (LaREM), et rendu public en septembre 2021. Ce constat, dressé pendant la précédente législature, démontre l’impact délétère du commerce parallèle de cigarettes sur les finances publiques. Dans l’Hexagone, les cigarettes de contrebande représentent ainsi 9 à 12 % de la consommation de cigarettes avec des taux qui peuvent grimper à 30 %, tous produits confondus, dans les départements frontaliers. « L’immense part de ce commerce parallèle est constituée de vraies cigarettes, fabriquées et commercialisées par les fabricants de tabac eux‑mêmes » précise cependant l’ancien député François-Michel Lambert, qui explique que « la moitié vient de la contrebande (…) par containers ou par palettes dans les pays qui pratiquent une fiscalité forte comme la France » et que « l’autre moitié vient des achats frontaliers », car « les fabricants de tabac sur ‑approvisionnent ainsi les vendeurs de tabac des pays limitrophes de la France (…) pour alimenter les fumeurs français ». La part des ateliers clandestins dans le commerce parallèle reste marginale. Après une pause d’environ un an, pour cause de crise sanitaire, le commerce parallèle de cigarettes retrouve malheureusement des couleurs.
Tentative d’une approche unifiée à l’échelle européenne
Pas question, pour la France, de réduire le poids des taxes sur les cigarettes — comme l’exigent les industriels —, dont le durcissement demeure, selon les deux rapporteurs, « l’outil le plus efficace pour réduire la prévalence tabagique ». Une approche en accord avec la littérature scientifique, mais aussi les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui considère que « la majoration de la fiscalité sur le tabac s’est avérée être le moyen le plus efficace d’en réduire la consommation ».
Au niveau européen, les embryons d’une approche unifiée se dessinent avec le déploiement, en 2019, d’un système de traçabilité dans le cadre de la Directive sur les produits du tabac, supposé drastiquement baisser le commerce parallèle. Pour le moment, ce système — qui n’est qu’une base de données créée à partir de la somme des données de chaque État membre mais à partir de bases de données des partenaires choisis par l’industrie du tabac —, n’a pas réellement eu les effets escomptés.
Depuis son déploiement, le trafic illicite de cigarettes a grimpé de 2,1 milliards de cigarettes, tandis qu’en parallèle le volume de paquets de cigarettes vendus dans les points de vente légaux a baissé de près de 5 %, selon les données de la Commission européenne et que les taxes d’accise sur le tabac n’ont pas cru de manière significative. Une responsabilité que certains imputent au mode de traçabilité des cigarettes choisi par l’Union européenne.
Une opacité réelle entre le système de traçabilité et les industriels, selon les experts
« La Convention de l’OMS affirme qu’il doit y avoir une séparation très stricte entre le cigarettier, celui qui fabrique les cigarettes, et celui qui fait la traçabilité de la cigarette », expliquait en 2018 le député européen français Philippe Juvin au micro de Radio France, déplorant que la Commission européenne ait « ouvert quand même la possibilité à des sociétés de traçabilité qui travaillent déjà avec des cigarettiers de participer au marché ». Car la Commission européenne a tenté de mettre des freins réglementaires face à l’appétit des cigarettiers pour le système de traçabilité.
« Ils ont élaboré un système il y a 15 ans pour voir si les cigarettes étaient de contrefaçon ou pas. C’était un système que l’on pouvait facilement copier, donc inefficace. Ils ont proposé aussi gratuitement ce système aux gouvernements. Mais c’est un système que eux contrôlent, qu’ils ont inventé, sur la base de leurs brevets », affirme ainsi Luk Joossens, de l’association des Ligues européennes contre le cancer.
C’est finalement la société Dentsu, indirectement liée aux industriels, qui a été choisie pour assurer une part de la traçabilité des cigarettes sur le marché européen. « L’industrie du tabac est toujours en plein dans le système Track and Trace » déplorait en février 2020 Wanda de Kanter, médecin thoracique, spécialisée dans la sortie du tabac. « La société qui gère le dépôt central de données secondaires, Dentsu Aegis, basée à Londres, est détenue par une agence de publicité japonaise qui a représenté Japan Tobacco International. Par ailleurs, en 2017, Dentsu Aegis a acheté Blue Infinity, qui a précisément participé au développement de Codentify (système de traçabilité développé par PMI, ndlr). Un exemple chimiquement pur d’opacité » s’indigne le député NUPES Manuel Bompard.
La révision prochaine du système européen de traçabilité tabac
Des liens d’intérêts qui se heurtent pourtant, selon le Comité national contre le tabagisme (CNCT), au Protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, que la France et l’Union européenne ont ratifié. « Le modèle à respecter est celui du protocole de l’OMS prévoyant une véritable indépendance vis-à-vis des fabricants, entré en vigueur au mois de septembre 2018 que la France et l’Union européenne ont ratifié », explique ainsi le CNCT dans un communiqué daté du 20 mai 2019. Les critiques des ONGs sur l’inefficacité du système européen de traçabilité des produits du tabac semblent d’ailleurs avoir été entendues à Bruxelles puisque la directive des produits du tabac, adoptée en 2014 et qui définit ce système européen de traçabilité, sera révisée dans quelques mois, après celle de la directive sur la taxation du tabac qui débute en octobre 2022 pour corriger les nombreuses faiblesses du système et le rendre enfin efficace.
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