Au Bénin, les femmes en emploi privé, n’ont d’autre option que de choisir entre procréer et garder leur emploi. Alors qu’il est interdit à certaines de tomber enceinte, d’autres ont plutôt des congés non payés. Qu’elles aient obtenu l’accord de leur employeur ou qu’elles s’absentent au service par la force des circonstances, elles se retrouvent finalement au chômage. ‹‹ Deux ans après mon embauche, je me suis retrouvée enceinte. Je me suis entendue avec mon conjoint pour avorter. Puisque lors de l’entretien, mon employeur m’avait clairement dit de me considérer comme licenciée à n’importe quel moment où je serai enceinte ››. Se souvient-elle avec beaucoup de tristesse, Mariette 32 ans, employée d’une entreprise d’agro-alimentaire à Cotonou. ‹‹ À deux reprises j’ai perdu mon emploi à cause de la maternité››, déplore Amélie, âgée de 35 ans. Des situations vécues qui soulèvent le problème du déphasage des textes en vigueur avec les réalités.
Mariette est obligée d’avorter pour garder son emploi en raison de ses charges financières. Pour sa première aventure, Amélie est responsable d’exploitation dans une entreprise. Sa grossesse lui cause beaucoup d’ennuis de santé à partir de cinq mois. A six mois, le gynécologue lui conseille l’immobilisme total pour éviter une fausse couche. Elle accouche à 7 mois par césarienne et passe deux mois à la maison. Trois mois d’absence au service en somme, elle perd son emploi. « Il me laisse croire que je récupérerais mon boulot après mon accouchement mais rien n’y fit. J’ai juste constaté que mon poste est occupé et qu’il n’y a rien à faire », se lamente-t-elle.
La deuxième fois, Amélie est responsable audit et contrôle. Elle est au travail du lundi au samedi. L’entreprise gère des commerciaux qui brassent des millions par jour. « Dès la grossesse, on m’avertit que ce n’est pas possible d’avoir des congés de maternité », confie-t-elle. Elle est toujours présente à son poste jusqu’à l’accouchement. Mais avec la césarienne, elle s’absente au travail pendant quelques semaines. Elle perd ainsi son deuxième emploi après cinq ans de loyaux services.
‹‹ Du début de ma grossesse jusqu’à l’accouchement, j’ai fonctionné comme tout employé ordinaire, puisse que là où je travaille, il n’y a pas de congés de maternité », témoigne Juliette, secrétaire dans une entreprise à Abomey-Calavi.
Elle va au boulot tous les jours ouvrables. Elle négocie avec une sage-femme pour faire ses consultations prénatales les week-ends jusqu’à l’accouchement. Ensuite, elle se trouve un remplaçant sous l’ordre de son patron, le temps qu’elle doit passer à la maison. Pendant cette période, le remplaçant est payé par le patron tandis que Juliette ne reçoit rien. Elle regagne son poste après deux mois d’absence. Le cas de Nadège, comptable dans une entreprise d’expertise comptable à Cotonou, la quarantaine, est similaire à celui de Juliette. A la seule différence que Nadège perçoit son salaire, cependant, elle doit payer un pourcentage de cet argent à son remplaçant.
Ce que disent les textes
Pourtant, selon l’article 170 de la loi 98-004 portant code du travail en République du Bénin, toute femme enceinte a droit à un congé de maternité qui commence six semaines avant la date présumée de l’accouchement et se termine huit semaines après la date de l’accouchement. « Ce congé peut être prorogé de quatre semaines en cas de maladie résultant de la grossesse ou des couches. » Quand l’accouchement a lieu avant la date présumée, la période de repos est prorogée jusqu’à l’accomplissement des quatorze semaines.
Quand l’accouchement a lieu après la date présumée, la femme reprend son travail après les huit semaines suivant l’accouchement. « Elle a droit pendant cette période à la totalité du salaire qu’elle percevait. » La déclaration à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) ne conditionne pas la protection de l’employé par le code du travail selon le juriste Damien Sonou. Les congés de maternité payés doivent être accordés à l’employée peu importe le type du contrat et son ancienneté dans ce service.
L’employeur qui viole ce droit risque une condamnation au paiement à la victime de dommages et intérêts qui ne sauraient être inférieurs à 12 mois de salaire. Il risque également une amende de 14.000 à 70.000 FCFA et en cas de récidive, d’une amende de 70.000 à 140.000 et d’un emprisonnement de 15 jours à 2 mois ou de l’une de ces peines seulement d’après le docteur en droit Jérémie Danton. Aucun employeur ne doit licencier une femme à cause d’une grossesse. Mais confortés par l’impunité, des chefs d’entreprises n’en démordent pas.
Les patrons entre contraintes et mauvaise foi
Jacques est le promoteur d’une entreprise à Abomey-Calavi. « Les femmes trouvent toujours des excuses pour justifier leur absence ou retard. Chez moi, les absentes sont écartées et remplacées. Je suis conscient que ma conduite n’est pas conforme à la loi. Mais je n’ai pas les moyens d’assurer une assistance à un employé donc pas de sentiments », déclare-t-il. Il évoque le poids du fiscal et le manque d’opportunités d’affaires. Il ajoute que la priorité pour le chef d’entreprise est de s’en sortir et non d’aider les autres à se tirer d’affaire. Justin, chef d’une entreprise à Cotonou, estime que l’employé n’a pas droit à la compassion de son patron parce qu’il quitte l’entreprise en cas de difficultés ou quand il trouve mieux ailleurs. Justin s’abstient d’embaucher les femmes, sous prétexte qu’elles sont nonchalantes.
L’inspecteur de travail Prince Aïko n’a jamais reçu de plainte relative à la violation du droit de la femme aux congés de maternité. Il explique que les victimes subissent silencieusement à cause de la précarité de l’emploi ou de l’ignorance de leur droit. Ce que confirment Amélie et Juliette. Amélie n’a jamais entamé une poursuite judiciaire contre ses employeurs parce qu’elle trouve que la vie est ainsi faite et qu’elle ne peut rien changer. Mariette et Nadège se contentent de continuer à travailler avec leurs patrons. Juliette a confié qu’elle ne peut poursuivre en justice son employeur qui lui a accordé la chance d’avoir un gagne-pain.
Une tuerie silencieuse
Les congés prénatals entrent dans le troisième trimestre où la grossesse pèse plus sur la femme. La femme peut mener aisément sa grossesse à terme et préparer son accouchement dans de meilleures conditions. Elle a plus besoin de repos. Les congés postnatals sont nécessaires pour que la mère reprenne des forces et pour que ses organes influencés par la grossesse retrouvent leur forme. Elle peut suivre les consultations postnatales sans difficultés administratives, bien s’occuper de son nouveau-né et l’allaiter suivant sa demande. Elle pourra convenablement surveiller la santé et la croissance du bébé, explique la sage-femme Eugénie Adjibocha.
L’absence des congés prénatals expose la femme à l’accouchement prématuré ou à des complications lors de l’accouchement qui peuvent engendrer la mort de la mère ou un décès néonatal. Le bébé peut avoir des malformations. L’hypertension liée au stress et au manque de repos peut entraîner une éclampsie avec la perte du bébé ou de la mère ou des deux. Il y a également des risques accrus de complications postnatales. Une alimentation diversifiée dès ses premiers jours expose le bébé à la modification de sa flore intestinale, aux allergies et infections.
Une mère qui perd son emploi à cause d’une grossesse peut développer du mépris envers son enfant selon le psychologue Gaffarou Radji. Elle peut également détester le père de cet enfant et ceci divisera le couple. Le bébé court des risques de troubles psychoaffectifs et psychomoteurs majeurs. Le chômage suite à la gestation cause un déséquilibre financier et le manque de moyen face aux charges habituelles et celles du bébé. Le suicide, l’infanticide et l’abandon de l’enfant peuvent en découler.
NB: les prénoms des victimes et ceux des chefs d’entreprises leur ont été attribués en vue de les protéger.
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