En vue d’eradiquer les Violences Basées sur le Genre au Bénin, le gouvernement a pris d’importantes dispositions légales. Les associations et les organisations non gouvernementales mettent aussi les bouchées doubles pour la protection de la gent féminine. Pourtant les violences conjugales persistent. Interview avec Hélèna Capo-Chichi, Socio-Anthropologue, Experte Genre et Inclusion sociale, Spécialiste des Violences Basées sur le Genre et Présidente de l’ONG Famille-Nutrition-Developpement sur ce phénomène.
1-Qu’est ce que la violence conjugale et quelles sont les statistiques actuelles concernant les VBG au Bénin?
Héléna Capo-Chichi: La violence conjugale est une forme de Violence Basée sur le Genre exercée par un conjoint sur l’autre, au sein d’un couple. Elle se distingue des disputes conjugales entre individus égaux et s’exprime par des agressions verbales, psychologiques, physiques, sexuelles, des menaces, des pressions, des privations ou des contraintes pouvant causer chez la victime des dommages psychologiques, physiques, un isolement social voire aller jusqu’à la mort. Le rapport provisoire de l’année 2022 sur l’étude des violences basées sur le genre (VBG) conduit par l’Observatoire de la famille, de la femme et de l’enfant (OFFE) en juin 2022, a révélé que 59% de femmes âgées de 15 ans et plus sont victimes de VBG au Bénin. Ce même rapport révèle « 55% de victimes parmi les hommes contre 59% de femmes dans le rang des 15 ans et plus ». Ce qui explique que les VBG touchent aussi bien les femmes que les hommes mais de façon disproportionnée.
2- Pourquoi la persistance des violences conjugales au Bénin en dépit des multiples dispositions légales prises par le gouvernement et les efforts de l’Institut National de la Femme (INF)?
Héléna Capo-Chichi: Dans le contexte béninois les causes de la violence conjugale sont complexes. Elles proviennent de notre éducation, des préjugés envers les femmes et des privilèges accordés aux hommes dans notre société. C’est donc le résultat des inégalités entre les hommes et les femmes. De ce fait, les conséquences de la violence conjugale sont encore sous-estimées au Bénin et de ce fait elle ne bénéficie pas suffisamment d’attention. Et le fait d’être victime d’actes de violence conjugale est aussi perçu comme une honte et un signe de faiblesse, et beaucoup de victimes sont encore jugées coupables d’attirer la violence à leur égard par leurs comportements.
Selon une nouvelle enquête d’Afrobaromètre, plus de la moitié des Béninois considèrent que la violence domestique est une affaire privée qui doit être traitée au sein de la famille plutôt qu’une affaire pénale qui nécessite une procédure judiciaire. Et pour le justifier, les béninois soutiennent que « le linge sale se lave en famille ». Ces réalités expliquent pourquoi les violences conjugales persistent sous un grand silence avec un nombre de signalements limité. Pour le nombre insignifiant de cas signalés et enregistrés, la plupart des victimes sont financièrement dépendantes de leurs conjoints avec un nombre d’enfants souvent très considérable.
Cette dépendance explique l’abandon de la poursuite judiciaire par les victimes et leur maintien dans le cycle de la violence. Concernant les cas qui sont poursuivis devant les tribunaux, le manque de soutien, et de centre de transition provisoire à titre conservatoire ou centres d’hébergement des survivantes, la limitation de la prise en charge judiciaire aux sanctions pénales par les structures de prise en charge, l’insuffisance de ressources pour la réparation des survivantes, le manque de fonds disponible pour la réinsertion et la réintégration des survivantes, sont autant de raisons qui découragent, démotivent et limitent désormais le recours à la justice.
L’impunité qui en découle est aussi l’une des causes principales de la persistance des violences conjugales. Par ailleurs, lorsque le chômage et la pauvreté touchent les hommes, certains sont tentés d’affirmer leur masculinité par des actes de violence. Dans cette situation s’installent des schémas de violence et de pauvreté, qui se perpétuent et réduisent fortement pour les victimes la possibilité de s’en sortir. En outre, le tableau actuel des couples béninois présente l’image de deux mondes opposés qui se rencontrent en créant donc un choc, un conflit, un bouleversement d’idéaux, de valeurs et de principes avec des femmes émancipées qui croient à leurs droits et en l’égalité des sexes et des hommes qui se considèrent toujours supérieurs à la femme bien que la loi fondamentale reconnait officiellement l’égalité entre l’homme et la femme en son article 124 de la constitution du 11 décembre 1990. La résistance des normes socio-culturelles discriminatoires à l’égard des femmes, malgré toutes les dispositions institutionnelles et juridiques, la perte de certaines valeurs socioculturelles fondamentales à l’ère du numérique le manque d’information sur les VBG et les DSSR, expliquent aussi la recrudescence des cas de VBG au Bénin.
3-Présentez-nous quelques actions que vous avez menées dans le cadre de la lutte contre les violences basées sur le genre et les violences conjugales en particulier.
Héléna Capo-Chichi: En matière de lutte contre les violences basées sur le genre en général, l’ONG FND a mené plusieurs actions dont :
- Les sensibilisations sur les VBG ;
- La vulgarisation des instruments juridiques de protection et de promotion de la Femme au Bénin ;
- Les plaidoyers à l’endroit des gardiens de la tradition pour les changements des normes socioculturelles discriminatoires à l’égard des femmes ;
- Les plaidoyers à l’endroit des décideurs communautaires pour le renforcement des mesures de protection des filles et des femmes;
- Les plaidoyers à l’endroit des décideurs pour l’amélioration des conditions de prise en charge des survivantes (Ex : la gratuité du certificat médical) ;
- La formation des points focaux VBG des commissariats sur la prise en charge psychologique des victimes et la qualification des infractions liées au VBG ;
- la dénonciation et la communication sur les cas de VBG sanctionnés par les tribunaux ;
- l’assistance psychosociale, médicale et judiciaire des survivantes de VBG ;
- La conciliation ;
- la réinsertion et la réintégration des survivantes ;
- L’organisation du 1er Forum Béninois des Droits de la Femme.
- L’organisation des 1ères Assises Nationales des Familles autour des VBG et DSSR au Bénin.
Concernant les violences conjugales en particulier et en dehors des actions précitées, l’ONG FND met en œuvre un programme de renforcement des familles qui prend en compte la médiation, la promotion du dialogue au sein du couple, la promotion des valeurs liées au mariage et l’autonomisation des filles et des femmes.
4- Quelle anecdote avez-vous à partager avec nous concernant la violence conjugale?
Héléna Capo-Chichi: En 2022 dans la commune d’Abomey-Calavi, un conducteur de taxi moto était parti au travail très tôt le matin sans donner la popote à son épouse, une mère de 03 enfants, âgée de la quarantaine. A son retour le soir à 23 heures, à sa grande surprise, aucun repas n’était sur la table cette fois-ci. La femme lui expliqua qu’elle n’avait pas assez d’argent pour faire la cuisine et avait juste acheté de l’akassa aux enfants afin d’économiser les 200 FCFA lui restant pour le petit-déjeuner des enfants qui iront à l’école le lendemain matin.
Tout en colère le mari demande à la femme de se servir des 200 FCFA pour lui chercher à manger. Cette dernière soucieuse du ventre de ses enfants au réveil s’est catégoriquement opposée aux ordres de son mari. Tout furieux, ce dernier la jeta dehors avec leurs trois enfants après l’avoir sauvagement battue. Avec l’insistance de la pauvre dame qui voulait récupérer l’uniforme de ses enfants dans la chambre avant de s’en aller de la maison, elle a perdu son pouce gauche sous le coup du coupe-coupe. Avec la collaboration de l’ONG FND et le commissariat de la localité, le mari fut appréhendé. Le lendemain, ce sont les propres parents de la femme qui sont les premiers à demander la mise en liberté du mari sous prétexte que la femme n’a pas un travail pour s’occuper seule des enfants.
5- Qu’avez-vous à dire pour conclure?
Héléna Capo-Chichi: Les violences conjugales affectent profondément les femmes et leurs enfants. Ils font tous face à la détresse, à la peur, à la honte, à la colère, à l’impuissance et aux espoirs perdus de changement. Et comme leurs mères, ces enfants doivent composer avec leur propre cycle de la violence. Face à ces conséquences, il est du devoir de chaque citoyen de s’attaquer davantage à toutes les formes de violences à l’égard des filles et des femmes au sein de nos familles, dans nos communautés et dans notre pays.
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