Cela fait maintenant plus de huit ans que le Bénin est dirigé par le président Patrice Talon. Si les soutiens de l’actuel régime pensent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, d’autres acteurs politiques disent tout le contraire. Dans un entretien accordé à votre journal, le député du groupe parlementaire Les démocrates, Habibou Woroukoubou de la 8ème circonscription électorale, a dans son décryptage porté de sérieuses réserves à la stratégie de développement de la rupture. Pour lui, le Bénin se porte moins bien qu’on tente de le faire croire. Nous diffusons dans cette parution, la première partie de l’entretien avec l’Honorable.
Honorable Quelle est votre appréciation globale de la gouvernance du Bénin aujourd’hui
Je voudrais souligner que diriger un pays n’est pas facile, surtout lorsqu’il s’agit de pays en développement comme le nôtre, où l’économie se caractérise par un déficit chronique. C’est la raison pour laquelle, nous pouvons féliciter tous ceux qui ont eu la chance ou la possibilité de diriger nos différents pays depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui, car ce n’est pas une chose facile. Pour apprécier les huit dernières années du gouvernement de Patrice Talon, je souhaite clarifier un certain nombre de choses. L’État est par essence une continuité.
Chacun vient et fait sa part d’engagement, sa part de responsabilité, et il laisse le reste aux autres. Il est donc important, à partir de ce moment, que nos dirigeants puissent intérioriser le fait qu’ils ne feront que ce qui concerne la période où ils seront au pouvoir et accepter que d’autres puissent venir et continuer. Et c’est pour cela que je suis troublé par la question de la rupture qui caractérise le pouvoir de Patrice Talon, où l’on donne l’impression que le Bénin est parti du néant.
Ainsi, nous refusons la possibilité d’une continuité, alors que lorsque vous refusez cela, vous y serez confronté d’une manière ou d’une autre. Et c’est ce qui les amène à se placer dans une logique de comparaison. Or, comparaison n’est pas une raison.
Si nous prenons le plan économique, quelle appréciation faites-vous des réalisations de Patrice Talon depuis qu’il est au pouvoir ?
Merci monsieur le journaliste. C’est vrai, le gouvernement de Patrice Talon a construit un certain nombre d’infrastructures. Mais sur quelles bases ces infrastructures ont-elles été réalisées ? Quels moyens ont été utilisés pour réaliser ces infrastructures ? Ce sont les prêts. C’est la dette. Oui, c’est la dette. Le gouvernement n’a pas créé de richesse particulière. Et c’est la raison pour laquelle aujourd’hui, pour vraiment apprécier, il faut mettre les deux sur la balance. La dette contractée d’un côté et la réalisation de l’autre pour apprécier l’efficacité qui caractérise la gestion de la rupture au cours des huit dernières années. Du point de vue économique, on parle d’une croissance économique de 6%. Cela signifie que la croissance de notre richesse nationale, tant physique qu’en termes de revenus, est de 6 % chaque année.
C’est énorme, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, c’est très important. Parce qu’il y a aujourd’hui des pays qui ne réalisent même pas une croissance de 0,10% ou 0,5% et vivent mieux que nous. On se pose la question de savoir où va la croissance des 6% dont on parle. Et comme je vous l’ai dit, c’est sur la base de la dette que nous avons dû contracter, des emprunts que nous avons contractés, c’est ce qui nous a permis d’atteindre ces 6% de croissance,
La préoccupation la plus importante est l’impact que cela a sur notre population, sur la vie quotidienne des Béninois. Malheureusement, ce qui caractérise aujourd’hui le quotidien des Béninois, c’est la faim, c’est la misère. On se pose la question de savoir de quoi on parle quand on parle de 6% de croissance économique chaque année. Rien n’a changé, les choses ont plutôt reculé.
Cette croissance dont nous parlons, monsieur le journaliste nous permet simplement de rembourser la dette que nous avons contractée, à savoir le service de la dette, c’est-à-dire le capital, les intérêts, la réalisation des infrastructures. Oui, nous rémunérons les opérateurs économiques qui réalisent ces infrastructures. Quand vous avez fini de payer ça, que reste-t-il au Béninois Lambda ? Il ne reste plus qu’à payer des impôts, à payer des taxes. Il a du mal à se nourrir correctement. Il ne peut pas manger trois repas par jour.
Mais comment comprendre qu’au niveau sous-régional et parfois international, les institutions créditent notre pays d’une économie stable, prospère, résiliente, que nous sommes pratiquement premiers dans tout ce qui se fait comme enquête et sondage ?
Chers amis, évitez de tomber dans le piège de ces indicateurs que vous donnent les institutions. Sortez de ce piège. Du point de vue de la dette économique, nous en sommes aujourd’hui à près de 8 mille milliards. Et quand on écoute le Fmi, on est dans une tendance de léger surendettement. C’est ce que dit le Fmi. Parce que quand on a une économie solide, il faut la percevoir, il faut s’en rendre compte dans les différentes structures de l’activité économique. Quelles sont les réalisations en matière agricole ? Quelles sont les réalisations en matière de commerce ? Quelles sont les réalisations en matière de développement économique ? Ce sont les questions que vous devriez vous poser.
Nous ne constatons aucun changement substantiel dans la structure économique de notre pays. Normalement, ces investissements, ces dettes que nous contractons, devraient nous permettre de changer la structure de l’économie de notre pays. Et ce changement structurel aura pour conséquence de générer des revenus qui permettront de rembourser ces dettes. Selon vous, quels sont les domaines dans lesquels nous avons investi qui nous permettent de rembourser les dettes que nous avons contractées ? Parce que ces dettes consistent en réalité à hypothéquer la richesse des générations futures parce qu’on a emprunté pour 10, 20 ans. La richesse que nous aurons dans 10, 20 ans, nous la dépensons déjà aujourd’hui.
Et ce sont les difficultés que nous créons pour les gouvernements qui viendront demain. Et c’est la raison pour laquelle ce que nous réaliserons avec ces dettes, c’est ce que nous appelons la contrepartie, ce doivent être des changements structurels dans notre économie qui nous permettront de générer de la richesse sur la base de laquelle nous rembourserons les dettes que nous avons contractées. Aujourd’hui, à part les travaux routiers que vous voyez, dans quel domaine nous avons fait des investissements qui nous permettent de créer de la richesse et de faire face à ces dettes. Le développement est une question de cohérence, de planification économique, allant de l’agriculture, vers la transformation et la commercialisation (…).
Notre production est avant tout destinée à la consommation, et c’est le surplus qui doit être utilisé pour la transformation, ou la commercialisation, ou l’exportation. Tout cela est donc une politique au niveau agricole. Il n’y a pas de cohérence dans la politique de développement.
En réalité, la question du développement, je le répète, est une question d’intelligence collective. Où nous définissons clairement les objectifs que nous visons et mettons en place tous les moyens nécessaires pour les atteindre. Nous pouvons adopter plusieurs stratégies de développement. La stratégie de développement linéaire, à l’image de ce que nous avons vu en Europe occidentale. Cette stratégie de développement, où l’on part de la production agricole, pour générer une production importante qui nécessite une transformation. Et cela nous amène à développer l’industrie, à transformer et donc à dynamiser le secteur tertiaire,
Et pour cela, il faut mettre en place une structure agricole cohérente, qui génère un excédent de production, qui nécessite donc une transformation. Et c’est cette transformation qui stimule la commercialisation. Nous ne sommes pas nécessairement obligés de passer par là. Nous pouvons adopter une autre stratégie de développement, Là où nous importons, puisque nous avons développé la technologie, nous importons des matières premières et nous les exportons. Oui, cela génère des devises importantes qui nous permettent de promouvoir les investissements dans le pays. Mais nous n’avons pas la technologie. Du point de vue technologique, nous sommes totalement en retard. Cette stratégie ne peut donc pas être la nôtre.
Voilà donc le contexte dans lequel nous sommes, et nous avons l’impression que, économiquement, nous ne sommes pas toujours dans la réalité. Le gouvernement de la rupture patauge sur le plan économique.
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