La dégradation progressive des liens entre Alger et Paris a laissé des traces profondes dans les sphères politiques, culturelles et économiques. Plusieurs épisodes, dont les débats récurrents sur la mémoire coloniale, les restrictions de visas, ou encore la question des harkis, ont renforcé chez les autorités algériennes un besoin affiché de prendre leurs distances. Ce climat tendu a nourri une série de décisions traduisant une volonté de réévaluer certains marqueurs hérités de la période coloniale, à commencer par l’usage du français dans les institutions publiques.
Air Algérie : deux langues, une nouvelle image
C’est dans ce contexte que la compagnie nationale Air Algérie a tranché : depuis le 15 avril 2025, le français ne figure plus sur ses billets d’avion ni dans les communications officielles. La transition est visible sur tous les supports – documents imprimés, annonces en vol, et réseaux sociaux. Depuis le 13 avril, aucune publication en français n’est apparue sur les plateformes officielles de la compagnie, où l’arabe et l’anglais sont désormais les seules langues utilisées.
Ce repositionnement linguistique dépasse la simple dimension pratique. Il accompagne une réforme interne plus large évoquée par le PDG Hamza Benhamouda, qui comprend la modernisation de la flotte, la formation des personnels et l’élargissement des lignes. Le français, autrefois omniprésent, cède donc la place à l’anglais, norme dans l’aérien international, et à l’arabe, langue nationale et de communication régionale. L’enjeu est autant identitaire que stratégique : il s’agit de redéfinir la manière dont la compagnie se projette dans l’espace maghrébin et au-delà.
Une dynamique qui dépasse les frontières algériennes
Le cas d’Air Algérie s’inscrit dans une tendance observable ailleurs dans la région sahélienne. Au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), qui réunit le Mali, le Niger et le Burkina Faso, plusieurs décisions récentes ont illustré une volonté similaire de réévaluer le rôle du français dans la sphère publique. Au Mali, les autorités de transition ont entrepris de renforcer l’usage des langues nationales dans les documents administratifs et l’éducation. Au Niger, les instances éducatives encouragent la production de contenus pédagogiques en haoussa et en zarma. Quant au Burkina Faso, le gouvernement a affirmé vouloir donner une place plus centrale aux langues locales dans la vie institutionnelle, en particulier dans les textes officiels et les services publics.
Ces choix, tout comme celui d’Air Algérie, participent d’une logique de souveraineté culturelle revendiquée par plusieurs États de la région. Ils traduisent un effort pour redéfinir les repères linguistiques à partir des réalités locales et des priorités géopolitiques actuelles. Le recul du français dans ces pays ne signifie pas nécessairement un rejet de la langue en tant que telle, mais plutôt une réorganisation des hiérarchies linguistiques au profit d’une plus grande cohérence avec les orientations politiques et économiques.
Répercussions et lecture symbolique
L’évolution d’Air Algérie illustre une nouvelle manière d’appréhender la question de la langue dans les structures publiques. Loin d’être une simple décision technique, elle reflète une volonté d’émancipation symbolique et opérationnelle. Alors que la France reste l’un des marchés majeurs de la compagnie, le choix d’écarter le français de tous ses supports montre que les liens économiques ne suffisent plus à justifier une place privilégiée sur le plan linguistique.
Cette transformation soulève plusieurs interrogations sur la place future du français en Afrique du Nord et au Sahel, mais aussi sur les formes de coopération à venir entre les pays concernés et leurs anciens partenaires.
Elle traduit une reconfiguration profonde des marqueurs de souveraineté, dans laquelle la langue devient un vecteur d’affirmation autant qu’un outil de redéploiement stratégique.
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