Alors que l’intelligence artificielle (IA) redessine les contours du monde dans presque tous les secteurs – de la santé à l’agriculture, en passant par l’éducation, la finance ou les services publics – un constat alarmant s’impose : l’Afrique reste à la traîne. Loin derrière les pôles d’innovation que sont les États-Unis, la Chine, ou encore certains pays européens, le continent africain peine à s’imposer comme un acteur majeur dans cette révolution technologique. Pourtant, les enjeux sont colossaux, et les conséquences de ce retard risquent d’aggraver les écarts déjà profonds entre le Nord et le Sud.
L’intelligence artificielle n’est plus une simple fiction ou une promesse lointaine. Elle est aujourd’hui omniprésente : algorithmes de recommandation, reconnaissance faciale, assistants vocaux, automatisation industrielle, médecine prédictive, et bientôt véhicules autonomes. Selon le cabinet PwC, l’IA pourrait contribuer à hauteur de 15 700 milliards de dollars à l’économie mondiale d’ici 2030. Une manne économique colossale, que les grandes puissances mondiales s’arrachent.
Les États-Unis, forts de leur écosystème technologique et de géants comme Google, Meta ou OpenAI, dominent le domaine. La Chine, avec sa stratégie étatique agressive, investit massivement et rattrape son retard. Même des pays comme Israël et la Corée du Sud, tirent leur épingle du jeu grâce à des politiques ciblées. Et pendant ce temps, l’Afrique ?
Un retard systémique et structurel
L’Afrique souffre d’un manque de vision stratégique et de coordination dans le domaine de l’intelligence artificielle. Très peu de pays africains disposent de feuilles de route claires pour le développement de l’IA. À l’exception notable du Rwanda, du Kenya, du Nigeria ou de l’Afrique du Sud, les investissements publics restent quasi inexistants. Les budgets alloués à la recherche scientifique sont dérisoires : moins de 1 % du PIB dans la majorité des pays africains, contre 2,4 % en moyenne dans les pays de l’organisation de coopération et de développement économiques (Ocde).
À cela s’ajoutent des infrastructures numériques inadaptées, un accès limité à Internet dans de nombreuses zones rurales, et un manque criard de data centers sur le continent. Or, l’IA repose sur les données, la puissance de calcul, et une main-d’œuvre qualifiée. Trois éléments encore trop faibles en Afrique.
Une pénurie de talents locaux
Le déficit de formation est un autre frein majeur. Les universités africaines manquent de programmes solides en sciences des données, en apprentissage automatique ou en ingénierie informatique de haut niveau. Les talents africains brillants sont bien souvent contraints de partir étudier ou travailler à l’étranger, alimentant une « fuite des cerveaux » préoccupante. Certains chercheurs africains se distinguent pourtant dans des laboratoires prestigieux à l’étranger, mais leur impact sur le développement local reste limité.
Des initiatives comme l’African Institute for Mathematical Sciences (AIMS), le Data Science Africa, ou encore l’African Master’s in Machine Intelligence (AMMI), lancé avec le soutien de Google, commencent à porter leurs fruits. Mais elles demeurent insuffisantes face à l’ampleur des défis.
Des opportunités à ne pas manquer
Ce retard n’est pas irréversible. Bien au contraire, l’IA peut représenter une opportunité unique pour l’Afrique de rattraper une partie de son retard technologique. De nombreux domaines clés, spécifiques aux réalités africaines, pourraient bénéficier de solutions innovantes basées sur l’IA.
En agriculture, l’IA peut permettre de prédire les récoltes, d’optimiser l’irrigation ou de détecter les maladies des plantes grâce à des applications mobiles. En santé, elle peut améliorer le diagnostic dans les zones rurales où les médecins sont rares. Dans l’éducation, elle peut fournir des contenus personnalisés pour pallier le manque d’enseignants.
Plus encore, l’IA pourrait jouer un rôle déterminant dans la lutte contre le changement climatique, la gestion des ressources naturelles, ou l’organisation des villes africaines de demain.
Mais sans une stratégie cohérente, l’Afrique risque de devenir un simple terrain d’expérimentation pour les géants étrangers. Déjà, plusieurs entreprises chinoises ou américaines testent leurs technologies en Afrique, souvent sans transparence sur l’usage des données personnelles. Cette situation pose de graves questions éthiques et de souveraineté numérique.
Le continent ne peut se contenter de consommer des technologies venues d’ailleurs. Il doit être capable de concevoir ses propres algorithmes, de protéger ses données, et de réguler l’usage de l’IA selon ses propres valeurs. Cela nécessite des cadres juridiques solides, une volonté politique affirmée, et une meilleure coordination régionale.
Des signaux faibles mais prometteurs
Malgré le constat globalement pessimiste, certains signaux laissent entrevoir une dynamique naissante. Des start-ups africaines commencent à se spécialiser dans l’IA, comme Zindi, une plateforme sud-africaine qui organise des compétitions de science des données, ou mPharma au Ghana, qui utilise l’IA pour optimiser la distribution des médicaments.
Des institutions régionales, comme l’Union africaine, ont également initié des discussions pour une stratégie panafricaine de l’intelligence artificielle. En 2021, l’UNESCO a adopté la recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle, à laquelle plusieurs pays africains ont adhéré. Mais il reste à passer de la parole aux actes. L’Afrique ne peut pas se permettre de manquer la révolution de l’intelligence artificielle. Elle doit apprendre des erreurs du passé, où elle a souvent été spectatrice des grandes ruptures industrielles et technologiques.
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