Du lancement de PayPal à la création de Tesla, en passant par les ambitions martiennes de SpaceX et les tunnels urbains de The Boring Company, Elon Musk a construit son image autour d’un enchaînement de projets spectaculaires. À ces entreprises s’ajoutent Neuralink, qui explore les interfaces cerveau-machine, et plus récemment xAI, dédié à l’intelligence artificielle. En parallèle, l’homme d’affaires a multiplié les acquisitions et les expérimentations, de Twitter (rebaptisé X) à l’implantation de Gigafactories dans le monde entier. Pourtant, cette dernière année a mis son empire à l’épreuve : Tesla a vu ses bénéfices chuter brutalement, ses parts de marché se rétracter face à la concurrence chinoise, et ses actions perdre de leur éclat. C’est dans ce contexte qu’émerge un nouveau pari, singulier par sa forme autant que par ses implications.
Une enclave façonnée à l’image de SpaceX
Le dernier projet de Musk consiste à transformer le site de lancement de SpaceX, situé au Texas, en une véritable municipalité. L’idée : créer une ville autonome baptisée Starbase, dotée de ses propres représentants locaux et capable de gérer directement les décisions liées à son territoire. Ce modèle reposerait sur une population très restreinte, presque exclusivement composée de salariés de SpaceX ou de personnes étroitement liées à l’entreprise. Le scrutin pour valider cette incorporation est déjà lancé, avec une échéance fixée au 3 mai.
Le territoire concerné, modeste en superficie, est aujourd’hui largement dominé par les infrastructures de l’entreprise. Depuis plusieurs années, SpaceX y a multiplié les bâtiments techniques et les logements pour ses employés. Le nom de Starbase, initialement informel, a fini par s’imposer dans l’usage courant, au point de devenir l’étiquette officielle du projet. La proposition ne se limite pas à une formalité administrative : elle pourrait changer les règles du jeu localement. En accédant au statut de ville, la zone bénéficierait d’une plus grande marge de manœuvre sur des questions comme la gestion des espaces publics — notamment la plage voisine, régulièrement interdite d’accès lors des tirs de fusées.
Cette possible municipalisation trouve un appui juridique dans une loi votée récemment au Sénat du Texas, qui permettrait à la future ville de prendre seule certaines décisions qui relevaient jusqu’ici du comté. Les partisans de cette évolution y voient une simplification des procédures. D’autres, au contraire, s’inquiètent d’une appropriation indirecte d’un bien commun par une entité privée. Pour ces derniers, cette initiative revient à placer des zones publiques sous la tutelle d’un groupe industriel, sans véritable contrepoids démocratique.
Vers une relance par le contrôle territorial
À un moment où ses entreprises subissent une pression accrue, Elon Musk semble orienter ses efforts vers un terrain moins attendu : la création d’un écosystème institutionnel sur mesure. Transformer un site industriel en entité administrative, c’est créer un levier de manœuvre face aux réglementations locales, tout en consolidant l’emprise physique sur un lieu stratégique. Le processus électoral, amorcé dans un bâtiment habituellement fermé au public et spécialement aménagé pour accueillir les urnes, pourrait marquer le début d’une nouvelle ère dans les relations entre entreprise et territoire.
Si Starbase voit officiellement le jour, ce ne sera pas qu’un changement de nom ou une opération de communication. Ce sera la matérialisation d’un pouvoir accru sur un espace déterminé, avec ses propres règles, son administration et son périmètre d’action. Une manière pour Musk d’élargir son influence au-delà des produits et des plateformes, en créant un cadre institutionnel à la mesure de ses ambitions. En ce sens, cette initiative pourrait annoncer une nouvelle manière d’envisager la gouvernance d’entreprise : non plus seulement à travers des conseils d’administration ou des actionnaires, mais en intégrant l’architecture même de la cité.
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