L’Algérie et le Maroc, engagés dans une rivalité historique touchant tous les domaines – du conflit du Sahara occidental aux alliances diplomatiques, en passant par l’influence régionale – poursuivent leur compétition sur le terrain énergétique à travers deux projets concurrents de gazoducs. Ces infrastructures ambitieuses visent à acheminer le gaz naturel nigérian, l’une des plus importantes réserves africaines, vers les marchés européens en quête de diversification énergétique. Cette confrontation par pipelines interposés reflète non seulement des intérêts économiques mais aussi des visions géopolitiques divergentes pour l’avenir du continent africain et ses relations avec l’Europe.
Le Gazoduc Nigeria-Maroc, plus récent mais rapidement développé, propose un itinéraire côtier atlantique reliant une dizaine de pays ouest-africains. Cette option privilégie la sécurité en évitant les zones d’instabilité sahéliennes, tout en créant un axe d’intégration économique le long du littoral africain. Pour le Maroc, ce projet représente un levier stratégique pour consolider sa présence en Afrique subsaharienne après sa réintégration à l’Union Africaine en 2017 et ses tentatives de rapprochement avec la CEDEAO. Sa conception permet également d’offrir une source d’énergie aux pays traversés, dont beaucoup souffrent de déficits énergétiques chroniques qui freinent leur développement.
Le Gazoduc Trans-Saharien, porté par l’Algérie, repose sur un trajet plus direct mais plus risqué à travers le Nigeria, le Niger et l’Algérie avant de rejoindre les réseaux européens. Si ce projet bénéficie d’un tracé plus court et potentiellement moins coûteux, il reste vulnérable aux problèmes sécuritaires qui affectent le Sahel et le Sahara. L’instabilité politique récente au Niger, notamment le coup d’État de 2023, a considérablement fragilisé sa faisabilité, malgré plusieurs tentatives de relance depuis sa conception initiale il y a plus de quarante ans.
Forces et faiblesses des deux options énergétiques
Le projet marocain, bien que plus long et plus onéreux, présente l’avantage considérable d’une meilleure sécurité d’approvisionnement. Sa conception majoritairement offshore jusqu’au Sahara occidental puis côtière minimise les risques d’attaques ou de sabotages. Il offre également des bénéfices potentiels pour tous les pays traversés en termes d’accès à l’énergie, de développement industriel et de production d’engrais, renforçant ainsi la sécurité alimentaire régionale. Le projet s’inscrit par ailleurs dans une dynamique plus large d’intégration économique ouest-africaine que le Maroc tente de promouvoir pour contrebalancer la stagnation de l’Union du Maghreb Arabe.
En revanche, le Gazoduc Nigeria-Maroc doit surmonter d’importants obstacles financiers en raison de son coût élevé et de la multiplicité des acteurs impliqués. La coordination entre treize pays aux intérêts parfois divergents représente un défi considérable, même si les études préliminaires et le cadre institutionnel semblent progresser plus rapidement que pour son concurrent algérien. L’enjeu du passage par le Sahara occidental, territoire contesté, pourrait également susciter des complications diplomatiques, notamment avec l’Espagne qui a récemment modifié sa position sur ce dossier.
Perspectives de réalisation et implications régionales
À l’analyse des avancées concrètes et du contexte géopolitique actuel, le Gazoduc Nigeria-Maroc semble disposer d’un avantage substantiel pour se concrétiser en premier. Plusieurs facteurs penchent en sa faveur : l’achèvement des études de faisabilité, la création d’une structure dédiée au projet, le soutien de partenaires internationaux potentiels comme les pays du Golfe, et surtout, la relative stabilité de son tracé comparé aux zones traversées par le projet algérien. L’intérêt croissant de l’Europe pour des sources d’approvisionnement alternatives au gaz russe constitue également un atout majeur pour ce projet.
Le Gazoduc Trans-Saharien, malgré sa conception plus ancienne et son parcours plus direct, pâtit de l’instabilité chronique des régions qu’il doit traverser et des relations parfois tendues entre les pays impliqués. Sans une amélioration significative de la situation sécuritaire au Sahel ou un engagement massif de partenaires extérieurs dans la sécurisation du tracé, ce projet risque de rester à l’état d’ambition. La détérioration des relations algéro-marocaines, qui a déjà conduit à la fermeture du Gazoduc Maghreb-Europe en 2021, illustre la vulnérabilité de ces infrastructures aux aléas diplomatiques régionaux.
Ces projets rivaux révèlent finalement les ambitions de repositionnement stratégique des deux puissances maghrébines. Alors que le Maroc cherche à construire un axe atlantique pour s’affirmer comme pont entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe, l’Algérie tente de préserver son rôle de fournisseur énergétique majeur pour l’Europe méditerranéenne. L’avenir énergétique de la région, mais aussi ses équilibres géopolitiques, dépendront largement de la capacité de ces projets à surmonter leurs obstacles respectifs et à répondre aux besoins évolutifs des marchés européens, de plus en plus orientés vers la transition énergétique.
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