Sénégal : La garde à vue de Bachir Fofana relance le débat sur la liberté numérique

Le journaliste et chroniqueur Bachir Fofana a été placé en garde à vue ce 25 juin 2025 par la Division spéciale de la cybersécurité. Cette décision fait suite à une auto-saisine du procureur, motivée par la diffusion d’informations jugées erronées autour d’un appel d’offres de l’Assemblée nationale. Fofana avait avancé que le marché pour l’achat de véhicules officiels, piloté par le président de l’Assemblée nationale El Malick Ndiaye, aurait été attribué à un entrepreneur déjà cité dans une affaire judiciaire antérieure impliquant l’ex-ministre de la Justice. Selon ses déclarations, s’il avait été informé que le bénéficiaire du contrat était M. Cheikh Dieng, il aurait corrigé ses propos.

L’arrestation, bien qu’appuyée sur des chefs d’accusation liés à la propagation de fausses nouvelles, suscite des réactions vives. Plusieurs voix, issues aussi bien de la sphère politique que de la société civile, dénoncent une instrumentalisation du droit pour faire taire une critique gênante. Pape Djibril Fall, député à l’Assemblée, parle d’un emprisonnement qui ne dit pas son nom. Quant à Papa Malick Ndour, ancien ministre, il estime que cette mesure traduit un malaise profond dans la gestion des affaires publiques et appelle à une transparence accrue sur les contrats passés par l’institution parlementaire.

Une régulation numérique sous tension

Ce nouvel épisode intervient alors que les autorités sénégalaises renforcent leur surveillance des contenus numériques. L’implication de la Division spéciale de la cybersécurité dans une affaire relevant traditionnellement du champ médiatique interroge. Si la presse écrite et audiovisuelle est soumise depuis longtemps à une régulation stricte, l’extension de ces pratiques à la sphère en ligne est perçue par certains comme un virage préoccupant. Les plateformes sociales, espace d’expression libre et immédiate, deviennent ainsi un nouveau terrain de contrôle institutionnel.

En filigrane, c’est toute la frontière entre vérification de l’information et contrôle politique qui se brouille. La rapidité avec laquelle une publication peut être sanctionnée pose la question du temps accordé au contradictoire, et de la capacité des journalistes à exercer leur métier dans un climat juridiquement incertain. La mobilisation de la cybersécurité, bras armé du numérique étatique, dans des contentieux d’opinion pourrait bien inaugurer une nouvelle forme de tension entre autorité judiciaire et liberté d’expression.

Quand la transparence devient un enjeu de gouvernance

Au-delà du cas personnel de Bachir Fofana, l’affaire révèle une problématique plus large liée à la gouvernance des marchés publics. Le nom du prestataire cité dans le marché des véhicules de l’Assemblée nationale renvoie à une autre affaire judiciaire encore sensible dans l’opinion. Ce chevauchement alimente la défiance et alourdit les soupçons. Face à ces enjeux, la demande de transparence formulée par plusieurs personnalités politiques prend une résonance particulière : elle ne vise pas seulement à défendre un journaliste, mais à réaffirmer les conditions nécessaires à la confiance démocratique.

L’interpellation de Bachir Fofana pourrait bien marquer un tournant : non seulement dans la manière dont les autorités sénégalaises entendent gérer la parole critique sur Internet, mais aussi dans la manière dont les citoyens interrogent les rouages d’un pouvoir parfois perçu comme opaque. Car à l’heure où les marchés publics deviennent l’un des terrains les plus scrutés du débat politique, chaque information, même imprécise, devient un révélateur du climat ambiant.

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