Alors que la grève des greffiers entre dans sa cinquième semaine sans issue apparente, l’État sénégalais a décidé de passer à l’action. À travers une circulaire datée du 18 juillet, le ministre de la Justice Ousmane Diagne a ordonné la réquisition des agents en poste dans les juridictions, en s’appuyant sur les gouverneurs et préfets pour assurer un service minimum. Cette décision marque une nouvelle étape dans un bras de fer qui paralyse les tribunaux du pays depuis plus d’un mois.
Une justice en état de veille prolongée
Depuis le 18 juin, l’intersyndicale des greffiers a enclenché une grève qui affecte gravement le fonctionnement de l’appareil judiciaire. Faute d’accord avec les ministères de la Justice et de la Fonction publique sur leurs revendications – notamment le reclassement hiérarchique, la revalorisation des statuts et l’intégration des assistants de greffe – les grévistes ont progressivement cessé de remplir leurs missions essentielles. Résultat : des milliers de dossiers stagnent dans les juridictions, des décisions de justice ne sont pas rendues à temps, et des audiences sont ajournées indéfiniment.
Pour les justiciables, cette paralysie équivaut à une double peine : certains détenus restent en prison faute de délibéré, d’autres voient leurs procédures bloquées malgré des urgences avérées. À la différence d’autres mouvements sociaux, celui-ci touche le cœur de la chaîne de décision, puisque sans greffier pour authentifier, enregistrer ou notifier, les actes judiciaires ne peuvent être exécutés.
Des réquisitions pour contenir la rupture de service
Dans ce contexte, Ousmane Diagne a activé une mesure exceptionnelle : la réquisition ciblée des personnels grévistes. L’instruction, transmise aux autorités administratives territoriales, vise à garantir la continuité minimale du service public de la justice. Les activités concernées incluent la réception du courrier prioritaire, la tenue des audiences jugées nécessaires et le traitement des démarches urgentes des usagers.
La circulaire insiste sur un encadrement strict : les réquisitions doivent rester proportionnées, motivées et limitées aux cas où l’intérêt général est en jeu. Autrement dit, il ne s’agit pas de casser la grève dans son ensemble, mais de préserver les fonctions les plus critiques, à l’image d’un hôpital de garde en période de crise sanitaire.
Cette stratégie reflète la volonté du ministère de concilier fermeté et mesure. Il ne s’agit pas d’ignorer les revendications des grévistes, mais de limiter les conséquences de leur mouvement sur le quotidien des citoyens. Dans les faits, cependant, la mise en œuvre de ces réquisitions risque de rencontrer des résistances, notamment là où les juridictions sont totalement désertées ou dépourvues de greffiers volontaires.
Une impasse à forts enjeux
Derrière cette crise, c’est la question de la reconnaissance du corps des greffiers qui se pose. Ces agents, souvent invisibles du grand public, sont pourtant essentiels à la mécanique judiciaire. Leur rôle ne se limite pas à prendre note lors des audiences : ils rédigent, certifient, notifient et conservent les actes, garantissant la validité des procédures. Les substituer temporairement par des personnels ad hoc – comme cela a été tenté dans certaines régions – s’est révélé à la fois insuffisant et juridiquement contestable.
L’absence de perspectives de sortie de crise laisse présager une prolongation du conflit. Aucun calendrier de négociation n’a pour l’heure été communiqué, et les syndicats n’ont pas encore réagi publiquement à la mesure de réquisition. De leur côté, les magistrats et avocats expriment de plus en plus ouvertement leur frustration face à une situation qui empêche la justice de fonctionner dans des conditions normales.
Le gouvernement, en prenant cette initiative, montre qu’il entend reprendre la main sur un secteur stratégique. Reste à savoir si cette mesure d’urgence permettra de relancer le dialogue ou ne fera qu’accentuer la tension dans les couloirs déjà silencieux des palais de justice.


