Sénégal : La lettre de Politique Sectorielle de la Justice adoptée

Alors que les tribunaux tournent au ralenti et que les prisons débordent, l’État vient de poser un jalon attendu dans la transformation du système judiciaire sénégalais. Ce mardi 29 juillet à Dakar, le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, a officialisé l’adoption de la Lettre de Politique Sectorielle (LPS) 2025–2029, lors d’un atelier réunissant l’ensemble des acteurs du secteur. Le document, conçu comme une feuille de route sur cinq ans, vise à remettre de l’ordre dans un appareil judiciaire confronté à des tensions structurelles et sociales.

L’événement intervient dans un climat particulièrement tendu : les greffiers, en grève depuis plus d’un mois, dénoncent une absence d’écoute malgré leur rôle central dans la chaîne judiciaire. En parallèle, les magistrats ne sont que 500 pour l’ensemble du territoire, alors que les établissements pénitentiaires affichent un taux d’occupation supérieur à 200 %, révélant une surcharge chronique que la simple bonne volonté ne peut plus corriger.

Une justice qui veut gagner en proximité et en efficacité

Parmi les axes présentés dans la LPS, quatre projets structurants dessinent la nouvelle architecture envisagée. Le premier vise la création d’une plateforme numérique de gestion du casier judiciaire national, permettant d’automatiser et de centraliser les procédures. Une transformation qui devrait accélérer les démarches souvent ralenties par l’archaïsme des registres papier.

Le second projet porte sur la digitalisation progressive des juridictions, avec pour objectif de généraliser la gestion électronique des dossiers, du dépôt à la clôture. Le troisième prévoit le déploiement de maisons de la justice et de centres de médiation de proximité, pour rapprocher les citoyens de solutions alternatives aux longues procédures judiciaires. Enfin, un effort particulier sera mis sur l’amélioration de l’accès aux services de la justice, en milieu rural notamment, où la distance géographique se double souvent d’un éloignement administratif.

Ces chantiers sont portés par un budget de 145 milliards de francs CFA, qui devra couvrir à la fois les infrastructures, les équipements technologiques et la formation des agents. Un financement conséquent, mais jugé nécessaire pour corriger les lenteurs et blocages accumulés depuis des décennies.

Entre promesse de réforme et urgences du présent

Si la LPS ambitionne de poser les fondations d’une justice plus moderne et équitable, elle se confronte immédiatement à des réalités sociales brûlantes. Les grèves à répétition, dont celle des greffiers depuis le 18 juin, illustrent le fossé entre les réformes annoncées et la situation vécue dans les tribunaux. Ces derniers jours, plusieurs audiences ont été annulées, des procédures suspendues, et les justiciables livrés à l’attente sans horizon.

La question des ressources humaines reste un goulet d’étranglement majeur. Le ratio magistrats/population reste très en deçà des standards régionaux, rendant toute réforme incomplète si elle ne s’accompagne pas d’un plan massif de recrutement et de revalorisation des métiers judiciaires. Les ambitions numériques de la LPS ne pourront se concrétiser sans personnel suffisant pour les porter.

Pour les professionnels du droit, le lancement de cette politique sectorielle est un signal positif, mais tardif. Certains regrettent que le document ne réponde pas assez directement aux problématiques immédiates de gouvernance interne, de traitement des grèves, ou encore d’indépendance fonctionnelle des juridictions.

Une feuille de route à incarner

Reste à savoir si cette LPS restera un simple exercice de planification ou si elle deviendra un levier réel de transformation. L’enjeu n’est pas seulement technique, il est politique. Dans une période où la justice cristallise les frustrations d’une partie de la société, toute réforme annoncée sans application visible pourrait accentuer le décrochage entre institutions et citoyens.

Ousmane Diagne a martelé que ce plan est aligné avec la vision du référentiel Sénégal 2050, mais pour les usagers du quotidien, ce sont les audiences reportées, les prévenus oubliés et les files d’attente interminables qui font foi.

La LPS est désormais adoptée. Elle a tracé une voie. Encore faut-il que celle-ci ne reste pas à l’état de projet, mais soit empruntée dès maintenant, avec rigueur et volonté. Car dans les couloirs de la justice sénégalaise, le temps long n’est plus un luxe. C’est une urgence.

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