Le plateau de Jakaarlo, émission-phare du vendredi soir diffusée sur la TFM, a une nouvelle fois quitté le cadre du débat d’idées pour glisser vers le terrain glissant du contentieux pénal. Le chroniqueur Badara Gadiaga, figure récurrente du programme et habitué aux interventions musclées, a été placé sous mandat de dépôt par le Premier cabinet d’instruction. Cette décision fait suite à ses propos du 4 juillet 2025, où il est revenu publiquement sur une affaire judiciaire classée mais politiquement explosive : les accusations de viol portées en 2021 contre Ousmane Sonko, devenu depuis Premier ministre.
À travers cette intervention jugée provocatrice, Gadiaga fait désormais face à un faisceau de charges particulièrement sévères : diffusion de fausses nouvelles, propos contraires aux bonnes mœurs, offense envers une autorité exerçant les prérogatives présidentielles, mais aussi acceptation présumée de dons en vue de diffuser des messages susceptibles de troubler la sécurité publique. Le parquet semble avoir voulu envoyer un message clair sur les limites à ne pas franchir, même sous les projecteurs.
Des précédents qui fragilisent la défense du média
Ce dérapage s’inscrit dans un historique de tensions entre le Groupe Futurs Médias (GFM) et le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA). Le 25 mars 2025 déjà, le CNRA avait adressé un avertissement officiel à GFM, pointant des manquements graves observés lors de l’émission du 21 mars. Il était reproché à l’antenne d’avoir laissé place à des propos diffamatoires, sans contradiction suffisante ni encadrement éditorial.
Le 7 juillet, après l’édition du 4 juillet, le CNRA a cette fois brandi une mise en demeure formelle, invoquant des propos véhéments et discourtois de Gadiaga, jugés attentatoires à la dignité humaine et à l’ordre public. L’autorité a rappelé à GFM son obligation de rigueur dans le traitement de sujets sensibles, menaçant de suspendre l’émission Jakaarlo en cas de récidive. Deux rappels à l’ordre en l’espace de quatre mois, un signal préoccupant pour une chaîne qui domine pourtant l’espace audiovisuel sénégalais.
Entre liberté d’expression et cadre légal strict
L’affaire Gadiaga relance un vieux débat : jusqu’où peut aller un chroniqueur sur un plateau télé ? Et surtout, qui est responsable lorsque les bornes sont dépassées ? Si le direct est un terrain propice à l’improvisation, il ne dispense ni les intervenants ni les producteurs de leur devoir de vigilance. Dans un paysage audiovisuel très suivi et scruté, les mots prononcés à l’écran résonnent bien au-delà du studio, notamment sur les réseaux sociaux où les séquences virales échappent à tout contrôle.
La privation de liberté du chroniqueur devient ainsi un tournant. Au-delà de la personne de Gadiaga, c’est l’équilibre entre liberté d’expression, responsabilité éditoriale et respect de la loi qui est posé. Le débat sur la régulation des contenus ne peut plus être éludé. Car lorsque les institutions judiciaires prennent le relais du régulateur audiovisuel, cela révèle à la fois une crise de confiance dans les mécanismes internes et un besoin pressant de réforme dans la gouvernance des médias.
Le procès qui suivra apportera peut-être une réponse pénale. Mais c’est dès maintenant que le secteur audiovisuel est invité à repenser ses lignes rouges – avant que la parole publique ne devienne elle-même une source de contentieux récurrents.



