Sénégal : Les travailleurs du Grand Théâtre interdits de perruques et de dépigmentation

Dans un Sénégal souvent salué pour sa culture de coexistence et de souplesse dans les choix de vie individuels, la récente décision du directeur général du Grand Théâtre national a surpris autant qu’elle a divisé. Le 14 juillet 2025, Serigne Fall Guèye a signé une note de service exigeant du personnel une conformité esthétique stricte : interdiction du port de perruques, de greffages et de toute forme de dépigmentation. Une mesure jugée drastique par de nombreux observateurs, tant elle dénote avec l’esprit d’ouverture généralement associé à l’espace public sénégalais.

Cette volonté d’uniformisation physique, justifiée par le souci de préserver l’image du théâtre et d’affirmer une certaine idée de l’africanité, est tombée comme un pavé dans la mare. Dans un pays où l’apparence individuelle est un terrain d’expression culturelle aussi vivant que contesté, cette orientation réglementaire semble à rebours de la réalité sociale. Nombreux sont ceux qui doutent de la capacité réelle de cette mesure à être appliquée sans heurts, tant elle va à l’encontre de pratiques largement répandues et socialement acceptées.

Un raz-de-marée numérique entre moqueries et détournements

Quelques heures à peine après la publication de la note, les réactions ont explosé sur les réseaux sociaux, en particulier sur la plateforme X. Dans un mélange d’humour grinçant et de satire populaire, les internautes ont détourné l’annonce en une avalanche de mèmes, vidéos et commentaires cinglants. Certains ont comparé le Grand Théâtre à un nouveau “ministère de la moralité capillaire”, tandis que d’autres s’amusaient à imaginer des détecteurs de perruques à l’entrée de l’établissement. Les détournements ont fusé dans toutes les langues du web sénégalais, du wolof à l’anglais, révélant à la fois la créativité des internautes et leur rejet immédiat de la mesure.

Mais au-delà des éclats de rire numériques, ces réactions témoignent d’un rejet instinctif d’une décision perçue comme intrusive. Pour beaucoup, il s’agit moins d’un choix administratif que d’une volonté de régir l’intimité corporelle. Or, dans une société où les pratiques esthétiques, y compris les plus controversées comme la dépigmentation, sont devenues des habitudes normalisées, une telle injonction ne peut que heurter de plein fouet les libertés individuelles.

Entre symbole panafricain et gestion de l’image publique

Pour le directeur du Grand Théâtre, il ne s’agit pas de moraliser les apparences mais de définir une ligne institutionnelle cohérente. L’établissement, qui porte le nom du légendaire Doudou Ndiaye Coumba Rose, souhaite projeter une image enracinée dans des valeurs culturelles panafricaines. En refusant certaines pratiques esthétiques, la direction entend affirmer une vision plus “authentique” de l’identité africaine, assumée et visible.

Ce positionnement soulève cependant une question de fond : une institution culturelle peut-elle imposer un standard esthétique à ses employés au nom de son image ? Et où tracer la limite entre image collective et liberté personnelle ? Ces interrogations, posées à voix haute ou basse sur les réseaux, traduisent une tension réelle entre aspirations identitaires et réalités contemporaines.

À l’heure où l’Afrique redéfinit ses propres codes de représentation, cette affaire pourrait bien relancer un débat de société plus large : celui du droit à disposer de son corps dans un cadre professionnel, même lorsque ce cadre se veut porteur d’un projet culturel ou idéologique. En attendant, le Grand Théâtre est au cœur d’une mise en scène qu’il n’avait sans doute pas anticipée.

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