(À LA LUMIÈRE DES DIMENSIONS POLITIQUE, JURIDIQUE, ÉCONOMIQUE ET SOCIOCULTURELLE) I. Contexte général et évolution diplomatique Le Sahara occidental, ex-colonie espagnole jusqu’en 1975, reste l’un des derniers territoires inscrits sur la liste onusienne des territoires non autonomes. Depuis le départ de l’Espagne, le Maroc revendique sa souveraineté sur cette région, tandis que le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, défend le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui à travers la République arabe sahraouie démocratique (RASD). La Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), créée en 1991, avait pour objectif d’organiser un référendum d’autodétermination, mais celui-ci n’a jamais vu le jour.
La résolution adoptée fin octobre 2025 (S/RES/2797, selon les sources diplomatiques) renouvelle le mandat de la MINURSO pour un an, mais surtout, consacre un tournant majeur : le Conseil de sécurité y qualifie le plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007 de « solution la plus sérieuse, crédible et réalisable » pour résoudre le conflit. Ce glissement d’approche, soutenu par 11 États membres (dont les États-Unis, la France et le Royaume-Uni), marque la fin de la stricte équidistance onusienne entre Rabat et le Front Polisario.
II. Lecture politique et géostratégique
1. Un rééquilibrage des rapports de force
Sur le plan diplomatique, la résolution reflète le succès d’une offensive marocaine de longue haleine. Rabat a su mobiliser une diplomatie active en Afrique, au Moyen-Orient et en Occident, articulée autour du triptyque : stabilité régionale, attractivité économique et lutte contre le terrorisme au Sahel. En obtenant le soutien implicite de grandes puissances, le Maroc transforme la question saharienne en enjeu de stabilité internationale.
Pour les États-Unis et leurs alliés, la reconnaissance de l’autonomie marocaine s’inscrit dans une logique de réalisme politique : mieux vaut consolider un allié stable dans la région que maintenir une situation d’indécision propice aux tensions. Ce choix illustre aussi une évolution du multilatéralisme : les résolutions onusiennes deviennent des instruments de stabilisation pragmatique plutôt que de stricte justice décoloniale.
2. Les limites du multilatéralisme
Toutefois, cette décision révèle les tensions internes au Conseil de sécurité : la Chine, la Russie et le Pakistan se sont abstenus, soulignant l’absence de consensus global. Le CSNU agit ici davantage comme un arbitre politique que comme le gardien des principes du droit international. Cette fracture illustre l’affaiblissement de la gouvernance multilatérale, où les grandes puissances privilégient leurs intérêts géostratégiques.
3. Impact régional
Pour l’Algérie, principal soutien du Front Polisario, la décision constitue un revers stratégique et diplomatique. Le risque est de raviver les tensions Maroc-Algérie, déjà exacerbées par la fermeture des frontières et la compétition d’influence au Sahel. En revanche, pour les États africains membres de l’Union africaine, la position marocaine peut apparaître comme un modèle de réintégration réussie d’un État africain dans la diplomatie continentale, après son retour à l’UA en 2017.
III. Approche juridique et institutionnelle
1. Autonomie vs autodétermination
Le cœur du débat juridique reste le rapport entre le principe de souveraineté et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, consacré par la Charte des Nations unies (art. 1§2) et les pactes internationaux de 1966. La nouvelle résolution n’abroge pas formellement ce droit, mais le relègue au second plan : le référendum d’indépendance, autrefois pilier du processus de paix, devient une perspective marginale.
La reconnaissance du plan marocain comme base « réaliste » de négociation ne confère pas au Maroc une souveraineté juridique pleine et entière sur le territoire, mais elle affaiblit la revendication du Polisario et rend improbable tout retour à une consultation populaire binaire (indépendance ou rattachement). La solution dite d’« autonomie sous souveraineté marocaine » introduit une nouvelle catégorie hybride du droit international : une autodétermination interne, encadrée par la puissance administrante.
2. La MINURSO et les droits humains
La MINURSO voit son mandat reconduit, mais sans élargissement à la surveillance des droits humains, une revendication persistante des ONG et du Polisario. L’absence de mécanismes de suivi accentue le sentiment d’injustice chez les Sahraouis vivant dans les camps de réfugiés de Tindouf (Algérie). Le Conseil de sécurité opte donc pour une stabilité institutionnelle minimale, sans régler les questions humanitaires ni celles des ressources naturelles, toujours exploitées sous contrôle marocain.
IV. Lecture économique et stratégique
1. Le poids des ressources
Le Sahara occidental recèle d’importantes ressources en phosphates, en zones de pêche et en potentiel énergétique(solaire et éolien). Ces richesses nourrissent la position du Maroc, qui a investi massivement dans le développement des infrastructures de la région (ports de Dakhla, routes, zones industrielles).
La reconnaissance politique du plan d’autonomie facilite désormais les partenariats économiques avec les investisseurs étrangers, notamment européens et américains, désireux d’un cadre plus stable.
2. Une dimension sécuritaire régionale
Dans le contexte d’instabilité du Sahel, le Maroc se positionne comme un acteur de sécurité régionale : contrôle des flux migratoires, lutte contre le trafic et contre le terrorisme. La stabilité du Sahara occidental devient dès lors un enjeu sécuritaire partagé par les puissances occidentales. Cette perception transforme un conflit de décolonisation en dossier de gestion stratégique du risque.
V. Approche socioculturelle et humaine
La résolution a des répercussions profondes sur l’identité et le vécu du peuple sahraoui. Les réfugiés dans les camps de Tindouf, privés de perspective claire, se trouvent dans une situation de fatigue politique et humanitaire. La jeunesse sahraouie, née après le cessez-le-feu de 1991, oscille entre résignation et colère.
Sur le territoire contrôlé par le Maroc, les projets de développement améliorent certaines conditions de vie, mais la question de la participation réelle des Sahraouis aux instances politiques et administratives reste ouverte.
Sociologiquement, le risque est celui d’une pacification sans réconciliation, où la croissance économique ne suffit pas à combler le déficit de légitimité politique.
VI. Enjeux et perspectives
1. Opportunités
La décision du Conseil de sécurité peut être interprétée comme une victoire diplomatique du réalisme : elle pourrait stabiliser la région, ouvrir de nouveaux axes de coopération économique et apaiser un conflit vieux de cinquante ans. Pour le Maroc, elle conforte l’image d’un État moderne, promoteur de stabilité et d’investissement.
2. Risques
Mais les risques sont multiples :
- marginalisation politique du peuple sahraoui ;
- durcissement de la position algérienne ;
- perte de crédibilité de l’ONU en matière de décolonisation ;
- tensions possibles sur la répartition des bénéfices économiques.
Si l’autonomie n’est pas accompagnée de garanties de représentativité et de respect des droits fondamentaux, le risque d’une reprise de la contestation armée demeure.
Conclusion
La résolution 2797 du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental marque un tournant politique et diplomatique majeur : elle entérine la prééminence du plan d’autonomie marocain et reconfigure la dynamique régionale.
Elle illustre une tendance globale : la primauté du pragmatisme géopolitique sur les principes classiques du droit international. En substituant à l’autodétermination externe une autonomie interne, la communauté internationale privilégie la stabilité à la justice historique.
Mais cette stabilité reste conditionnelle : sans inclusion réelle des Sahraouis, sans mécanisme de suivi des droits humains et sans rapprochement Maroc-Algérie, la paix demeure fragile. Ainsi, la décision du Conseil de sécurité, plus qu’une solution définitive, représente une transition politique : une tentative de sortir d’un conflit gelé par une approche économique et sécuritaire, mais dont la portée juridique et humaine reste encore incertaine.



