Colombie: comment les sanctions US ont bloqué le salaire du Président Petro

Le chef d’État colombien a rencontré de graves difficultés pour accéder à sa rémunération après son inscription sur la liste noire du Trésor américain, selon son avocat dans une déclaration en fin du mois dernier. Une mesure rare qui brise des décennies d’alliance stratégique et illustre la puissance — et les limites — des outils de contrainte économique dans les relations internationales.

C’est une situation aussi inédite qu’embarrassante. Vers la fin du mois d’Octobre, l’information concernant de sérieuses difficultés de paiement du salaires du Président colombien Gustavo Petro, ont inondé les colonnes de médias internationaux et les réseaux sociaux. En cause : les sanctions américaines qui ont inscrit le dirigeant sud-américain sur la liste SDN (Specially Designated Nationals), réservée aux narcotrafiquants, terroristes et dictateurs accusés de violations graves des droits humains.

Selon les informations relayées par plusieurs médias internationaux dont CBS, les cartes bancaires et comptes en banque du président auraient été gelés, rendant même difficile la perception de son salaire de fonctionnaire. Ces déclarations émanent de Daniel Kovalik, l’avocat américain de Petro. À ce jour, ni le gouvernement colombien ni les autorités américaines n’ont confirmé officiellement si le salaire présidentiel a été effectivement versé ou bloqué depuis l’annonce des sanctions.

Une escalade sans précédent

L’administration Trump a frappé fort. Le département du Trésor américain accuse le président colombien d’avoir « permis l’expansion du commerce de la cocaïne » et d’avoir laissé « les cartels prospérer » dans son pays. Selon le secrétaire au Trésor Scott Bessent, « la production de cocaïne en Colombie a explosé à des niveaux records depuis l’arrivée au pouvoir de Gustavo Petro ». Les sanctions visent également l’épouse du président, son fils Nicolás Fernando Petro Burgos, et le ministre de l’Intérieur Armando Benedetti. Un message diplomatique d’une brutalité rare, surtout à l’égard d’un pays considéré jusqu’ici comme un allié stratégique des États-Unis.

Le mécanisme implacable des sanctions

L’inscription sur la liste SDN entraîne le gel de tous les avoirs aux États-Unis et interdit toute transaction avec des entités américaines. Dans un système financier mondialisé où les banques internationales maintiennent des liens étroits avec les institutions américaines, l’effet est dévastateur. Résultat concret : même le ravitaillement de l’avion présidentiel est devenu problématique. Lors d’une escale à Madrid en route vers l’Arabie saoudite, les autorités de l’aéroport de Barajas ont refusé de faire le plein. Il a fallu l’intervention du gouvernement espagnol pour permettre le ravitaillement sur une base militaire.

Un conflit qui dépasse le simple narcotrafic

Cette crise s’inscrit dans une escalade de tensions entre Washington et Bogotá qui dure depuis des mois. Le point de friction : les frappes navales américaines contre des embarcations suspectées de transporter de la drogue dans les Caraïbes et le Pacifique. Petro dénonce des « exécutions extrajudiciaires » et affirme que certaines victimes — au moins 37 morts depuis septembre — étaient de simples pêcheurs colombiens. « Ce ne sont pas des victimes de guerre », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux. « Ce sont des meurtres. »

L’administration Trump, elle, justifie ces opérations militaires par la nécessité de stopper le flux de cocaïne vers les États-Unis. Un porte-avions américain a même été déployé dans la région fin octobre, marquant une intensification sans précédent de la présence militaire américaine.

« Un paradoxe complet »

Gustavo Petro, ancien guérillero du M-19 devenu premier président de gauche de Colombie en 2022, conteste vigoureusement les accusations. « Lutter contre le trafic de drogue depuis des décennies et le faire efficacement m’apporte cette mesure de la part du gouvernement de la société que nous avons tant aidée à réduire sa consommation de cocaïne », a-t-il réagi. « Un paradoxe complet. »

Le président colombien défend sa politique de « paix totale », qui privilégie la négociation avec les groupes armés et les cultivateurs de coca plutôt que la répression militaire. Washington y voit un laxisme coupable. Bogotá y voit une approche pragmatique face à un conflit qui dure depuis six décennies.

Les dégâts collatéraux d’une arme politique

L’avocat de Petro, Daniel Kovalik, ne mâche pas ses mots : « Je pense que Trump s’en prend à tous ceux qui remettent en question les objectifs de la politique étrangère américaine. C’est une punition — un message à tous les dirigeants : alignez-vous, ou vous serez punis. » La mesure a déjà des effets en cascade. Toute entreprise ou gouvernement qui ferait affaire avec Petro risque lui aussi des sanctions. Le système financier international, par prudence, préfère éviter tout contact avec les personnes inscrites sur la liste noire américaine.

Un précédent rare qui rompt une alliance historique

Sanctionner un président en exercice d’Amérique latine n’est pas totalement inédit : Nicolás Maduro (Venezuela) et plusieurs hauts responsables nicaraguayens, dont la vice-présidente Rosario Murillo, figurent déjà sur la liste SDN depuis 2017-2018. Mais sanctionner le dirigeant d’un allié traditionnel constitue une rupture majeure. La Colombie, désignée « allié majeur hors-OTAN » par l’administration Biden en 2022, se retrouve traitée comme un État paria. Le gouvernement colombien a rappelé son ambassadeur de Washington.

Et maintenant ?

Daniel Kovalik a annoncé qu’il contestera les sanctions devant les tribunaux américains et le département du Trésor. Il estime qu’une solution pourrait émerger par la négociation diplomatique. Mais dans l’immédiat, le président d’un pays de 50 millions d’habitants rencontre des difficultés à accéder à son salaire — un symbole puissant de la portée et des limites de l’interventionnisme américain au XXIe siècle.

Une situation qui pose une question inconfortable : peut-on paralyser financièrement un chef d’État élu démocratiquement sans affaiblir la souveraineté même de son pays ? Pour Petro, la réponse est claire : « Pas un pas en arrière, et jamais à genoux. », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux en réponse aux sanctions américaines.

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