Complot contre Ibrahim Traoré : ce qui est reproché à Serge Mathurin Adou

Vendredi 21 novembre 2025, le tribunal de grande instance de Niamey a rendu son verdict. Serge Mathurin Adou, journaliste détenteur des nationalités ivoirienne et nigérienne, écope de deux ans d’emprisonnement ferme. L’accusation retenue : « atteinte à la sûreté de l’État ». Derrière cette formule juridique se cache une affaire aux ramifications régionales, mêlant soupçons de déstabilisation politique et tensions diplomatiques entre pays sahéliens.

Burkina Faso : Ahmed Kinda, l’homme au cœur des accusations contre le journaliste

Les faits reprochés au professionnel des médias remontent au mois d’août 2024. Les autorités burkinabè affirment que Serge Mathurin Adou aurait facilité le séjour à Niamey d’Ahmed Kinda, ancien commandant des forces spéciales du Burkina Faso. Ce militaire est présenté par l’accusation comme un élément central d’un projet visant à prendre d’assaut le palais présidentiel de Ouagadougou.

Concrètement, le journaliste aurait aidé cet ex-officier à trouver un hébergement dans la capitale nigérienne. Durant son procès, Serge Mathurin Adou a contesté la quasi-totalité des charges. Il reconnaît toutefois avoir orienté Ahmed Kinda vers un hôtel, mais assure n’avoir jamais eu connaissance de la véritable identité de cet individu ni de ses intentions supposées.

Le ministre burkinabè de la Sécurité, Mahamadou Sana, avait publiquement mis en cause le journaliste dès les semaines suivant son arrestation, l’accusant d’être impliqué dans « un complot » et « plusieurs tentatives de déstabilisation » visant son pays.

Le Burkina Faso a connu plusieurs annonces officielles de tentatives de renversement depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré en septembre 2022. En septembre 2023, les autorités ont affirmé avoir déjoué un putsch, quelques jours avant le premier anniversaire du coup d’État qui avait porté l’officier à la tête du pays. En janvier 2024, une quatrième tentative était annoncée, impliquant selon le gouvernement des militaires en fonction, des civils et des activistes. Plus récemment, en avril 2025, le ministre de la Sécurité a révélé un « grand complot en préparation » dont l’objectif aurait été de « semer le chaos total », avec un assaut prévu sur la présidence le 16 avril 2025. Ouagadougou pointe régulièrement du doigt la Côte d’Ivoire comme base arrière de ces tentatives de déstabilisation. C’est dans ce climat de suspicion persistante que l’affaire Serge Mathurin Adou a pris une dimension particulière.

Niger – Côte d’Ivoire : un journaliste pris dans les tensions régionales de l’AES

Installé au Niger depuis près de trois décennies, Serge Mathurin Adou avait acquis la nationalité nigérienne et exerçait au sein de la chaîne privée Canal 3 à Niamey. Sa disparition le 1er septembre 2024, après une convocation policière, avait d’abord semé l’inquiétude dans son entourage. Son épouse était restée sans nouvelles pendant plusieurs jours avant que les autorités ne confirment son interpellation.

L’inculpation formelle est intervenue le 11 novembre 2024. Le journaliste a ensuite été transféré dans un établissement pénitentiaire situé en province, à environ une centaine de kilomètres de la capitale. Selon le consul honoraire de Côte d’Ivoire au Niger, Victor Akpro Akessé, qui a suivi régulièrement la situation, le détenu occupait une cellule individuelle, accédait aux médias et son état de santé demeurait satisfaisant.

Le procès s’est tenu devant la chambre criminelle du tribunal de grande instance de Niamey. Trois juges professionnels et deux jurés ont rendu une décision unanime. L’avocat du journaliste, Me Ismaël Tahirou Aouta, a vivement contesté le dossier tout au long de la procédure.

Cette condamnation intervient alors que les relations entre Abidjan et Ouagadougou restent tendues depuis la prise de pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré en 2022. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, tous trois dirigés par des militaires, sont désormais unis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES). Pour les organisations de défense de la liberté de la presse, cette affaire soulève des interrogations sur les conditions d’exercice du métier de journaliste dans une région où les pressions politiques et les menaces judiciaires se multiplient.

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