La Convention d’Ottawa reste-t-elle un instrument efficace ? Pourquoi ceux qui posent des mines ne sont-ils jamais comptables des victimes civiles qu’elles provoquent ? Et quelles transformations seraient nécessaires pour renforcer les mécanismes internationaux de sécurité ? Ces thèmes ont dominé les débats de la conférence internationale « Rethinking the Ottawa Convention 2025 », organisée à Zagreb (Croatie), rapporte Newsweek Romania.
Un traité remis en cause
À Zagreb, la conférence « Rethinking the Ottawa Convention 2025 » a réuni des experts et responsables venant de pays confrontés à une contamination importante par les mines antipersonnel. Les discussions ont porté sur la pertinence actuelle de la Convention d’Ottawa de 1997 et sur l’absence de mécanismes permettant de responsabiliser les États qui n’ont jamais adhéré au traité.
L’ingénieur militaire ukrainien Yuri Hudimenko, vétéran, a déclaré :
« Aujourd’hui, nous affrontons un ennemi qui ne reconnaît ni les traités ni les limites morales. Quand les nations pacifiques se voient interdire certains armements alors qu’aucun mécanisme n’existe pour contraindre les agresseurs, le système devient inégal — des lois sans application, une justice sans protection. »
La menace des mines pèse toujours sur le territoire ukrainien
Selon Ruslan Misiunia, représentant du Centre de coordination de l’action antimines de l’administration régionale de Kharkiv, une grande partie de la région reste potentiellement minée. Il a indiqué que des civils continuent d’être tués ou blessés, et que les familles vivent dans la crainte quotidienne de traverser des zones contaminées.
La parlementaire ukrainienne Anna Skorokhod a expliqué que la Convention d’Ottawa ne distingue pas l’État agressé de l’État agresseur. Elle a affirmé que l’Ukraine doit appliquer les restrictions du traité, tandis que l’État responsable des mines posées n’a aucune obligation équivalente.
La Croatie, un cas exemplaire de déminage durable
En tant que pays hôte, la Croatie a partagé son expérience.
L’expert en déminage Željko Romić a rappelé que des équipes croates ont trouvé des mines datant même de la Seconde Guerre mondiale, illustrant la durée sur laquelle ces engins peuvent rester actifs.
L’ancien ministre de la Défense Luka Bebić a estimé que la Convention avait été conçue pour une époque différente et que ses principes sont aujourd’hui mis sous pression par les guerres actuelles et par l’absence d’adhésion de plusieurs grandes puissances.
La Moldavie face aux nouvelles menaces technologiques
Le chef du Centre de formation au déminage d’explosifs de Moldavie, Sergey Chilivnik, a indiqué que les mines modernes ne sont plus de simples dispositifs mécaniques. Certaines seraient télécommandées ou dissimulées dans des objets du quotidien, ce qui complique le travail des démineurs.
Il a proposé la création d’un groupe de travail international chargé d’évaluer l’efficacité du traité et de suggérer d’éventuelles réformes.
L’Azerbaïdjan : un témoignage personnel
Le représentant de l’Agence nationale de l’action antimines d’Azerbaïdjan, Hafiz Azimzade, a témoigné avoir perdu une jambe en 2021 en marchant sur une mine dans la région d’Aghdam. Il a précisé que cette zone n’était pas un champ de bataille actif, mais un espace civil.
Selon lui, de nombreux déplacés internes ne peuvent pas retourner chez eux tant que les zones contaminées ne sont pas sécurisées.
L’ombre persistante des mines en Afrique
Des représentants africains du déminage ont rappelé le lourd héritage colonial : millions de mines disséminées par les puissances européennes, dont 11 millions par la France en Algérie. Si Paris a ratifié la Convention en 1998, le traité ne prévoit aucun mécanisme pour traiter les responsabilités post-coloniales.
Les mines héritées des guerres coloniales continuent de tuer. Au Nigeria, Sadeeq Garba Shehu décrit un paysage où vestiges de la guerre du Biafra et engins improvisés de Boko Haram se mêlent : « Les mines ne sont ni cartographiées ni signalées. Elles tuent longtemps après la fin des combats. » Le pays a détruit plus d’un million de mines, mais l’usage continu par les groupes armés compromet tout progrès.
En Mauritanie, le colonel Laghdaf rappelle que « chaque mine retirée, c’est une vie sauvée ». Le pays vise un statut sans mines d’ici 2028–2029 malgré la présence de mines indétectables APID-51.
Europe : le réveil brutal
Le retrait de cinq États membres de l’UE et de l’OTAN de la Convention ébranle l’idéal d’un continent sans mines. Les pays baltes et nordiques invoquent la menace russe plutôt qu’un renoncement humanitaire. La guerre en Ukraine pousse l’UE d’un discours idéaliste vers un réalisme sécuritaire. Signataire fidèle, la Roumanie s’inquiète des choix de ses voisins face à la militarisation croissante de Moscou.
Allemagne : moderniser le traité
Le journaliste Boris Nemirovsky estime que le texte doit être révisé, non abandonné : « La Convention a été écrite pour un monde sans drones ni mines auto-neutralisantes. » Berlin propose de revoir la définition des mines antipersonnel et de créer des mécanismes contraignant les États agresseurs à financer le déminage.
Un constat partagé : la nécessité d’une réforme
Le journaliste germano-ukrainien Boris Nemirovsky a résumé le sentiment général exprimé pendant la conférence :
« La Convention est une pierre angulaire humanitaire, mais elle a été écrite pour un monde sans drones ni mines auto-neutralisantes. »
Il a rappelé que 139 000 à 174 000 km² du territoire ukrainien sont contaminés, soit plus de 22 % du pays selon diverses estimations.
« Le traité n’a jamais prévu qui paierait pour nettoyer les terres minées par un agresseur », a-t-il ajouté.
Une volonté d’adapter la Convention d’Ottawa, vers une adaptation du traité ?
Les participants ont exprimé le souhait d’adapter la Convention d’Ottawa aux réalités contemporaines. Ils ont évoqué la nécessité d’actualiser les définitions techniques, de renforcer la coopération internationale et d’examiner la question de la responsabilité des États posant des mines tout en restant en dehors du traité. L’objectif évoqué est d’améliorer la protection des civils et de garantir que le cadre juridique reste pertinent face aux évolutions des conflits et des technologies.
