Jeunesse béninoise et traditions: Rupture ou reinvention culturelle?

Au Bénin, les traditions ont longtemps constitué le socle de l’organisation sociale, de l’éducation et de la transmission des valeurs. Elles ont façonné les comportements, structuré les rapports intergénérationnels et donné sens à la vie collective. Pourtant, à l’heure de la mondialisation, du numérique et de l’ouverture culturelle, un fossé grandissant semble se creuser entre la jeunesse béninoise et les traditions héritées de leurs ancêtres. Si beaucoup de jeunes les jugent dépassées, rigides ou incompatibles avec la modernité, ce rejet global pose un problème majeur : le rejet des valeurs essentielles à leur épanouissement personnel et à leur développement social.

Pour une frange importante de la jeunesse béninoise, les traditions sont souvent associées à des contraintes, des interdits et des normes perçues comme archaïques. Elles évoquent l’autorité excessive des anciens, la limitation de la liberté individuelle, la marginalisation des femmes ou encore certaines pratiques jugées contraires aux droits humains. Dans les zones urbaines notamment, les jeunes préfèrent s’identifier à des modèles venus d’ailleurs, portés par les réseaux sociaux, la musique urbaine et les cultures occidentales ou afro-américaines. Le mode de vie traditionnel apparaît alors comme un frein à la réussite et à l’émancipation.

Cette perception, bien que compréhensible, conduit souvent à un rejet radical de l’héritage culturel. Beaucoup de jeunes ne font plus la distinction entre les traditions à questionner et celles à valoriser. Ils « jettent l’eau du bain avec le bébé », selon l’expression consacrée, en se coupant totalement d’un patrimoine qui pourrait pourtant nourrir leur identité et renforcer leur confiance en eux. Ce rejet s’accompagne parfois d’une méconnaissance profonde des traditions, transmises de moins en moins au sein des familles et rarement enseignées de manière adaptée.

Or, les traditions béninoises ne se résument pas à des pratiques figées ou à des croyances dépassées. Elles portent en elles des valeurs fondamentales telles que le respect de l’autre, la solidarité, la responsabilité collective, le sens du travail, la résilience et la dignité. Autant de principes qui peuvent aider les jeunes à faire face aux défis contemporains : chômage, précarité, perte de repères, violences sociales et crise de valeurs. En ignorant ces ressources culturelles, la jeunesse se prive d’outils précieux pour construire son avenir.

Le paradoxe est d’autant plus frappant que de nombreux jeunes recherchent, parfois inconsciemment, ce que les traditions peuvent offrir. L’engouement pour certaines fêtes culturelles, le retour à la musique traditionnelle revisitée, l’intérêt croissant pour les langues nationales ou encore la valorisation du patrimoine immatériel témoignent d’un besoin d’enracinement. Cependant, ce retour reste souvent superficiel, plus esthétique que philosophique, sans réelle appropriation des valeurs profondes qui fondent ces pratiques.

Des responsabilités partagées

La responsabilité de ce fossé ne repose pas uniquement sur les jeunes. Les anciens et les institutions traditionnelles ont parfois contribué à figer les traditions, les présentant comme intouchables et incompatibles avec toute remise en question. Ce manque d’adaptation aux réalités contemporaines rend le dialogue intergénérationnel difficile. Lorsque les traditions sont imposées sans explication ni contextualisation, elles perdent leur sens et deviennent sources de rejet plutôt que de transmission.

Face à ce constat, la nécessité d’un nouveau regard s’impose. Il ne s’agit ni de sacraliser les traditions ni de les abolir, mais de les relire à la lumière des réalités actuelles. Les jeunes doivent être encouragés à puiser dans leur patrimoine culturel les valeurs utiles à leur épanouissement, tout en rejetant les pratiques incompatibles avec les droits humains et l’égalité. Cette démarche critique et constructive permettrait de concilier modernité et enracinement.

L’école, les médias et les acteurs culturels ont un rôle clé à jouer dans ce processus. En valorisant les traditions sous un angle pédagogique, dynamique et créatif, ils peuvent aider la jeunesse à se réapproprier son héritage. Les traditions ne doivent plus être perçues comme un poids du passé, mais comme une source d’inspiration pour bâtir l’avenir.

En définitive, le difficile rapprochement entre la jeunesse béninoise et les traditions révèle une crise identitaire plus profonde. Rejeter aveuglément l’héritage culturel revient à se priver de repères essentiels. Le défi pour la jeunesse béninoise n’est donc pas de choisir entre tradition et modernité, mais de réussir à les réconcilier, afin de construire une identité équilibrée, ancrée et ouverte sur le monde.

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