Malgré des avancées notables à l’échelle mondiale, la lutte contre le paludisme marque le pas en Afrique. Le rapport 2025 sur le paludisme dans le monde dresse un constat contrasté. Si 2,3 milliards de cas et 14 millions de décès ont été évités depuis 2000, la maladie continue de faucher des centaines de milliers de vies chaque année, principalement sur le continent africain. En 2024, le monde a enregistré environ 282 millions de cas et 610 000 décès, en légère hausse par rapport à 2023. L’Afrique concentre à elle seule 94 % des cas et 95 % des décès.
La propagation de la résistance aux antipaludiques fragilise l’arme thérapeutique principale contre la maladie. En 2024, 11 pays africains ont concentré près des deux tiers de la charge mondiale du paludisme : le Burkina Faso, le Cameroun, la République démocratique du Congo, le Ghana, le Mali, le Mozambique, le Niger, le Nigéria, le Soudan, l’Ouganda et la Tanzanie. La RDC, l’Éthiopie, le Mozambique, le Nigéria et l’Ouganda représentent à eux seuls plus de la moitié des cas mondiaux.
Si l’incidence et la mortalité ont reculé lentement depuis 2017 dans ces pays, les résultats restent largement en deçà des objectifs fixés par l’Oms. En 2024, l’incidence mondiale est de 64 cas pour 1 000 personnes exposées, soit plus de trois fois le seuil requis pour atteindre les cibles de 2025. La mortalité, avec 13,8 décès pour 100 000 personnes, dépasse elle aussi largement l’objectif mondial. Les enfants paient le plus lourd tribut. En Afrique, 75 % des décès touchent les moins de cinq ans.
La pharmacorésistance, une bombe à retardement
La résistance aux médicaments antipaludiques est aujourd’hui identifiée comme l’une des plus grandes menaces pour l’élimination du paludisme. L’histoire récente rappelle combien ce danger est réel. La chloroquine et la sulfadoxine-pyriméthamine, autrefois efficaces, ont vu leur impact s’effondrer après l’apparition de résistances. Aujourd’hui, l’inquiétude se cristallise autour des traitements à base d’artémisinine, piliers de la prise en charge moderne du paludisme. Des mutations du gène PfKelch13 du parasite Plasmodium falciparum, associées à une résistance partielle à l’artémisinine, se multiplient en Afrique. Une résistance confirmée est déjà documentée en Érythrée, au Rwanda, en Ouganda et en Tanzanie. Elle est présumée en Éthiopie, en Namibie, au Soudan et en Zambie. Dans certaines zones à forte transmission, notamment en Ouganda, plus de la moitié des parasites testés présentent ces mutations. Si les combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine restent globalement efficaces, les experts alertent sur une pression croissante sur les médicaments associés comme la luméfantrine et l’amodiaquine. Le risque est de voir se refermer l’étau thérapeutique, faute d’alternatives suffisantes.
Le rôle ambivalent du secteur privé
Dans plusieurs pays africains, plus de 60 % des enfants atteints de fièvre sont soignés dans le secteur privé, notamment au Bénin, au Cameroun, au Tchad, en RDC et au Gabon. Ce recours massif élargit l’accès aux soins, mais il favorise aussi la résistance lorsque les pratiques dérapent : tests diagnostiques insuffisants, traitements présomptifs, cures incomplètes et circulation de médicaments de qualité douteuse. Ces failles créent un terrain propice à l’émergence et à la propagation de parasites résistants, compromettant les efforts de santé publique.
Insecticides, moustiques et menaces biologiques
Au-delà des médicaments, la résistance touche aussi les moustiques. L’efficacité des moustiquaires imprégnées d’insecticides est aujourd’hui fragilisée par la résistance aux pyréthroïdes, désormais confirmée dans 48 des 53 pays concernés entre 2020 et 2024. Ces moustiquaires avaient pourtant contribué à réduire de 70 % les cas entre 2000 et 2015.
L’autre menace grandissante est l’expansion du moustique invasif Anopheles stephensi, capable de prospérer en milieu urbain et de résister à de nombreux insecticides. Déjà signalé dans neuf pays africains, il représente un nouveau risque de flambées urbaines.
Des vaccins prometteurs, mais encore insuffisants
L’introduction des vaccins contre le paludisme marque un tournant. En 2024, 17 pays les avaient déjà intégrés à leurs programmes et plus de 10,5 millions de doses avaient été livrées par l’Unicef. Le vaccin Rts,S a permis de réduire de 13 % la mortalité toutes causes confondues chez les enfants ciblés et de 22 % les hospitalisations pour paludisme grave. Mais ces progrès restent freinés par des défis logistiques, financiers et d’accès équitable.
Un combat aussi financier
En 2024, seuls 3,9 milliards de dollars ont été mobilisés pour la lutte contre le paludisme, alors que les besoins s’élèvent à 9,3 milliards. Le déficit dépasse donc 5 milliards de dollars. La baisse récente de l’aide publique au développement, notamment liée au recul du soutien américain, a fragilisé les systèmes de surveillance, retardé des campagnes et accru les risques de rupture de stock.
Même si certains financements ont été partiellement rétablis, la dépendance à l’aide extérieure demeure un talon d’Achille.
L’élimination est possible, mais sous conditions
Pendant que l’Afrique peine, la sous-région du Grand Mékong offre un signal d’espoir. Entre 2015 et 2024, les cas de paludisme à P. falciparum y ont reculé de près de 90 %, grâce à une surveillance renforcée, un leadership fort et des réponses rapides à la résistance aux médicaments. Le Cambodge, le Laos et le Vietnam sont aujourd’hui aux portes de l’élimination. Cette réussite prouve que même dans les zones historiquement touchées par la pharmacorésistance, la victoire est possible à condition d’agir vite, fort et de manière coordonnée.
Face à l’augmentation des cas, à la résistance des parasites, à l’extension de nouveaux moustiques et à la fragilité des financements, la lutte contre le paludisme en Afrique entre dans une phase critique. Derrière les statistiques, ce sont surtout des milliers d’enfants qui attendent que la science, les financements et les États gagnent la course contre le parasite.



