Dix jours après les secousses qui ont ébranlé les fondements de la République, le président Patrice Talon a rompu le silence. Dans un exercice de redevabilité très attendu au Palais de la Marina, le chef de l’État s’est livré à une double opération de clarification : d’une part, lever le voile sur les coulisses de la tentative de mutinerie du 7 décembre, et d’autre part, défendre la nouvelle architecture constitutionnelle du pays, marquée par l’instauration du septennat et d’un Sénat.
C’est un homme marqué, mais ferme, qui s’est présenté devant les professionnels des médias ce jeudi. D’emblée, Patrice Talon n’a pas caché l’impact émotionnel des récents événements. «Je vais bien, même si mon moral a pris un petit coup. Je suis peiné pour l’image que ceux-là donnent de notre pays », a-t-il confié avec sincérité, demandant aux journalistes de rassurer la jeunesse béninoise sur son état de santé et sa détermination.
Le président a tenu à déconstruire le récit d’un soulèvement généralisé au sein des forces armées. Selon ses révélations, l’attaque n’était nullement le fait de l’institution militaire dans son ensemble. « Ce n’est pas la Garde Nationale qui a opéré l’attaque… ce n’est ni le commandement, ni le sous-commandement », a-t-il martelé. Pour lui, il s’agit de l’œuvre de « quelques égarés, manipulés par des nostalgiques et des jaloux ».
Les coulisses du 7 décembre et la mise en garde contre la célébration du crime
Le chef de l’État a apporté des précisions tactiques sur le déroulement de la crise au camp de Togbin. On apprend ainsi que le noyau dur des mutins ne dépassait pas 15 à 20 individus. Ces derniers auraient entraîné avec eux de jeunes soldats en formation, dépassés par les événements.
L’anecdote la plus frappante reste l’échange téléphonique entre le Commandant de la Garde Nationale et le lieutenant-colonel Pascal Tigri, juste avant la fuite de ce dernier. Prenant conscience de l’échec de son entreprise et de la puissance de feu de la riposte légaliste, Tigri aurait lancé un cri de détresse : « Nous vous prions de ne pas nous bombarder ». Cette reddition psychologique explique, selon le président, pourquoi les mutins ont pris la fuite à moto ou escaladé des murs, abandonnant leurs armes dans les bas-fonds pour éviter une confrontation sanglante que le pouvoir a délibérément choisi de ne pas engager.
Patrice Talon a profité de cette tribune pour adresser une mise en garde sévère à l’opinion publique et aux utilisateurs des réseaux sociaux. « Se réjouir d’un crime est condamnable. On ne peut pas applaudir publiquement un crime, ni se réjouir publiquement d’un crime… », a-t-il déclaré, soulignant que de tels comportements menacent la cohésion nationale et banalisent la violence politique.
La révision constitutionnelle et le septennat
Le second volet de cette rencontre portait sur la promulgation, intervenue la veille, de la loi modifiant la Constitution. Le Bénin tourne la page du quinquennat pour embrasser le septennat, tout en créant un Sénat.
Face au scepticisme d’une partie de la classe politique, Patrice Talon a plaidé le pragmatisme. Pour lui, le cycle de cinq ans est structurellement inadapté aux besoins de développement d’un pays en construction comme le Bénin. « En cinq ans, tout ce qui se fait, c’est dans la précipitation », a-t-il argué.
Il a cité en exemple des projets d’envergure qui, malgré dix ans de pouvoir, se heurtent à la lourdeur des études techniques et des contre-expertises telles que la réinvention de la cité lacustre de Ganvié ; la relocalisation du marché Dantokpa ; le bitumage des axes routiers stratégiques, le nouveau siège de l’Assemblée nationale etc…
L’exception béninoise face aux modèles occidentaux
Répondant aux critiques comparant le Bénin à la France ou au Canada, le chef de l’État a rejeté tout mimétisme aveugle. « Là-bas, les citoyens ne demandent pas d’eau, de routes, d’écoles. Ces besoins sont comblés depuis longtemps. Ils débattent de confort de vie. Nous, nous faisons un saut dans l’avenir avec des besoins qui datent du Moyen Âge »
Patrice Talon a conclu ce chapitre en assurant que cette réforme n’était pas un calcul personnel pour s’éterniser au pouvoir, mais un héritage institutionnel : « Ce n’est pas à mon profit. Ce sera au profit du Bénin ».
Un cap maintenu malgré la tempête
Le portrait qui se dessine est celui d’une présidence qui refuse de se laisser distraire par les soubresauts sécuritaires. En liant la sécurité (la gestion de la mutinerie) à la réforme structurelle (le septennat), Patrice Talon tente de démontrer que la stabilité du pays passe par des institutions fortes et un temps politique raisonnable.
Si le calme est revenu, l’enquête suit son cours pour identifier les « manipulateurs » tapis dans l’ombre. Le Bénin, tout en pansant ses plaies morales, s’apprête désormais à expérimenter une nouvelle ère républicaine sous l’égide de sa Constitution rénovée.


