Sécurité et rivalités : comment l’Afrique devient un terrain de compétition géopolitique

L’Afrique est au cœur d’un mouvement stratégique d’une ampleur rarement observée depuis la fin de la guerre froide. Multiplication des bases militaires étrangères, diversification des alliances, retrait partiel d’acteurs historiques, montée de nouvelles puissances : le continent devient un espace où se croisent ambitions sécuritaires, intérêts économiques et rivalités globales. Cette recomposition silencieuse, mais profonde, redéfinit les équilibres régionaux et soulève une question centrale : jusqu’où l’Afrique peut-elle garder la maîtrise de son propre agenda stratégique ?

Un recul relatif de certains acteurs traditionnels

Pendant plusieurs décennies, les partenariats militaires africains étaient principalement dominés par les puissances occidentales. Mais ces dernières années, plusieurs facteurs ont contribué à affaiblir cette présence : crise sahélienne, critiques contre l’efficacité des opérations antiterroristes, perception de politiques intrusives, et changements politiques internes dans certains pays.

Ce retrait relatif a ouvert un espace pour une diversification des alliances. La volonté de nombreux gouvernements africains de redéfinir leurs partenariats reflète une tendance lourde : reprendre la main sur leur souveraineté stratégique, en recherchant des partenaires jugés plus flexibles ou plus en phase avec leurs priorités immédiates.

Montée de nouveaux acteurs : Russie, Chine, De nouveaux acteurs qui avancent leurs pions

Parmi les évolutions les plus commentées figure l’offre faite par le gouvernement soudanais à la Russie pour établir une base navale en mer Rouge. Comme nous l’avons rapporté dans un précédent article en citant le Wall Street Journal, Khartoum a proposé un accord de 25 ans permettant à Moscou d’installer ce qui deviendrait sa première base navale en Afrique. L’accord n’est toutefois pas finalisé et reste suspendu dans un contexte de guerre civile au Soudan. D’un autre côté, la Chine, déjà très implantée sur le plan économique, dispose depuis 2017 d’une base militaire à Djibouti. Elle y mène officiellement des missions de soutien logistique et de lutte contre la piraterie. Sa présence s’inscrit dans une stratégie plus large d’accès aux routes maritimes et de consolidation de son influence en mer Rouge.

La Turquie quant à elle s’est imposée comme un acteur majeur dans la Corne de l’Afrique. À Mogadiscio, elle dispose d’un grand centre d’entraînement militaire inauguré en 2017, où elle forme des unités somaliennes et participe au renforcement des capacités locales face à la menace d’Al-Shabaab. Ankara ne limite pas sa présence à la Somalie : elle est devenue l’un des exportateurs d’armement les plus dynamiques du continent. Plusieurs pays africains ont acquis du matériel militaire turc — drones, véhicules blindés, équipements de défense — dans le cadre de contrats qui s’inscrivent dans l’essor rapide de l’industrie turque de l’armement.
Ces ventes renforcent l’influence d’Ankara, sans pour autant signifier une présence militaire directe dans les pays concernés.

Zones sous haute pression stratégique

La mer Rouge concentre une présence militaire extérieure unique au monde. Djibouti accueille des bases américaines, chinoises, françaises, japonaises et italiennes. Les pays du Golfe y multiplient aussi les investissements portuaires. L’éventuel accord entre le Soudan et la Russie a également attiré l’attention sur cette zone vitale pour le commerce international. Les changements politiques récents et les ruptures d’alliances ont transformé la carte sécuritaire au Sahel. Face à l’insécurité persistante, plusieurs États cherchent désormais de nouveaux partenaires, redéfinissant leur stratégie à mesure que se retirent certaines forces internationales.

Corne de l’Afrique : influences croisées

Entre ambitions éthiopiennes, enjeux soudanais, présence turque, base chinoise et intérêts américains, la région est devenue un lieu de compétition diplomatique et stratégique intense. La diversification des alliances offre aux États africains de nouvelles marges de manœuvre. Plusieurs gouvernements utilisent la concurrence entre puissances pour obtenir des conditions jugées plus avantageuses, que ce soit en matière d’équipement militaire, de financements ou de coopération technique. Mais cette dynamique comporte aussi des risques : fragmentation des stratégies régionales de sécurité, multiplication d’agendas étrangers parfois contradictoires, ou encore concessions stratégiques accordées dans des contextes politiques fragiles.

Mais des risques réels de dépendances nouvelles

Cette diversification comporte néanmoins des risques :

  • fragmentation des stratégies régionales de sécurité ;
  • superposition d’acteurs étrangers aux agendas parfois contradictoires ;
  • possibilité de concessions stratégiques importantes en période d’instabilité interne ;
  • exposition accrue aux rivalités entre grandes puissances.

Dans certains cas, des gouvernements fragilisés peuvent accorder des avantages considérables à un partenaire extérieur en échange d’un soutien militaire ou financier immédiat, compromettant la souveraineté à long terme.

La question centrale : quelle souveraineté stratégique pour l’Afrique ?

Face à cette recomposition, l’enjeu majeur devient la maîtrise africaine du jeu. La souveraineté stratégique implique :

  • une meilleure coordination régionale ;
  • une vision commune de la sécurité ;
  • des institutions plus fortes pour encadrer les coopérations ;
  • une transparence accrue dans les accords militaires et économiques.

Car si l’Afrique est convoitée, elle n’est pas condamnée à être un simple théâtre d’influence.
Sa démographie, ses ressources et sa position géographique en font un acteur incontournable.
Reste à transformer ces atouts en pouvoir réel.

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