Dans un contexte sécuritaire de plus en plus exigeant, la prolifération des systèmes de vidéosurveillance au Bénin, qu’ils soient publics ou privés, est un phénomène notable. Des banques aux petits commerces, en passant par les résidences et les espaces publics, les caméras se multiplient. Pourtant, cette course à la sécurité par l’image se déroule bien souvent dans l’angle mort de la loi, exposant les citoyens à des violations de leurs droits et les responsables d’installations à de lourdes sanctions. Le véritable danger aujourd’hui n’est pas l’absence de législation, mais l’ignorance massive de ses dispositions.
L’installation de la vidéosurveillance en République du Bénin est pourtant strictement encadrée par une loi et son texte d’application clé, le Décret n°2017-077 du 10 février 2017. Ces textes établissent un équilibre délicat entre l’impératif de sécurité et le respect fondamental de la vie privée et des données personnelles.
L’Autorité de protection, un rempart méconnu
L’organisme central de ce dispositif légal est l’Autorité de Protection des Données Personnelles (APDP). Toute personne physique ou morale qui installe un système de vidéosurveillance est soumise à une formalité préalable auprès de l’APDP, même si le système n’enregistre pas ou ne stocke pas directement les images. Cette obligation, qui prend la forme d’une déclaration ou d’une demande d’autorisation selon la complexité et le type de caméras, est le premier point de non-conformité relevé dans le pays.
Beaucoup d’installateurs, et pire encore, de responsables de traitement (particuliers, gérants de magasins, entreprises) ignorent purement et simplement cette obligation légale. Ils croient qu’un achat de matériel est suffisant, alors qu’ils mettent en place un traitement de données à caractère personnel qui nécessite l’avis favorable de l’APDP avant la mise en service des caméras.
La loi distingue d’ailleurs deux notions : la vidéosurveillance pour les lieux privés ouverts ou non au public (bureaux, hôtels, commerces) et la vidéoprotection pour les dispositifs installés sur la voie publique pour le compte de l’État ou d’une collectivité. Dans ce dernier cas, une autorisation est requise auprès des autorités préfectorales compétentes, après aval du Conseil Municipal, garantissant une validation locale et démocratique de l’atteinte à l’espace public.
Les atteintes flagrantes à la vie privée
L’ignorance des règles ne se limite pas aux formalités administratives ; elle touche au cœur de la vie privée et de la liberté individuelle. Le Code du Numérique impose un principe de proportionnalité et de finalité. Les caméras doivent avoir pour unique objectif la sécurité, la prévention ou la constatation des infractions, et ne doivent pas être utilisées à des fins d’espionnage.
Plusieurs interdictions sont systématiquement bafouées par méconnaissance telles que les zones interdites et le son proscrit
En effet, il est strictement interdit de filmer les lieux privés d’autres bâtiments adjacents, ainsi que les zones considérées comme profondément privées au sein même des entreprises ou commerces, telles que les cabines d’essayage, les toilettes, les sanitaires et les vestiaires. L’enregistrement du son par les caméras de vidéoprotection est interdit. Un point qui échappe souvent aux installateurs de kits tout-en-un.
En milieu professionnel, les règles sont encore plus strictes. Les caméras ne peuvent pas filmer les employés sur leur poste de travail de manière permanente, sauf dans des circonstances très particulières (par exemple, un caissier manipulant de l’argent, et même là, la caméra devrait privilégier la caisse plutôt que la personne). De plus, toute installation doit faire l’objet d’une information préalable aux employés et d’une consultation des instances représentatives du personnel.
Le manque de transparence
Un autre maillon faible de la chaîne de conformité est le défaut d’information et de transparence. La loi béninoise oblige le responsable de traitement à signaler le dispositif au public. Ce signalement ne se résume pas à un simple panneau : il doit comporter le pictogramme d’identification de l’APDP, indiquer les modalités d’accès aux images (service à contacter), la durée de conservation des données, et les droits dont disposent les personnes filmées (droit d’accès, d’effacement, d’opposition).
De même, le responsable doit tenir un registre des activités de traitement d’images et/ou sons pour la disposition de l’APDP, un outil de traçabilité et de bonne gestion souvent ignoré. Ces obligations de transparence sont essentielles pour que le citoyen puisse exercer son droit à l’image et vérifier la régularité de l’installation.
Des sanctions qui pèsent lourd
L’ignorance de la loi n’est pas une excuse et les risques encourus par les contrevenants sont considérables. La loi prévoit un arsenal de sanctions pour non-respect des formalités préalables ou détournement de finalité.
Les sanctions administratives de l’APDP peuvent aller jusqu’à l’injonction de cesser le traitement et le retrait définitif de l’autorisation. Mais les conséquences peuvent être bien plus graves. En cas d’infraction avérée, les peines peuvent atteindre un emprisonnement de six mois à dix ans et une amende de dix millions à cinquante millions de francs CFA. Même la simple négligence dans le non-respect des formalités préalables peut entraîner une amende de cinq millions à cinquante millions de francs CFA. L’urgence est donc à la vulgarisation de ce cadre légal.
Le développement de la vidéosurveillance au Bénin est un progrès pour la sécurité, mais il ne peut se faire au détriment des libertés. Seule une prise de conscience collective et un engagement accru des responsables à se conformer aux exigences permettront de garantir un équilibre juste et légal entre la sécurité et le respect de la vie privée. Il est temps de sortir de l’angle mort et de faire de la conformité la norme.



