Costume cravate et bagarre de caniveau
Dans le vocabulaire Fon, quand deux adultes aux nez criblés de poils se cognent dessus, on parle rarement de bagarre. Il ne viendrait, en effet, à l’idée de quiconque surprenant telle scène d’utiliser ce terme. Car, deux hommes qui se revendiquent comme tels, être pensants et qui, au surplus, sont des pères de famille, ne pourraient jamais s’abaisser à un tel acte : se déglinguer le museau devant témoins comme de vulgaires chiffonniers. Et s’ils en arrivent là, c’est qu’il s’agit d’un accident regrettable, un moment d’égarement passager à ranger au plus vite dans la poubelle des conneries. « Les choses rencontrent l’homme, mais l’homme ne plie pas », que disent justement les Fons.
D’ailleurs, à ce propos, les métaphores existent pour qualifier ces situations : on dira par exemple que « deux adultes se sont échangés des gestes nerveux ». Mieux, on trouvera même qu’«ils ont jeté les bras de part et d’autre ». Oui : la respectabilité exige que l’on use ces litotes pour excuser ces petits débordements inattendus.
Mais lorsqu’il s’agit de bagarre de haut voltige, d’un pugilat provoqué et entretenu par des députés, des hommes dits « honorables » – c’est-à-dire des gens qui n’ont pas l’habitude de se moucher avec le coude – aucune métaphore, aucun jeu de mot, si littéraire soit-il, ne pourrait camoufler le fait, ni en édulcorer la gravité.
Car, il est question bel et bien ici d’« honorables », donc des hommes d’honneur et de paroles sensés connaître la mesure, capables de se hisser au-dessus de la merde ambiante. En plus, sucre sur le beignet, il s’agit de Saka Fikara et de Djibril Debourou, deux des plus anciens du parlement, donc connaissant les usages de l’auguste assemblée. Quelle mouche tsé-tsé les a donc piqués ? Pourquoi ont-ils laissé au vestiaire leurs costumes d’honorables sensés les préserver d’un tel acte ?
Quand Golfe Télévision les a interrogés, les deux boxeurs ne se sont pas gênés pour étaler leurs vacuités aussi bien morales qu’intellectuelles. « Il a dit que que j’ai dit que… », « il a traité mon président de n’importe quoi », « moi je ne peux pas accepter qu’on traite mon président de n’importe quoi », « je lui ai dit que s’il ne me tape pas qu’il est un bâtard », « moi je ne peux pas laisser dire que je suis un bâtard », « il a dit qu’on va se voir à la sortie, et moi j’ai dit que… ». Oui, des passés composés pas composés pour un sou avec des députés complètement décomposés.
Questions : notre parlement serait-il devenu une cour de récréation où les mauvais élèves, les croûtes désespérées de la classe, se retrouvent pour échanger des coups de poing ? L’assemblée nationale, deuxième institution de l’Etat est-elle devenue si exsangue en débats d’idées que ses locataires sont obligés de se casser le nez ?
Il y a peu, c’était à l’intérieur du bureau de la même institution que l’on avait frôlé le pire. Un malabar, bien campé sur ses aises, avait promis à une dame toute aussi bavarde, de lui refaire le portrait si elle continuait de le tourner en bourrique. La tension, paraît-il, a culminé au-dessus de vingt deux degrés, et n’eussent été les interventions des autres membres du bureau, peut-être que la députée rieuse serait toujours en train de panser ses blessures à l’hôpital, au frais du contribuable.
Et que dire de ce concert auquel certains honorables ont soumis l’hémicycle la semaine dernière ? Concert de tam-tam improvisé sur les tables, Tijani Serpos jouant au talking-drum, Epiphane Quénum lui servant de Groka tandis que Ahouanvaébla et les autres, se contentant d’un accompagnement tout aussi tambouriné… Le marché de Dantopka, à ses heures de pointe, n’est nullement si bruyant.
Jamais, depuis son installation en 1991, le parlement béninois ne s’est, à ce point, clochardisé. Peut-être qu’il a décidé de nous montrer ce que dix-sept années de pratique démocratique lui ont permis de devenir ; peut-être qu’il ne révèle en définitive ce que nous avons toujours refusé d’admettre durant ces dernières années : un club de voyous. Des voyous tristes et retors. En costume cravate certes, mais des voyous quand même.
Flippant.
Florent COUAO-ZOTTI
(couao64.unblog.fr)