Dans le cadre d’une conférence spirituelle

Edem Kodjo à Cotonou dimanche prochain
L’ancien premier ministre et ancien Secrétaire général de l'Organisation de l’unité africaine (aujourd’hui Union africaine), Edem Codjo sera de passage au Bénin ce week-end. Il vient pour animer une conférence sur le thème: «Les conditions spirituelles et éthiques du développement intégral de l’homme.» La rencontre est placée sous la tutelle de l’Aumônerie des cadres et personnalités politiques du Bénin. Elle se tiendra le dimanche, dans la matinée, au Centre international de conférences de Cotonou. Elle démarrera effectivement à 08h 30 par une prière et méditation sur l’Evangile selon Saint Mathieu, le chapitre 22, du verset 15 au 21ème. Thème de la méditation: «Dieu et César: Exigences spirituelles du pouvoir politique.» A 09 heures, la conférence proprement dite commencera. Elle sera clôturée à midi par un office religieux célébré en l’honneur de la Nation béninoise.
Faisant d’une pierre deux coups, le conférencier saisira l’occasion pour procéder à des dédicaces de son roman intitulé «Au commencement était le glaise». Un ouvrage qu’il a publié en mars 2004 aux Editions de la Table Ronde en France. Guy Ossito Midiohouan, critique littéraire et professeur de Lettres à l’Université d’Abomey-Calavi, en a fait une très enrichissante présentation. Fortuné Sossa

Portrait
Edem Kodjo, romancier

Guy Ossito MIDIOHOUAN

On le connaissait comme homme politique togolais depuis plus de 30 ans, ancien secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine (de 1978 à 1984), auteur de deux essais remarqués sur l’évolution politique et économique de l’Afrique (Et demain l’Afrique, Paris, Stock, 1985) et du monde (L’Occident du déclin au défi, Paris, Stock, 1988). Avec Au commencement était le glaive, roman paru en mars 2004 aux Editions de la Table Ronde à Paris, Edem Kodjo nous révèle, à 66 ans, une nouvelle facette de ses talents d’esprit exceptionnellement doué. Dans l’« avertissement » liminaire, il précise (à l’attention de ceux qui pourraient prendre des vessies pour des lanternes et s’en offusquer au point de lui chercher noise) : « Cet ouvrage est un roman, c’est-à-dire une pure fiction, imaginée par l’auteur. Toute ressemblance des personnages avec des hommes et des femmes vivant ou ayant existé ne peut être que fortuite ». Il reste que pour le lecteur averti, Au commencement était le glaive traduit la vision désenchantée d’un observateur attentif de la vie politique africaine et l’humanisme inquiet d’un intellectuel chrétien, tout en offrant à son auteur l’occasion sans doute rêvée d’expérimenter, avec une sensibilité littéraire peu commune, la liberté créatrice de l’artiste.

Une vision désenchantée de la vie politique africaine

Où situer exactement le royaume de Soumérina ? Dans la région des Grands Lacs, comme Edem Kodjo semble vouloir le faire croire dans une interview récente ? Ou en Afrique de l’Ouest, dans le Golfe de Guinée ? Enfin, peu importe ; car il y a autant d’éléments qui inclinent vers une région  que vers une autre. En fait, l’intention est moins de présenter l’exemplarité d’un cas réel, singulier et identifiable que de synthétiser en une parabole cataclysmique les principaux traits caractéristiques du destin commun des pays d’Afrique noire, particulièrement au cours de ces vingt dernières années.

Après dix ans d’un règne relativement calme sur le Soumérina, un « pays-aimé-des-dieux », Saloum Cheikh Saleh doit faire face à une tension inouïe entre les deux ethnies rivales du royaume. La dynastie des Hamouris, ethnie minoritaire dont il est le descendant, impose depuis deux siècles, par la guerre et la répression, sa tyrannie aux Bamounas, majoritaires, qui fournissent, quoique dominés, l’essentiel de l’élite. Deux siècles de sang répandu. Deux siècles de préjugés, de suspicion, de mépris, de haine. Deux siècles de revanche ruminée par les Bamounas qui, de génération en génération, ne désespèrent pas de briser le joug des oppresseurs, et semblent plus déterminés que jamais depuis qu’ils ont réussi à se donner un leader en la personne de Chafou le Terrible.

D’ailleurs désormais, à son insu, et cela jusqu’au moment fatidique où il se verra brutalement confronté à la nécessité d’abdiquer et de partir en exil, Saloum Cheikh Saleh perd progressivement la direction des événements qui se précipitent comme en une avalanche, toujours plus tragiques, au profit de son fils Makalao, farouche partisan de la manière forte.

 Chafou le Terrible et ses sicaires contre Makalao le-prince-de-la-nuit et ses soldats, voilà l’ordre de bataille.

L’univers du roman s’ordonne selon la configuration d’un pavé mosaïque au niveau de l’espace physique et psychologique, au niveau des collectivités, au niveau des personnages. Comment y trouver le chemin ténu et ardu vers l’équilibre et l’harmonie ?

Dans le camp des Hamouris comme dans celui des Bamounas, ceux qui mènent effectivement le jeu, ceux qui se montrent capables, par leurs paroles et leurs actes, d’infléchir le sort de leurs compatriotes, ce sont les personnes les plus frustres, les fanatiques jusqu’au-boutistes de la violence, qui finissent par s’anéantir réciproquement après avoir conduit, par leur hystérie démoniaque, le pays à la destruction.

Le lecteur est introduit, sans rémission, dans une logique d’affrontement, entre les deux ethnies rivales, bien sûr, mais également, au sein d’une même ethnie, entre des individus ou des groupes d’individus dont les uns, majoritaires, sont fascinés par tout ce qui ressortit à l’animalité, à l’instinct, à la passion aveugle, à la brutalité, aux intrigues, à la manipulation, au viol et à la fornication, pendant que les autres, hélas minoritaires, prônent en vain des valeurs telles que l’humanité, la raison, l’intelligence, l’instruction, l’ouverture d’esprit, l’amour et le dialogue. Tout le drame du Soumérina se résume en la prépondérance, chez les Hamouris autant que chez les Bamounas, des forces du mal qui revendiquent pour chacune des deux ethnies (mais en réalité dans l’intérêt égoïste de quelques personnes dégénérées) l’exclusivité du pouvoir politique. Aussi celui-ci n’est-il plus un moyen de gestion de la cité en vue de l’épanouissement du citoyen. Le pouvoir absolu apparaît comme un monstre anthropophage, sans loi morale (puisque la fin justifie les moyens les plus ignobles), n’obéissant qu’à son autotélisme implacable et funeste, et qui, en définitive, conduit dans une impasse, à l’absurde.

Malgré les risques de marginalisation, d’exclusion, voire d’élimination physique, les représentants des forces positives ( Mankan, Ranassom, Fantamadia Funlayo, Immaculée Kagerassa, Idelfonse Mfuni, Aznari, Massiamé) refusent de se laisser aller au fatalisme et à la déréliction. Le roman doit à leur volontarisme têtu d’échapper au désespoir et d’ouvrir une voie sur l’avenir. On peut considérer ce refus du nihilisme comme l’une des expressions de l’humanisme inquiet de l’auteur qui s’affirme comme un homme de foi et un intellectuel chrétien.

L’humanisme inquiet d’un intellectuel chrétien

    Comment ne pas voir dans l’éruption du volcan Moromoro la manfestation de la colère de Dieu ? Pour confronter les hommes les plus puissants et les plus fous à leurs propres limites, le romancier a recours à une force transcendante, à la force de la Nature qui, « mécontente » de voir Hamouris et Bamounas enfreindre ses lois, leur impose l’épreuve commune du feu qui vient mettre fin à la guerre civile. Comme une catharsis.
    
Aucun doute que la problématique de la foi tient un place centrale dans la crise aiguë que connaît le royaume de Soumérina. Présages, prémonitions, puissances occultes , pratiques mystiques du terroir,  Dieu , les mânes des ancêtres, islam, christianisme, temples, églises, monastères, offices religieux , prières, chants, oraisons jaculatoires, citations bibliques sont autant d’éléments récurrents qui en constituent l’illustration.

    L’exemple du révérend Mayélé, pasteur bamouna d’un temple pentecôtiste schismatique, qui, « la joie au cœur »,  livre aux sicaires de Chafou des fugitifs hamouris venus lui demander asile et protection ; celui de Watarama, ancien talibé d’une medersa du Caire, promu à un destin d’imam sinon d’ayatollah des tropiques, et qui se convertit au catholicisme intransigeant d’une secte de marcheurs aux pieds nus, avant de devenir, à la demande de Chafou le Terrible, l’idéologue en chef du génocide des Hamouris sur la « radiotélévision des dix mille boas », montrent bien que la religion n’est pas toujours au-dessus de tout soupçon. L’antagonisme ethnique au Soumérina se double d’un antagonisme religieux ; la croix y défie le croissant.

 Le romancier semble du reste inciter le lecteur  à faire une différence entre la foi et la religion et présente la tolérance mutuelle comme l’unique voie vers la paix et la concorde. Ainsi la reine Immaculée Kagerassa (la bien nommée) est demeurée catholique fervente malgré son mariage avec Saloum Cheikh Saleh et fait dire pour son mari et ses enfants neuvaines sur neuvaines. Ainsi les obsèques du prince Ranassom, frère aînée de Makalao, donnent lieu à un office œcuménique sur l’insistance de la reine et contre l’avis du roi . Ainsi « le sorcier » Mankan, principal représentant des croyances généralement dites « traditionnelles »se révèle un des personnages les plus lucides du roman, un de ceux que l’auteur situe dans le camp des forces positives…Dieu, semble souligner Edem Kodjo, n’est l’apanage d’aucune religion et nul ne saurait prétendre le servir qui méprise l’homme et la vie.

Cependant, on est frappé par le rôle capital que fait jouer l’auteur à la religion catholique, non seulement à travers la reine qui devient, grâce à sa foi, l’instrument du dialogue entre les deux ethnies rivales et(avec une autre femme, Fantamadia Funlayo) le symbole d’une promesse de renaissance du Soumérina, mais aussi à certains moments particulièrement pathétiques. A Chafou le Terrible qui, au moment de mourir, victime de sa propre folie, ose encore proclamer : « Je ne crois qu’au glaive, au glaive lumineux car au commencement était le glaive », le prêtre dominicain Idelfonse Mfuni , qui se trouve opportunément sur les lieux, réplique : « Non mon fils, non !Au commencement était le verbe et le verbe était auprès de Dieu et le verbe était Dieu. Je te bénis au nom de… ». Le but visé par le romancier s’éclaire ainsi d’une lumière vive : proposer la morale chrétienne comme le remède aux dérives sanglantes du pouvoir absolu, dans un texte qui expérimente à loisir, comme par besoin de défoulement, la liberté créatrice que le politicien échaudé envie à l’artiste .

Une sensibilité littéraire peu commune

    Ce qui frappe d’emblée le lecteur, qui avance dans les premières pages comme sur un chemin escarpé, c’est la prédilection de l’auteur pour les mots rares et savants, voire désuets (on ne peut s’empêcher de penser à Aimé Césaire): océan flave, douceur tépide, femmes agaves, siècle pénultième, sardanapalesque, irréfragable, latomie, gueule de patamochère, eutexie, spumeux, anoxie, thyrse, étoupe, rizophore, euphrasie, coruscant, enjaillement, tessiture, anachorète, profil d’acanthe, image faunesque, odeurs empyreumatiques, allène, holistique, salvifique, érémitisme …L’ordinateur ne les reconnaît pas pour la plupart et l’on peut recourir à plusieurs dictionnaires sans pouvoir les élucider tous! Le texte en prend une dimension oraculaire qui, dès son titre (« Au commencement était le glaive »), se pose comme une parole primordiale, un mythe.

    On ne tarde cependant pas à voir , avec soulagement, le narrateur adapter le langage à la psychologie des personnages, passer de l’oral à l’écrit,  recourir à des injures, jurons, exclamations et expressions onomatopéiques dans plusieurs langues africaines (notamment l’arabe et le mina), citer des proverbes voire des incantations. Le récit, marqué par l’influence conjuguée du Yambo Ouologuem du Devoir de violence, de Kourouma et du Lopès du Pleurer-rire, se fait plus naturel. Un récit dans lequel l’auteur multiplie les clins d’œil littéraires, comme lorsqu’il parle (p.29) d’ « un piège sans fin », ou lorsqu’il surnomme le vieux Tabacounda, préposé municipal aux latrines publiques, le « vieil homme et la merde ».

    Parfois recherché, précieux et sentencieux, le style est souvent alerte. Avec ses reprises, ses effets d’accumulation, ses structures à rallonges, à tiroirs ou en poupées russes, il imprime à l’ensemble un rythme itératif, processionnel,  qui confère à l’écriture sa tonalité originale.

    On se doit de reconnaître que pour un premier roman tardif, Au commencement était le glaive est une œuvre plutôt honorable qui dénote le haut niveau d’instruction, la vaste culture et surtout la sensibilité littéraire peu commune d’un homme politique amoureux des lettres.

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