Notre attention de citoyens d’un petit pays parmi les Pays les Moins Avancés (PMA) est captée actuellement par deux événements, l’un apparemment très loin de nous, l’autre plutôt proche. Il s’agit dans un cas de la crise financière qui sévit actuellement aux Etats-Unis et qui signe la fin de ce capitalisme qui est devenu financier, spéculatif et non industriel et productif. Dans le second cas, nous assistons à la manifestation d’une dynamique socio-politique qui ne saurait nous laisser indifférents puisqu’elle a pour théâtre le pays de l’Afrique Subsaharienne le plus développé, l’Afrique du Sud.
Dans son célèbre livre Les damnés de la terre, Frantz FANON dit qu’il s’agira pour le Tiers-monde de recommencer une autre histoire de l’humanité. Dans cette optique, l’Afrique en particulier, parce qu’elle a beaucoup souffert de ce capitalisme maintenant en déclin qu’elle a contribué cinq siècles durant à sustenter, doit contribuer à dépasser la contradiction fondamentale inhérente à ce mode de production, à savoir la recherche effrénée du profit aux dépens de la nécessaire solidarité entre les riches et les pauvres, en fait les véritables producteurs. Plus que les grands pays asiatiques comme l’Inde, le Japon et la Chine tous embourbés dans la crise financière actuelle, l’Afrique, parce qu’elle est restée avant tout la Périphérie du Système Mondial Capitalisme, a les ressources nécessaires pour « recommencer une autre histoire de l’humanité » ! Les pays de l’Afrique Australe nous offrent en l’occurrence des signes encourageants, malgré quelques dérives dues à l’accouchement difficile d’Etats modernes dans ces pays qui ont vraiment lutté contre l’impérialisme et qui ne veulent plus du tout transiger sur leur indépendance, politique et économique. Le Kenya, le Zimbabwe et surtout l’Afrique du Sud, n’ont pas fini de nous étonner. La nation arc-en ciel en ce qui la concerne, devra tôt ou tard affronter ce paradoxe : ayant lutté pendant des décennies pour sa libération contre le système odieux de l’apartheid avec sa conséquence, la confiscation des meilleures terres par la minorité blanche, elle se croit encore tenue de ménager ce système inique ; pour ne pas connaître les mêmes affres que le Zimbabwe. Aussi la trop grande prudence de Thabo MBEKI a-t-elle fini par coaliser contre lui la grande partie de la direction centrale de l’ANC, parti qui nous a donné à nous autres Africains francophones surtout, l’exemple de la force et de la discipline qui doivent caractériser un vrai parti politique. En effet, contrairement à la plupart des pays d’Afrique anglophone, c’est la puissance coloniale qui nous a obligés à prendre notre indépendance, pendant que la majorité d’entre nous n’en voulaient pas. Les rares patriotes qui les armes à la main, avaient osé réclamer l’indépendance, comme l’UPC au Cameroun, avaient été confrontés à une répression brutale et impitoyable.
Aussi un vrai parti politique, bien structuré, fonctionnant sans à-coups et dont tous les membres respectent la discipline interne, les statuts et le règlement intérieur, est-ce la principale leçon que nous pouvons tirer des événements récents qui ont eu lieu en Afrique du Sud. Cependant, l’ANC, la ZANU-PF, le FRELIMO, le MPLA et la SWAPO sont certes des partis forts, fers de lance de la lutte de libération nationale ; mais leur position hégémonique peut mal s’accorder avec l’exigence de concurrence et de compétition politiques qui doivent caractériser une démocratie libérale, par définition pluraliste. Il faudra nécessairement trouver un juste milieu entre la position hégémonique de ces partis et l’absence presque générale de vrais partis politiques dans la plupart des pays de l’Afrique Subsaharienne francophone. Pour ce qui nous concerne dans le Bénin du Renouveau démocratique, malgré de terribles douleurs de l’enfantement, la classe politique, jeune comme vieille – ce qui ne veut rien dire, car une classe politique est comme le vin ; plus elle est vieille en l’occurrence, plus elle a de l’expérience politique -, est en train cahin-caha de susciter une vie partisane qui n’est certes pas encore l’idéal, mais qui constitue quand même un net progrès en moins de deux décennies. Un Appel de GOHO est aujourd’hui impensable et les FCBE ne risquent pas de se transformer en un parti politique qui se voudrait hégémonique, mais qui se contentera d’être au plus une alliance politique, c’est-à dire un grand rassemblement de partis et de mouvements politiques divers tous favorables au régime du Président Boni YAYI ! Certains affidés de la mouvance au pouvoir peuvent désespérer d’un G4, d’un G13 ou de Force Clé, mas si les trois premiers quinquennats du Renouveau démocratique (1991-2006) avaient pu bénéficier d’un tel coussin d’air politique, le Bénin ne peinerait pas tant à devenir un pays véritablement émergent.
Par Dénis AMOUSSOU-YEYE, professeur à l’UAC