Histoire


Prince Johnson et le fantôme de Sankara Prince Johnson, chef de guerre des années quatre-vingt dix au Libéria, bourreau du président Samuel Doe – qu’il a fait découper en rondelles – criminel de guerre, pasteur sur le tard, a livré devant la commission « Vérité et réconciliation » de son pays la confession d’une partie de ses crimes.

 Cet homme, qui ne se prive de rien pour s’acheter un peu de conscience, tente d’associer la presse internationale, notamment RFI, à ses repentirs. Il y a dix jours, il s’est livré à des supposées révélations sur l’assassinat, le 15 octobre 1987, du président burkinabé de l’époque, Thomas Sankara.

Bien sûr, il a cité des gens dont les mains, les chemises ou la conscience seraient violemment tâchées de sang : Blaise Compaoré, « frère » d’arme et ami du leader assassiné et Houphouët Boigny, ancien président de la Côte d’Ivoire. Des accusations somme pas très nouvelles, mais qui ont eu le charme de mettre en boule le gouvernement burkinabè. Lequel, à travers son porte-parole, a eu la maladresse de se défendre une millième fois avec – il ne peut faire autrement – des arguments pour le moins bitumineux.

Cette polémique tombe au moment où j’étais de passage dans la capitale burkinabé, précisément dans la maison Sankara. Odile, la jeune sœur du leader assassiné, amie de longue date, comédienne internationale, m’a fait l’amitié de m’inviter à résider dans la maison familiale, le temps de mon séjour.
La maison Sankara se trouve à l’ouest de Ouaga, à Paspagan, derrière le camp de gendarmerie du même nom, à l’angle d’une ruelle où est encarté le bar « So What ! ». La maison est simple, rien ne la distingue des autres habitations…Peut-être son portail peint en bleu nature.

A l’entrée, dans la petite cour, se trouve un petit parterre à droite délimité par une maçonnerie. Des plantes y forment une couronne qui, en enjambant la surface, se rejoignent de part et d’autre pour créer une espèce de toit végétal. Tous les matins, si ce n’est les soirs, ce parterre est régulièrement arrosé. Mais il ne s’agit pas d’un jardin : c’est là où repose le « vieux », le père de Thomas, emporté il y a deux ans par la mort. 

Avant qu’il n’aille rejoindre les ancêtres, Joseph S. Sankara n’avait pas attendu RFI, ni les confessions du criminel-pasteur pour savoir la vérité. Comme beaucoup de Burkinabé, comme beaucoup d’Africains, comme beaucoup de sympathisants à travers le monde, il avait su ce qui s’était passé dans la journée du 15 octobre 1987. Les tenants et les aboutissants de l’assassinat de Thomas étaient plus ou moins connus. Et ce, en dépit des menaces, des intimidations, des tentatives de réécriture des faits, des essais de récupération politique. Le « vieux » savait tout.

Au temps où l’amitié entre les deux hommes était réelle, Blaise était considéré comme un enfant de la concession. Il venait, en l’absence de Thomas, offrir la cola au vieux, discuter un moment avec lui. Quand le leader de la révolution burkinabè a été assassiné, le vieil homme était resté imperturbable, persuadé que le « frère » de son fils allait revenir. Revenir lui dire sa version des événements, lui raconter ce qui s’est réellement passé. Car il n’y avait que lui, Blaise, qui pouvait lui raconter les faits.
Assis dans son fauteuil sur la véranda, le regard fixé sur le portail, il avait attendu que la silhouette mince de Blaise se glisse dans la maison comme autrefois. Il était convaincu que si l’ami de son fils franchissait le portail, il n’aurait même plus à lui poser la moindre question car, son innocence serait toute établie. Mais il y a longtemps que la honte a poussé le crocodile à rejoindre le marigot et à devenir aquatique.  Blaise ne pouvait plus venir à la maison. A force d’attendre, le vieux a préféré répondre à l’appel des ancêtres.

Aujourd’hui, Johnson a trouvé la force de confesser l’un des crimes auxquels son nom est associé. Il a osé même ajouter que le leader assassiné était un « bon président pour son peuple ». Comme par hasard.

Dans le marigot où il se terre, le saurien dort d’un œil éveillé. De temps en temps, il risque la tête hors de l’eau pour voir si les autres animaux ont oublié. Mais dans la brousse, il y a des événements pour lesquels il est difficile d’être amnésique. Surtout lorsque le crocodile, devenu roi, est hanté de jour comme de nuit, par le fantôme de son « frère ». Une torture monstrueuse. Bien pire que tous les procès réunis.

Florent Couao-Zotti

Laisser un commentaire